Haïti en 2025 : une spirale de violence incontrôlable et un État en déliquescence

— Par Jean Samblé —

Haïti traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire contemporaine. Le pays, déjà miné par des décennies de crises politiques, économiques et sociales, est désormais plongé dans une spirale de violence sans précédent, principalement orchestrée par des gangs armés qui ont progressivement étendu leur contrôle sur de larges portions du territoire. Les derniers rapports de l’Organisation des Nations Unies (ONU) dressent un constat accablant : entre janvier et juin 2025, plus de 3 141 personnes ont été tuées, portant le total des assassinats à 4 864 en neuf mois, sans compter les milliers de blessés et les centaines d’enlèvements signalés.

Une violence qui se propage au-delà de la capitale

Si Port-au-Prince reste l’épicentre de l’insécurité, la situation se détériore rapidement dans les provinces, notamment dans les départements du Centre et du Bas Artibonite, jusqu’ici relativement épargnés. La ville de Mirebalais, par exemple, a vu 100 000 habitants fuir face aux attaques à répétition des gangs depuis début 2024. Plus récemment, 27 500 personnes ont été déplacées en moins d’une semaine dans cette même région, à la suite d’attaques dans la zone de Sarazin, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Au total, plus de 1,3 million de personnes ont été contraintes de quitter leur domicile depuis l’explosion de la violence.

Le déclin de l’autorité de l’État est particulièrement visible dans ces zones où la présence institutionnelle est « extrêmement limitée », comme le souligne Ulrika Richardson, cheffe par intérim du Bureau intégré de l’ONU en Haïti (BINUH). Ce vide a favorisé l’enracinement territorial des gangs, qui cherchent à contrôler les principaux axes routiers reliant la capitale au nord du pays et à la frontière dominicaine, dans un objectif stratégique clair : isoler Port-au-Prince et étendre leur hégémonie.

Massacres et groupes d’autodéfense : la spirale s’aggrave

Parmi les nombreux épisodes de violences recensés, la tuerie de Pont Sondé, en octobre 2024, se distingue par son ampleur et sa portée symbolique. Avec plus de 100 morts, elle a marqué un tournant dans le cycle de violences, opposant désormais frontalement les gangs à des groupes dits d’« autodéfense ». Ces derniers, souvent constitués de civils armés, se livrent à leur tour à des abus, notamment des exécutions extrajudiciaires, ce qui alimente encore davantage la spirale de terreur.

Le rapport conjoint du BINUH et du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme met également en cause les forces de sécurité haïtiennes, accusées de violations graves des droits humains, dont des exécutions sommaires d’individus suspectés de liens avec les gangs.

Une menace régionale

L’ONU alerte : la montée en puissance des gangs en Haïti représente une menace directe pour la stabilité régionale. L’extension de leurs réseaux favorise l’intensification des trafics transnationaux d’armes, de personnes et de drogues, en direction des pays voisins de la Caraïbe. Cette dynamique pourrait avoir des conséquences géopolitiques majeures, notamment pour la République dominicaine, déjà confrontée à une hausse de la tension migratoire et à des infiltrations de groupes armés à sa frontière.

Une réponse internationale encore trop faible

Déployée en juin 2024, la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), dirigée par le Kenya, peine à contenir la violence, faute de moyens logistiques et financiers suffisants. Malgré l’instauration d’un embargo renforcé sur les armes, les Nations Unies dénoncent de graves failles dans le contrôle des frontières haïtiennes et des pays de transit, permettant la circulation continue d’armes de guerre sur le territoire.

Le Plan de réponse humanitaire 2025, qui vise à soutenir les populations affectées, demeure largement sous-financé, avec seulement 8 % des 908 millions de dollars nécessaires effectivement reçus à mi-parcours de l’année. Ce déficit critique compromet l’assistance aux personnes déplacées et affaiblit les capacités d’intervention des ONG sur le terrain.

Une crise aux racines historiques profondes

La tragédie actuelle d’Haïti ne peut être dissociée de son histoire. Premier pays à s’être affranchi du joug colonial et de l’esclavage en 1804, Haïti a été forcé en 1825 par la France de payer une « dette d’indépendance » exorbitante, destinée à indemniser les anciens colons. Cette exigence a plongé durablement le pays dans une dépendance économique étouffante. Au XXe siècle, les États-Unis ont prolongé cette emprise, imposant un contrôle financier strict. Ces injustices historiques continuent de peser sur la capacité d’Haïti à bâtir un État solide et autonome.

Appel urgent à la solidarité internationale

Dans ce contexte de chaos, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, appelle la communauté internationale à « renforcer son appui aux autorités haïtiennes », à soutenir les groupes vulnérables et à maintenir la pleine capacité opérationnelle du BINUH. Le renforcement de la MMAS, la mise en œuvre effective de l’embargo sur les armes et un soutien financier conséquent sont indispensables pour restaurer l’État de droit et éviter l’effondrement total du pays