Hommage à Serge Châlons : une trace

— Par Christian Jean-Étienne (*) —

Serge Châlons, pédiatre, médecin de santé publique, d’une grande humilité, militant engagé, homme de combat, profondément humaniste et passionné par l’Être humain nous a quittés en mai 2024. Il laisse un grand vide.
Aussi, les quatre associations où il militait ont choisi de lui organiser un hommage durant tout le mois de juillet 2025 aux Archives Territoriales de Martinique pour rappeler son engagement humanitaire envers les enfants de la Caraïbe, sa lutte pour faire reconnaître l’esclavage crime contre l’humanité, son engagement en faveur des ouvriers agricoles et des personnes empoisonnées au chlordécone.

UNE EXPOSITION ET QUATRE CONFÉRENCES
Quatre conférences ont été proposées au public sur chacun de ses engagements, une exposition sur les Bateyes avec d’autres panneaux sur le Comité Devoir de Mémoire , les activités d’ESA-Caraïbes, l’orphelinat de Port-au-Prince, les actions réalisées à Thiotte dans le Sud-Est d’Haîti et la brochure scientifique pour comprendre les méfaits du chloredécone réalisée dans le cadre de Lyannaj pou dépoliyé Matinik.

Les représenrants des quatre associations où Serge Châlons a milité : Dr André Yébakima (Médecins du Monde), Christian Jean-Etienne (Comité Devoir de Mémoire),Philippe Pierre-Charles (Lyannaj pou dépoliyé Matinik),Véronique Vaïti ( Réseau Néonatalogie), Patrice Lefaucheur (ESA-Caraïbes, Dr Jérôme Pignol (Chef de Service Néonatalogie).

C’est avec avec Médecins du Monde Antilles, que Serge Chalôns découvre les bateys de Barahona en République-Dominicaine, ce lieu où les hommes sont privés de liberté, du droit de se déplacer librement, où les Haïtiens vivent avec leurs familles dans des conditions atroces et inhumaines, un coutelas sous le bras comme outil de survie et unique espérance de vie.
Utilisés dans les champs de canne à sucre, exploités sans vergogne et condamnés à y vivre car leurs papiers leur ont été confisqués. Les photographies de Jean Popincourt et de Tino Soriano qui l’accompagnaient sont affichées en toute sobriété et renforcent la tristesse profonde de certains regards, contrastant avec la joie éclatatante des enfants dans toute leur innocence.

L ’exposirion sur les Bateyes à Barahona installée aux Archives Territoriales, réalisée avec les photographies de Jean Popincourt (Martinique) et de Tino Soriano(Espagne), deux photographes de renom nous restituent l’âme d’une Caraïbe méconnue. © photo.Christian Jean-Etienne

Le docteur Juan Mizo Yan, enfant des bateys, aujourd’hui médecin grâce au soutien de Serge Châlons a participé à cet hommage et décrit les conditions de vie à Barahona. Nés des décombres de l’esclavage moderne en 1916 pendant l’invasion américaine, c’est à partir de 1997 que les choses s’améliorent dans ces bateyes. Grâce aux luttes menées par les habitants, grâce aux liens solidaires entre les différents bateyes, des constructions de nouvelles maisons se multiplient, des écoles apparaissent, l’électrification … La lutte des syndicats de la canne a payé pour accéder à une vie meilleure au sein de ces communautés oubliées par l’Etat.

 

Un public nombreux le soir du vernissage de l’exposition sur les Bateyes. © photo.Christian Jean-Etienne

 

Il semble seul, minuscule face à l’immensité.

DE L’AFRIQUE DU SUD À L’HIMALAYA
Un espace intime dans la salle, une vitrine est consacrée à la vie de Serge Chalôns où sont exposées sa thèse de médecine, quelques photos de famille… celle du jeune étudiant en médecine à Paris interpelle, surtout le récit de son premier contact avec le monde ségrégationiste des étudiants en médecine où il rencontre le racisme : cette période à l’hôpital Saint-Antoine à Paris où il était l’unique étudiant Noir dans un amphithéâtre de 400 personnes. Cette image du Noir infériorisé, il la retrouve aux États-Unis, en Amérique Centrale, en Haïti lorsqu’il part à la découverte du monde à 24 ans, diplôme de médecin en poche.
C’est dans les années 1970 qu’il intègre “Médecins du Monde”, toujours animé de son désir d’aider les plus démunis. Sa première mission a lieu en Afrique du Sud en plein apartheid, pour travailler dans un « 
township », ghetto où les Africains sont confinés par les autorités blanches du Pays. Il découvre le sort réservé à cette population qui vit dans des conditions inhumaines et où les enfants sont les plus impactés : il est le seul médecin pour 150 000 habitants, il n’y avait que quatre points d’eau pour tout le monde…
– Le regard du visiteur est attiré par une photo insolite.
“À première vue, cette photo peut surprendre : un homme marche pieds nus sur un sentier d’éboulis, valise sur la tête, dans un décor aride et grandiose de l’Himalaya.


Cet homme, c’est Serge Chalons. Médecin. Humaniste. Frère lumineux. Ce jour-là, Serge revenait du village reculé de Tabo, dans la vallée du Spiti (Himachal Pradesh, Inde). Il y avait apporté du matériel scolaire pour les enfants du village, avec la même joie qu’un berger qui ramène une promesse d’avenir dans ses bras. Ces enfants, issus de familles paysannes souvent très modestes, ont accès gratuitement à l’école grâce au soutien des moines du monastère de Tabo, un haut lieu du bouddhisme himalayen. Et lorsque Serge est arrivé, les enfants l’attendaient avec cette soif rare : celle de devenir pleinement des êtres humains. Leurs regards ont embrassé ces cahiers, ces crayons …”.
texte de Éric Cabéria.

1502-2002 : CHOC DE CIVILISATION
Dans une autre vitrine de la salle, réservée au Comité Devoir de Mémoire l’accent est mis sur un évênement marquant parmi tous ceux que le Comité a réalisé en 27 ans. Il s’agit de la commémoration du Choc de civilsation 1502-2002. Le Comité avait célébré l’évênement à l’Atrium par une exposition réalisée par l’anthropologue Thiérry L’Étang  » Arawaks et Caraïbes insulaires de Colomb au troisième millénaire, 500 ans de résistance, 500 ans d’oubli ».
Le fait marquant et original de cette commémoration était de permettre aux visiteurs de frapper une médaille commémorative en souvenir. La médaille dessinée par Victor ANICET représente, gravé sur l’avers le profil d’un Amérindien, rappel de leurs luttes fondatrices de notre culture et sur le revers , les quatre profils des peuples avec l’européen qui ont construit notre société à savoir notre amérindianité, notre africanité, notre indianité..
Ā côté, l’affiche de l’artiste Maure produite en 1998, réalisée à partir d’un texte d’Edouard GLISSANT, sous l’égide du Comité Devoir de Mémoire. Cette affiche est reproduite au format carte postale pour supporter « l’opération cartes postales » qui consiste à réclamer que l’esclavage et la Traite Atlantique soient reconnus comme Crime contre l’Humanité, elle a été expédiée au Président Jacques CHIRAC, au Secrétaire Général de l’ONU et à la Cour internationale de La Haye. L’opération se tient dans le cadre d’un happening « Ouvrons la rue de la Liberté » avec la participation de nombreux artistes, de personnalités et de musiciens. L’œuvre de l’artiste Maure a été agrandie 200 cm x 200 cm et exposée à l’entrée du Panthéon toute l’année 1998.

ESA-CARAÏBES , MY FATHER’S HOUSE,THIOTTE ET LA CARAÏBE

À la suite du tremblement de terre du 12 janvier 2010 en Haïti, l’association ESACaraïbes, (Enfants Soleils d’Avenir), est née. Serge Châlons en est membre fondateur avec Patrice LEFAUCHEUR et se mobilise pour venir en aide aux enfants qui ont perdu leurs parents, il crée alors l’orphelinat, My Father’s House à Port-au-Prince : 150 enfants ont besoin d’aide.

Un public toujours très nombreux et attentif à,chacune des soirées. © photo.Christian Jean-Etienne

Pendant dix ans l’association a assuré l’assistance financière, l’amélioration des infrastructures, le soutien pédiatrique avec la collaboration du docteur Clertida Cassamajor. Elle est intervenue en visio conférence le soir de la conférence d’ESA et a pu témoigner de la richesse de cette expérience et rappeler le rôle fondamental qu’a joué Serge Chalôns dans l’organisation de la structure. Une intervention très appréciée du public.D e nouveaux contacts amènent ESA-Caraïbes à intervenir dans la région rurale de Thiotte située dans

l’arrondissement de Belle-Anse, au Sud-Est d’Haïti où vit une population de 150 000 personnes. En collaboration avec l’organisation haïtienne, CODAB, (Coordination des Organisations pour le développement de l’arrondissement de Belle-Anse) et en partenariat avec l’Office De l’Eau Martinique, ESA-Caraïbes a contribué à la réhabilitation du système d’eau potable de Thiotte.

En octobre 2016, le Cyclone Matthews frappe Haïti avec des vents de plus de 240 km/h. La zone est dévastée et ESA lance une opération de solidarité “ 10 000 € pour Haïti ”. L’originalité de l’opération réside dans le fait :
– d’avoir demandé aux Martiniquais des dons en espèces car récolter des vivres, de l’eau,du matériel lourd pose problème pour le transport et l’acheminement des dons
– d’avoir acheté sur place les denrées alimentaires , les semences nécessaires , les matériaux ce qui a favorisé le redémarage des activités et l’implication de toute une population qui devient acteur. La proximité frontalière avec la République Dominicaine a permis un approvisionnement rapide et efficace.
– d’avoir impliqué dans cette solidarité toutes les associations paysannes, les associations féminines et le CODAB qui ont listé leurs propres besoins. Rien le leur a été imposé.

LE PROGRAMME DE COOPÉRATION MÉDICALE PÉDIATRIQUE DANS LA CARAÏBE

Piloté par Serge Chalôns avec un réseau de pédiatres dans la Caraïbe ce programme a permis aux enfants de Sainte-Lucie, de Dominique, Barbade, Saint-Vincent et les Grenadines, d’ Antigua et d’ Haïti d’être pris en charge à la Martinique surtout pour des problèmes de malformations cardiaques congénitales complexes et des pathologies cancéreuses.
Saskia TUTTLE, jeune cardio-pédiatre au CHUM est intervenue pour expliquer le mode opératoire et la prise en charge des jeunes enfants depuis le départ de leur île d’origine jusqu’au bloc opératoire. La séance était illustrée par des vidéos qui montraient les chirurgiens à l’œuvre notamment Dr Hugues LUCRON qui a fortement contribué à la mise en place du programme.
Une autre difficulté réside dans l’accompagnement de ces jeunes enfants avant et après l’opération chirurgicale, il nous faut leur trouver des familles d’accueil. Alex JESOPHE qui en coordonne l’organisation a expliqué au public le rôle fondamental de ces familles au plan moral, psychologique et social. Son intervention a été renchérie par le témoignage poignant d’un représentant d’une de ces familles. Il nous en faut davantage, si vous êtes intéressés contactez nous sur
contact@esa-caraibes.fr

« LYANNAJ POU DÉPOLIYÉ MATINIK » , DERNIER COMBAT DE SERGE CHÂLONS

Laetitia PRIVAT et Dr André EDOUARD lors de sa communication. © photo.Christianjean-Etienne

De manière très pédagogique, Laetitia PRIVAT a présenté la genèse du combat de l’association “Liannaj pou dépoliyé Matinik” en rappelant la gravité de cette pollution au Chloredécone qui a révélé au grand jour des dysfonctionnements graves pour la santé des populations antillaises et pour la sauvegarde de l’environement. Au-delà des répercussions sur notre santé ,il ya eu des blesures symboliques et spirituelles.Serge Chalôns s’est intéressé très tôt à ce problème. À cette époque les discussions sur le sujet étaient tabous e t impopulaires. Dès 2018 il échangeait avec des militants comme

Philippe Pierre-Charles et d’autres personnels de santé sur la nécessité de créer une structure plus large pour prévenir du danger qui menace toute la population.En juin 2021 un fascicule est publié par LPDM, destiné à informer le plus grand nombre sur les dangers et des précautions à prendre. Il a été conçu et rédigé par Dr Serge CHALÔNS, Dr André EDOUARD, Dre Josiane JOS-PELAGE, Dr Jean-Michel MACNI et Dr Charles QUIST. Il est d’une grande efficacité.Dr EDOUARD dans sa communication rappelle de manière très pédagogique combien le Chloredécone est dangereux pour la santé , perturbateur endocrinien, il est démontré aujourd’hui qu’il a un impact sur le cerveau , les nerfs, sur le fonctionnement des glandes ( thyroïde, hormones sexuelles) et sur le développement de certains cancers (sang,prostate,foie, thyroïde, rein…). De même, il y a un risque sur les grossesses et le développement des fœtus comme sur le système de reproduction. Le tout complexifié à cause du risque de transmission aux générations futures. Il insiste sur l’urgence de mettre en place des structures de recherche et de prise en charge pour anticiper les impacts sanitaires à venir.

Maître Virginie MOUSSEAU, intervient à son tour en tant que spécialiste à la défense des victimes et de réparation du préjudice corporel. Elle est engagée dans la défense des droits des victimes du chlordecone en Martinique et en Guadeloupe.
Elle signale
que le pesticide pointé du doigt a été utilisé pour lutter contre un parasite dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique jusqu’en 1993, alors qu’il avait été interdit dans l’Hexagone trois ans auparavant. Elle rappelle les difficultés rencontrées pour faire reconnaître les responsabilités de l’Etat français et invite les victimes à se constituer partie civile et à saisir le Fonds d’indemnisation des pesticides ainsi que les juridictions compétentes afin d’obtenir une indemnisation intégrale des préjudices subis.Il n’est pas tolérable que ce dossier finisse par un non-lieu, nous n’avons pas le droit de baisser les bras”. Le but étant que l’appel en justice ait davantage de poids, il faut un maximum de constitution partie civile.Depuis les manifestations, les poursuites judiciaires, les demandes de réparations et les programmes d’information se sont enchaînés. La lutte pour l’indemnisation continue sans Serge Châlons.

Ensuite, Sabrina CAJOLY, juriste et militante pour les droits humains en Guadeloupe, fondatrice de l’association “Kimbé Rèd F.W.I est intervenue pour dénoncer l’inaction de l’Etat français face à la crise de l’eau potable en Guadeloupe , la pollution au chroredécone et les atteintes aux droits fondamentaux en Outre-mer. Un témoignage puissant entre engagement juridique, réalité sociale et justice internationale.

Phillipe PIERRE-CHARLES a clôturé la soirée LYANNAJ POU DÉPOLIYÉ MATINIK en insistant sur le courage et l’engagement du Dr Serge CHALÔNS et sur la nécessité de créer une fondation pour financer les recherches en matière d’agronomie, de pêche, de dépollution des terres… d’autant que les rpercussions sur la santé ne concernent pas seulement notre génération , mais nos enfants et petits-enfants auront malheureusement à pâtir de cette exposition au Chlordécone.

LE COMITÉ DEVOIR DE MÉMOIRE POURSUIT SON TRAVAIL DE MÉMOIRE ET DE TRANSMISSION.

Le départ de Serge CHALÔNS nous a beaucoup affectés, mais notre Devoir continue. Nous continuons à lutter contre l’oubli et à œuvrer pour la construction d’un monde meilleur.

Serge oeuvrait aussi dans le but de DÉCOLONISER LA PENSÉE OCCIDENTALE.
C’était une de ses dernières préoccupations, son dernier chantier d’intellectuel.

Il disait que si l’esclavisé et ses afro-descendants étaient traumatisés et méritaient d’être soignés, le bourreau aussi devait l’être. Il nous appartient de développer ce concept et de transmettre cette réflexion.

Déjà ce jeune médecin de 24 ans était préoccupé par la complexité de l’Histoire de son Pays Martinique, voilà ce qu’il écrivait dans la préface de sa thèse de Doctorat en médecine.

« Aux gens de mon pays,

à ce peuple qui n’a pas encore fait sien sa terre et ses aspirations

et qui flotte dans l’évanescence de deux cultures.
Dans quelles humiliations vécues devrait pourtant s’enraciner sa révolte ?

SERGE CHÂLONS UNE TRACE pas une empreinte inerte , mais une TRACE tournée vers l’avenir afin que nous poursuivions ses engagements humanistes.

Gran Nèg’ pa ka mô !

Lonè épi respé ba Serge CHÂLONS

(*) Christian JEAN-ETIENNE,

Président du Comité Devoir de Mémoire
Fort-de-rance, le 30 août 2025