« Je tombe d’épuisement pendant qu’il regarde des séries » : le confinement a aggravé les inégalités hommes-femmes

Loin de contribuer à une répartition plus égalitaire des tâches ménagères, la crise sanitaire exacerbe les inégalités à la maison et au travail.

Le soulagement fut de courte durée. Lorsque, une semaine après le début du confinement, son conjoint ingénieur est passé au chômage partiel, Cécile espérait qu’il l’aide à la maison. « Il en fait un peu plus depuis que nous sommes tous les deux en télétravail, raconte cette mère de deux garçons en maternelle. Mais je continue de gérer l’essentiel : les courses, les repas, les devoirs, le jardin, les profs, les angoisses des proches… »

La journée, elle peine à se concentrer sur son travail. « Quand je souligne l’inconfort de ma situation, il demande de quoi je me plains. » Au fil des jours, l’incompréhension s’est installée dans leur couple. Trop souvent, elle a le sentiment que son compagnon sous-estime la charge de travail supplémentaire pesant sur ses épaules. « Je sacrifie ma carrière, mon temps, confie-t-elle. Et je tombe d’épuisement pendant qu’il regarde des séries. »

Plus de boulot, plus de stress, plus de fatigue : dans bien des foyers, les femmes, surtout lorsqu’elles sont mères, racontent la même histoire. Bien sûr, la crise liée à la pandémie n’est pas vécue de la même façon par tous les couples − et dans certains, elle a favorisé le dialogue. « Mais si l’on pouvait espérer que les hommes assignés à domicile prennent la mesure du poids des tâches domestiques et acceptent de les partager davantage, les premières enquêtes sur le sujet semblent indiquer que cette prise de conscience n’a pas vraiment eu lieu », observe la philosophe féministe Camille Froidevaux-Metterie.

« Au contraire, le confinement a plutôt exacerbé les inégalités déjà présentes à la maison et face à l’emploi », ajoute Marie Becker, spécialiste des questions liées à l’égalité professionnelle au cabinet Accordia.

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Marathon ultrachronométré

En 2019, 87,4 % des Françaises en couple avec enfants consacraient au moins une heure par jour à la cuisine et au ménage, d’après l’Institut européen pour l’égalité des genres (EIGE), contre 25,5 % seulement des hommes dans la même situation. Et la crise risque d’aggraver encore les écarts, s’alarme l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans un récent rapport.

La situation est particulièrement délicate pour les mères célibataires. En France, elles représentent l’écrasante majorité des parents isolés (83 %). Or, ces dernières semaines, 430 000 familles monoparentales ont été contraintes de solliciter un arrêt de travail pour garde d’enfants à cause de la fermeture des écoles, selon l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Pour elles, la reprise sera d’autant plus complexe que la réouverture des classes s’annonce chaotique.

Pour celles passées en télétravail – et qui le resteront plusieurs semaines encore –, le quotidien s’est bien souvent transformé en marathon ultrachronométré. Surtout lorsqu’il y a des enfants. Là encore, l’interruption des classes a exacerbé les inégalités déjà en place. Et ce, quel que soit le milieu social : selon l’EIGE, 43,4 % des femmes peu diplômées consacraient déjà, avant la crise, au moins une heure par jour au soin des enfants, contre 25,6 % des hommes peu diplômés. Et la proportion monte à respectivement 51,8 % et 28,7 % au sein des couples très qualifiés.

« Lever, école, déjeuner, école, goûter, jeux : je commence à travailler vraiment à 21 heures, jusqu’à 1 heure du matin, témoigne ainsi Charlotte, à la tête d’une agence de communication à Marseille, et mère de trois enfants de 2, 6 et 9 ans. Il n’y a jamais de pause, je suis comme en lévitation. Et si, un jour, je m’effondrais d’un coup ? » Son conjoint en fait pourtant plus qu’avant. « Mais, comme souvent, c’est loin de suffire à éponger le surplus des tâches, multipliées par deux dans ce contexte », souligne Coline Charpentier, professeure d’histoire en Seine-Saint-Denis. « Surtout : les hommes qui en font plus ont tendance à privilégier les courses à l’extérieur, qui leur permettent de sortir du foyer », notent Hugues Champeaux et Francesca Marchetta, chercheurs à l’université Clermont-Auvergne, auteurs d’une étude à paraître sur le sujet…

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