Jackson Katz : «La masculinité blanche constitue le sous-texte essentiel de l’identité américaine»

— Par Clémentine Gallot —

masculinite_blancheDans une campagne présidentielle aux relents sexistes, Donald Trump joue face à Hillary Clinton la carte du mâle blanc délaissé. Selon l’activiste américain, cette rhétorique du genre s’inscrit dans l’histoire américaine depuis toujours. Le pouvoir symbolique peut-il aujourd’hui changer de sexe ?

Etre président, c’est être un homme, un vrai. En atteste Donald Trump, qui n’hésite pas à mettre en scène sa masculinité en faisant allusion à ses parties génitales, à l’instar de ces enregistrements dans lesquels il déclare pouvoir «attraper les femmes par la chatte». Lors du deuxième débat télévisé, dimanche dernier, le candidat républicain n’a d’ailleurs pas hésité à renvoyer Hillary Clinton à sa condition d’épouse en accusant Bill Clinton d’abus sexuels.

Caricaturale en apparence, cette rhétorique insidieuse s’est banalisée et fait l’objet d’un essai, Man Enough ?, publié cette année (1). L’auteur et activiste américain Jackson Katz y remplace le traditionnel «It’s the economy, stupid» par «It’s the masculinity, stupid». Selon lui, le genre est un champ sémantique qui imprègne le discours politique et renforce certains stéréotypes mis en scène lors des campagnes. Des propos qui avancent souvent masqués : «Quand on parle de patriotisme, on parle en fait de masculinité», résume-t-il dans l’ouvrage qui analyse le rôle des questions de genre dans plusieurs élections présidentielles, de Nixon à Reagan en passant par le 8 novembre prochain. Le mandat de Barack Obama, écrit-il, a permis de redéfinir les contours d’une nouvelle masculinité présidentielle. Surtout, insiste-t-il, des mécanismes insidieux conduisent à invisibiliser le dominant, soit l’électorat blanc, masculin et populaire, en perte de vitesse et sur lequel s’appuie Donald Trump. Jackson Katz décrypte les enjeux d’une campagne où, selon lui, le pouvoir symbolique fait l’objet d’une véritable guerre culturelle.
Le dernier débat entre les deux principaux candidats marque une étape dans l’affirmation des présupposés de genre. En quoi la candidature d’Hillary Clinton bouscule-t-elle les stéréotypes attachés à la fonction présidentielle (qui équivaut à incarner le père protecteur de la nation) ?

Donald Trump joue frontalement la carte de masculinité. Le camp républicain ne peut pas discréditer directement Hillary Clinton en tant que femme, leur stratégie est donc de sous-entendre qu’elle n’est pas «authentique» en fustigeant sa «duplicité», son envie «insatiable» de pouvoir. Des arguments recyclés en partie de la campagne de Bernie Sanders lors des primaires démocrates. Même si Clinton est objectivement plus qualifiée, des millions d’auditeurs entendent répéter quotidiennement à la radio conservatrice qu’elle n’a pas le bon «tempérament» pour être présidente, une campagne de propagande incroyablement efficace. Par ailleurs, elle fait face au même défi que n’importe quelle autre candidate, à qui l’on reprochera toujours un déficit de capital sympathie. Ce sont des nuances très difficiles à négocier pour une candidate dans un espace entièrement masculin : être assez forte tout en étant aimable et conciliante, puisque la population est conditionnée à percevoir ainsi des traits de caractère construits comme «féminins».
En quoi cette rhétorique du genre est-elle ancrée dans l’histoire des Etats-Unis ?

Elle l’est depuis la naissance de la nation, en 1776, par les pères fondateurs, où seuls les hommes blancs pouvaient voter…

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