Jean L’Océan : faire confiance à l’enfance!

Il nous conte "En marge du cahier"

jean_l_ocean Jean l’Océan est né,a grandi et a vécu en Martinique jusqu’à l’âge de 38 ans. En grande partie autodidacte, Jean l’Océan s’est cependant formé en théâtre avec José Exelis-directeur artistique de la Cie « Les enfants de la mer » et en conte avec Pia San Marco et Patrick Fischmann en sus des stages de mime et de chant qu’il a suivis. Parallèlement à son activité de conteur de la Caraïbe qu’il mène depuis 2005, essentiellement en métropole, il travaille donc avec la Cie Car’Avan avec laquelle il crée « Pas un ange…une enfant, simplement! ». Les bases d’un travail commun sur le récit d’enfance de Patrick Chamoiseau se sont ainsi progressivement installées entre les deux artistes.« Caraïbéen planétaire », Jean l’Océan puise son inspiration dans le métissage des races et transmet des histoires porteuses de valeurs universelles.

 ENTRETIEN avec Jean L’Ocean ( dossier de presse)

 

Pourquoi avoir adapté « Chemin d’école » de Patrick Chamoiseau ?

 Tout d’abord, en lisant ce récit, quantité d’émotions, d’images et de souvenirs de ma vie d’écolier, à la Martinique, me sont revenus spontanément et avec intensité.J’ai connu cette école et cela me suivra toute ma vie, avec son lot de ratés qui font peut-être, aujourd’hui, ma force.

 

Quel rapport avez-vous entretenu avec l’œuvre ?

 J’ai procédé à des choix d’extraits tentant d’extirper la moelle de cette œuvre et de cette écriture innervée de vie, en langue française donc, mais que l’auteur semble avoir subjuguée en lui prêtant une tournure d’esprit créole, sa « langue-manman », la mienne aussi. « Tous les grands romans sont écrits dans une sorte de langue étrangère » disait Proust.8Chamoiseau, c’est d’abord une langue française qui trouve avec le créole ce point de charme particulier où elle n’est ni tout à fait elle-même et ni tout à fait une autre. Loin de Paris, cet auteur re-déploie et renouvelle la langue française avec unetelle vigueur qu’il me semble assister à une renaissance, à une véritable révolution. Bouleversée, vive et charmante, la voilà poétique en diable, un peu garce, vaguement métisse, subversive et créative et c’est du bonheur à chaque ligne! Il malaxe ces matières premières et trace sur le papier une substance neuve, inattendue, puissante…parfois opaque mais toujours libre et suggestive…unique sitôt qu’il faut libérer une émotion, un senti ou un imaginaire. Son écriture, imprévisible, libère l’ « effervescence des imaginaires » pour laisser de nouvelles traces, créer un nouveau monde. En ce sens, son œuvre, son « chaos des imaginaires » comme il le dit, produit un engagement politique et ses écrits s’attachent à restituer avec authenticité la réalité de son île et de son peuple multiple. Ce récit autobiographique antillais pose explicitement ou implicitement la question de l’origine, de l’identité et du métissage, qu’elle soit territoriale ou linguistique. Mais jamais il ne se réduit à une entreprise mnésique; ni témoignage folklorique ou ethnographique pour blancs de la métropole, ni écriture d’une page d’Histoire de descendants d’esclaves ou pis, parole plaintive d’anciens colonisés! En effet, sous la voûte de ses mots, loin de s’enfermer dans une écriture codifiée, ces récits édifient une véritable poétique qui requiert une activité singulière du lecteur ou du public. Dès lors, l’autobiographie n’est plus une simple quête du passé mais une véritable exploration de la langue. Une poétique qui loin d’être introspective, narcissique devient, selon les mots de l’ « Éloge de la créolité », « une écriture vers l’Autre », dessinant par là la figure d’ « un écrivain renifleur d’existences ». Une écriture non plus tournée vers le passé mais ouverte à l’avenir, « poétique de la relation » pour reprendre une expression chère à Édouard Glissant. Devenant écrivain, le « Négrillon », guerrier de l’imaginaire,« bouleversificateur » en diable du parlé-français, grave un signe de son existence sur les parois du monde et devient un « porteur de possibles » qu’à ma façon, portant sur scène ses mots, j’accompagne. Il ouvre les champs de l’impossible et de l’impensable, tend à montrer qu’il est possible de dépasser le clivage blanc-noir, à réinventer l’Union qui peut enfin accueillir les minorités, mettre fin au dos à dos et à l’affrontement des descendants d’esclavagistes aux descendants d’esclaves, à la culpabilité, au ressentiment et au devoir de mémoire mal compris. Il ensemence le monde de désirs et d’utopies

 

Quel intérêt y-a-t-il, selon vous, à assister à une représentation de cette adaptation?

 Je ne me permettrai pas de répondre pour quelqu’un d’autre mais je peux toutefois dire que pour l’avoir déjà jouée, nombre de spectateurs ont ensuite exprimé le désir de découvrir plus largement l’œuvre littéraire de Chamoiseau ce qui constitue, pour moi, un grand pas de fait. Cette pièce contribue aussi, me semble-t-il, à mieux saisir cette nébuleuse antillaise plutôt mal intégrée, mal connue hormis ses plages, ses cocotiers, ses tipunchs et les fesses bombées des doudous qui se trémoussent dans la chaleur du carnaval! Bon an mal an, mal aimée in fine! Participer d’une connaissance de mon peuple pour poser un regard juste sur lui, favoriser une compréhension, une écoute et une saine communication me semble déterminant. Aider aussi mon peuple à grandir et à devenir responsable, lui qui s’est bâti sur la maltraitance et qui en porte les fêlures. La démarche artistique, me semble-t-il, se doit d’apporter un peu de lumière et d’espérance et se doit de malmener l’engourdissement consécutif aux trois siècles de déni qui ont été les nôtres. Enfin, je voudrais dire que ce texte est d’une part une sublime invitation à faire confiance à l’ enfance en lui accordant le sentiment d’être « illimitée » mais aussi une formidable réflexion sur le but et la fonction de l’enseignement et plus largement sur l’éducation. Bien sûr, l’école que narre Chamoiseau a beaucoup évolué et c’est tant mieux! Déjà, on a fait un long chemin particulièrement en direction des maternelles et des primaires en mettant fin à l’idée qu’un enfant est une vasque vide qu’il faut gaver de connaissances soi-disant incontestables à l’instar de ce Maître d’école qui, en toute bonne foi et porté par une politique de domination coloniale, assène la règle juste et massacre les potentialités de nombre d’élèves .Pourtant il nous faut continuer à réfléchir à cela: « Que communiquer à nos enfants? » Le trésor qu’il nous faut trouver est probablement dans cette question:10 Toi, petit, qu’en penses-tu de ce que je te transmets? En quoi cela te sert-il pour te construire? »Voilà ce que je pourrai dire de ce travail que m’a inspiré Chamoiseau et pour lequel je tiens à lui témoigner ma reconnaissance. »