L’ULCC aux trousses de l’ancien directeur Jean Ronald Joseph
— Par Robert Berrouët-Oriol (*) —
LA NOUVELLE est sur toutes les lèvres au pays des délinquants à cravate où l’impunité caracole à chaque coin de rue : l’Unité de lutte contre la corruption (l’ULCC) est aux trousses de Jean Ronald Joseph, l’ancien directeur du Fonds national de l’éducation (FNE). Il s’agit là d’un événement significatif dans la longue saga de la corruption, du népotisme et du détournement des finances de l’État au Fonds national de l’éducation comme l’atteste l’article paru le 11 novembre 2025 sur le site Fact checking News (FCN), « Corruption au FNE : l’ULCC met Jean Ronald Joseph sur sa liste rouge » (voir aussi l’article paru en Haïti dans Le Nouvelliste du 11 novembre 2025, « L’ULCC lance un avis de recherche contre l’ex-directeur général du FNE Jean Ronald Joseph »).
En effet l’ULCC a lancé, le 11 novembre 2025, l’« AVIS DE RECHERCHE No ULCC/SEI/11-25-002 » assorti d’une photo du délinquant-fugitif Jean Ronald Joseph, « gestionnaire expert » missionné par le PHTK néo-duvaliériste à la direction du FNE. Voici en quels termes cette nouvelle de premier plan est formulée sur le site Fact checking News (FCN) dans l’article « Corruption au FNE : l’ULCC met Jean Ronald Joseph sur sa liste rouge » :
« L’étau se resserre autour de l’ancien directeur général du Fonds national de l’éducation (FNE), Jean Ronald Joseph. Dans le cadre d’une enquête pénale sur des soupçons d’abus de fonction, de détournement de biens publics, d’abus de biens sociaux et d’entrave au bon fonctionnement de la justice, l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) a lancé un avis de recherche officiel contre l’ex-responsable. Ce dernier est accusé d’avoir gravement compromis la gestion des fonds destinés à financer des projets éducatifs à travers le pays.
« L’avis de recherche, référencé NO ULCC/SEI/11-25-002, marque une nouvelle étape dans une procédure judiciaire qui s’annonce longue et complexe. Selon les autorités, Jean Ronald Joseph aurait usé de sa position au FNE pour favoriser des pratiques contraires à la loi, compromettant la bonne marche d’une institution censée soutenir l’accès à l’éducation sur tout le territoire national.
« Pour justifier cette décision, l’ULCC rappelle que cette mesure s’appuie sur le deuxième alinéa de l’article 11 du Décret du 8 septembre 2004, qui lui confère le pouvoir de rechercher toute personne impliquée dans des actes de corruption ou d’atteinte à la probité publique. L’avis vise donc à retrouver l’ancien directeur, dont la coopération est jugée indispensable pour faire la lumière sur les irrégularités constatées.
« D’après des éléments de l’enquête, plusieurs mouvements financiers douteux, décisions de gestion contestées et possibles détournements de fonds auraient été identifiés au sein du FNE sous sa direction. Ces pratiques, si elles sont avérées, auraient privé de nombreuses écoles et institutions éducatives des ressources qui leur étaient destinées.
« Face à la gravité des faits reprochés, l’ULCC invite toute personne disposant d’informations sur la localisation de Jean Ronald Joseph à les transmettre sans délai aux autorités. L’institution affirme sa volonté de poursuivre la lutte contre la corruption sous toutes ses formes, rappelant que nul ne saurait se soustraire à la justice, surtout lorsque l’argent du contribuable et l’avenir de l’éducation nationale sont en jeu.
« L’affaire, qui secoue de nouveau le secteur public, met en lumière le défi que représente la lutte contre la corruption en Haïti et la détermination de l’ULCC à frapper fort, quel que soit le niveau hiérarchique des personnes mises en cause. »
Le Fonds national de l’éducation (FNE), un dispositif de corruption systémique de la totalité du secteur de l’éducation
Mis sur pied de manière informelle en 2011 puis légalisé en 2017 par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, le Fonds national de l’éducation est un dispositif systémique de corruption couvrant la totalité du secteur de l’éducation. Dans une série d’articles amplement documentés, nous avons mis en lumière sa structure idéologico-politique –la chaîne inter-institutionnelle qui lui garantit son invisibilsation–, ses véritables objectifs et ses bénéficiaires directs. Ces articles ont été mis en ligne en Haïti sur les 17 plateformes régionales du Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH) et sur la plateforme nationale de l’Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti (APKA). Ils ont également été publiés sur divers sites aux États-Unis, au Canada, en France et en Martinique. En voici la liste :
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Le Fonds national de l’éducation en Haïti, un système mafieux de corruption créé par le PHTK néo-duvaliériste, Rezonòdwès, 20 avril 2024.
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La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024, Madinin’Art, 3 mai 2024.
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En Haïti le Fonds national de l’éducation, haut-lieu de la corruption, tente de s’acheter une impunité « à vie » à Radio Magik9, Haïti Inter, 7 janvier 2025.
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En Haïti, la corruption généralisée au Fonds national de l’éducation met encore en péril la scolarisation de 3 millions d’écoliers , Rezonòdwès, 18 février 2025.
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Le parachutage de Sterline CIVIL à la direction du Fonds national de l’éducation : vers le renforcement de la corruption et de l’impunité dans le système éducatif national d’Haïti, Rezonòdwès, 5 mars 2025.
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L’occultation de la corruption au Fonds national de l’éducation : nouvelles acrobaties de Sterline Civil, profuse « missionnaire » du PHTK néo-duvaliériste , Rezonòdwès, 17 juin 2025.
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Corruption, détournement de fonds publics, népotisme : le Fonds national de l’éducation défie et échappe encore à la Justice haïtienne , Madinin’art, 22 août 2025.
Au creux de notre dispositif analytique nous avons rigoureusement démontré, documents de référence à l’appui, que le FONDS NATIONAL DE L’ÉDUCATION EST UN ÉTAT DANS L’ÉTAT : il collecte depuis 2011 différentes sortes de taxes mais ses entrées fiscales, ses recettes fiscales ne sont pas budgétisées, elles ne sont pas consignées dans le Budget officiel de la République d’Haïti. Alors même que le ministre des Finances, selon la Loi du 17 août 2017, est statutairement vice-président du Conseil d’administration du FNE, il est attesté qu’il s’est volontairement abstenu d’exercer un quelconque contrôle sur la gestion administrative et financière de cet organisme d’État. Aucun ministre des Finances, de 2011 à 2025, n’a publié un quelconque rapport dans lequel est analysé le bilan financier du FNE. Véritable État dans l’État, le FNE bénéficie –dans la chaîne de corruption modélisée mise sur pied dès 2011 par le PHTK néo-duvaliériste–, d’une complicité systémique organisée au CONATEL et au sein de la Banque de la République d’Haïti qui, elle non plus, n’a publié aucun rapport annuel ces six dernières années (voir sur le site Web de la BRH la rubrique « Rapport annuel »). Il faut prendre toute la mesure que la BRH ne publie pas non plus d’audit financier depuis 2022 alors même qu’elle s’était engagée auprès du FMI à publier l’audit de 2023… en août 2025. Le communiqué de presse du FMI, daté du 1er mai 2025, est explicite à cet égard : « L’engagement des autorités budgétaires et monétaires à maintenir le financement monétaire du déficit à zéro est louable et doit se poursuivre. L’audit financier de la BRH pour l’exercice 2023 est urgent et sa publication éventuelle d’ici août 2025 serait importante pour démontrer la transparence » (voir le document « La direction du FMI approuve la première revue du programme de référence en faveur d’Haïti », 1ermai 2025).
NOTE – Liste des ministres des Finances de l’ère Tèt kale :
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19 octobre 2011 – 8 mai 2012 : André Lemercier Georges
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8 mai 2012 – 9 avril 2013 : Marie Carmelle Jean-Marie
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11 avril 2013 – 2 avril 2014 : Wilson Laleau
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2 avril 2014 – 18 janvier 2015 : Marie Carmelle Jean-Marie (2e fois)
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18 janvier 2015 – 23 mars 2016 : Wilson Laleau (2e fois)
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23 mars 2016 – 13 mars 2017 : Yves Romain Bastien
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13 mars 2017 – 17 septembre 2018 : Jude Alix Patrick Salomon
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17 septembre 2018 – 4 mars 2020 : Ronald Décembre
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depuis le 4 mars 2020 : Michel Patrick Boivert
RAPPEL — En lien avec les obligations consignées dans la Loi du 17 août 2017, il est attesté qu’aucun ministre des Finances, de 2011 à 2025, n’a demandé à la Cour supérieure des comptes d’effectuer un audit administratif et financier du Fonds national de l’éducation. Dans le labyrinthe de la corruption et du détournement des finances de l’État au FNE, les ministres de l’Éducation et des Finances ont pratiqué la politique de l’autruche, la cécité volontaire, l’un couvrant l’autre au creux d’un fort rentable rituel de délinquance politique et d’amnésie volontaire… Sur ces registres, il faut prendre toute la mesure que la Cour supérieure des comptes ne relève pas de l’autorité du ministre des Finances, elle est une institution indépendante comme le consigne explicitement la Constitution haïtienne de 1987.
Constitution de 1987 — « CHAPITRE II : DE LA COUR SUPÉRIEURE DES COMPTES ET DU CONTENTIEUX ADMINISTRATIF / « Article 200 : « La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif est une juridiction financière, administrative, indépendante et autonome. Elle est chargée du contrôle administratif et juridictionnel des recettes et des dépenses de l’État, de la vérification de la comptabilité des Entreprises de l’État ainsi que de celles des collectivités territoriales. » / « Article 200.1 : « La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif connait des litiges mettant en cause l’État et les Collectivités territoriales, l’Administration et les fonctionnaires publics, les services publics et les administrés. » / « Article 200.2 : « Ses décisions ne sont susceptibles d’aucun recours sauf, de pourvoi en cassation. » / « Article 200.6 : « Les candidats à cette fonction font directement le dépôt de leur candidature au Bureau du Sénat de la République. Le Sénat élit les 10 membres de la Cour, qui parmi eux désignent leurs Président et Vice-Président. » / « Article 201 : « Ils sont investis d’un mandat de 10 années et sont inamovibles. » « Article 204 : « La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif fait parvenir chaque année au Corps législatif dans les 30 jours qui suivent l’ouverture de la première Session législative un rapport complet sur la situation financière du pays et sur l’efficacité des dépenses publiques. »
Un système prédateur verrouillé et opaque : le total des sommes collectées par le Fonds national de l’éducation de 2011 à 2025 demeure inconnu…
Selon un récent avis de l’économiste Etzer Émile, les frais de 1.50 $ prélevés sur les transferts privés internationaux entre 2011 et 2024 ont totalisé plus de 310 millions de dollars américains. Il estime que 98% de ces fonds, soit plus de 306 millions de dollars, ont été versés sur le compte du Trésor public selon un dernier rapport publié par la BRH.
Dans un article paru le 1er décembre 2021 sur le site Tripfoumi.info, « Où sont passés les $1.50 sur les transferts, destinés au FNE ? », il est précisé que l’économiste Etzer Émile « (…) a pu décrypter [que] la dilapidation qui se fait au Fonds national de l’éducation (FNE) provient essentiellement des transferts entrants et sortants d’Haïti dont la taxe est fixée à $ 1.5 chacun. Établi depuis 2011, après les dix ans du pouvoir PHTK, personne ne sait où sont investies ces centaines de millions de dollars US. La décision de prélever 1.5 dollar sur tous les transferts qui proviennent de l’étranger et sortant d’Haïti a été prise le 20 mai 2011, six jours seulement après la prise du pouvoir de Michel Joseph Martelly comme président d’Haïti, le 14 mai 2011, d’après le professeur et économiste Etzer Émile. Cette mesure était illégale puisqu’elle ne faisait pas l’objet d’une loi ratifiée par le Parlement à cette époque. Il [a fallu] attendre 2017 pour que cette disposition ait une couverture légale après avoir été votée [par] le Sénat, même si elle avait déjà été votée par la Chambre basse en 2012, toujours d’après l’auteur du livre « Haïti a choisi de devenir un pays pauvre », Etzer Émile. En ce sens, il est clair que le gouvernement a rassemblé cette taxe pendant 6 ans en dehors de la loi. La République n’a aucun détail sur la façon dont elle a été utilisée. Juste après sa ratification par le Sénat en 2017, la Cour supérieure des comptes est montée au créneau pour révéler des doutes de gestion liés à ce fonds d’après un rapport de la Banque de République d’Haïti (BRH) datant de septembre 2018, sept ans après l’application de cette mesure illégale. Le mois d’avril de cette même année, l’un des mois les plus rentables, il y avait environ un million neuf cent quatre-vingt-huit (1 988 000) transferts dont 1,50 $ a été prélevé sur chaque appel, ce qui avait donné approximativement un montant de deux millions huit cent soixante-douze milles (2 872 000) dollars US pour seulement un mois, d’après le calcul de M. Émile. En effet, toujours selon le rapport de la BRH, cent vingt millions cent trente mille sept cent quarante-cinq (120 130 745) dollars US ont été déjà collectés pour les sept ans de 2011 à 2018. Il faut noter que le rapport de la BRH en 2018 est le seul document rendu public qui permet de se faire une idée de la valeur de ce fonds. En effet, Etzer Émile, étant un curieux, a pu découvrir que, en moyenne 1 600 000 (un million six cent mille) transferts ont [été] effectués par mois d’après le rapport de 2018 de la BRH. Alors en 2021, après 3 ans, équivalant à 36 mois, quatre-vingt-six millions quatre cent mille (86 400 000) dollars US ont été comptabilisés, selon le bilan effectué par Etzer Émile ».
Connu dans le milieu de l’enseignement en Haïti comme étant une « vache à lait », une prolifique et rentable « poule aux œufs d’or », le Fonds national de l’éducation est donc un véritable SYSTÈME DE CORRUPTION, il a tissé sa toile prédatrice dans toutes les structures du système éducatif national ainsi que dans certaines institutions nationales, notamment le CONATEL et la Banque de la République d’Haïti. Selon la Loi du 17 août 2017, le ministre de l’Éducation nationale est le président du Conseil d’administration du FNE. Il a donc l’obligation statutaire de rendre des comptes tous les trois mois et chaque année en publiant des rapports financiers et des audits de gestion administrative et financière. L’on observe que de 2011 à 2017 et de 2017 à 2025, les deux zélés « missionnaires » du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste –les ministres de l’Éducation Pierre Josué Agénor Cadet et Nesmy Manigat–, n’ont pas publié le moindre rapport financier et encore moins des audits de gestion administrative et financière du Fonds national de l’éducation. Le FNE, en réalité, ne rend compte à aucune institution nationale, certainement pas au Parlement haïtien hier handicapé et aujourd’hui maintenu en coma éternel. Le FNE, en réalité –au festin du partage gargantuesque des centaines de millions de dollars amassés de 2011 à 2025–, ne rend compte qu’aux barons mafieux du PHTK néo-duvaliérises : Michel Martelly, Laurent Lamothe, Joseph Jouthe, Claude Joseph, Evans Paul, Bochitt Edmond… Les ex-ministres de l’Éducation nationale Pierre Josué Agénor Cadet et Nesmy Manigat devront un jour prochain rendre compte par-devant la Justice haïtienne de leur gestion administrative et financière à la direction du système éducatif national : qu’ils aient été les « bénéficiaires passifs » ou d’« actifs bénéficiaires-rentiers » de la corruption au Fonds national de l’éducation et au PSUGO, ils sont imputables et responsables selon les lois haïtiennes actuellement en vigueur, notamment la Loi du 17 août 2017.
L’on observe que l’ex-directeur du FNE Jean Ronald Joseph a tenté de court-circuiter l’action intentée l’an dernier par le nouveau ministre de l’Éducation nationale Augustin Antoine, qui a officiellement demandé à la Cour supérieure des comptes, en octobre 2024, d’effectuer avec diligence un audit administratif et financier des neuf organismes placés selon la loi sous la tutelle du ministère de l’Éducation (voir l’article « Le ministre Augustin [Antoine] exige un audit financier des entités du ministère de l’Éducation nationale », Haïti express, 12 octobre 2024). Le Fonds national de l’éducation est l’un de ces organismes et Jean Ronald Joseph, qui n’a publié aucun rapport d’audit administratif et financier depuis que le PHTK l’a placé en décembre 2021 à la direction du FNE, s’est livré à une pavlovienne campagne de propagande dans la presse locale, croyant pouvoir ainsi échapper au diagnostic à venir de la Cour supérieure des comptes et se mettre en toute impunité à l’abri de la Justice (voir notre article « La corruption dans le système éducatif national d’Haïti / Le ministre Augustin Antoine dépose une demande d’audit financier et administratif à la CSCCA », Madinin’Art, 16 octobre 2024). D’octobre 2024 à novembre 2025, la Cour supérieure des comptes n’a publié aucun rapport intérimaire ou définitif en réponse à la demande nouveau ministre de l’Éducation nationale Augustin Antoine relative à un audit administratif et financier des neuf organismes placés selon la loi sous la tutelle du ministère de l’Éducation… Durant l’actuelle mandature d’Augustin Antoine, le FNE poursuit donc avec un gargantuesque appétit sa lucrative saga de détournement des finances de l’Éducation. Et le ministre Augustin Antoine –sans doute « neutralisé » par les zélés cadres-rentiers du PHTK néo-duvaliériste encore actifs au sein du ministère de l’Éducation nationale, n’a même pas pu démanteler le PSUGO, l’autre « vache à lait », l’autre vaste système de corruption et de détournement de fonds dans le secteur de l’éducation où sont scolarisés plus de 3 millions d’écoliers haïtiens (voir notre article « Le système éducatif haïtien à l’épreuve de malversations multiples au PSUGO » (Médiapart, Paris, 25 mars 2022).
Au chapitre de l’impunité, il y a lieu de préciser que les missionnaires stratèges du PHTK néo-macoute Joseph Jouthe, Pierre Josué Agénor Cadet et Nesmy Manigat n’ont pas obtenu la moindre « décharge », par la Cour supérieure des comptes, de leurs responsabilités régaliennes aux postes respectifs de Premier ministre et de ministre de l’Éducation nationale. En conséquence, toutes les actions qu’ils ont posées durant leurs mandatures sont réputées être inconstitutionnelles et illégales. Cette lecture constitutionnelle des actions menées par les différents Exécutifs haïtiens depuis 2015 –date à laquelle le Parlement haïtien a été mis hors-circuit par le cartel mafieux du PHTK néo-duvaliériste–, est partagée par les différents juristes que nous avons interrogés ces derniers mois : Haïti vit depuis 2015 sous un régime d’exception dans lequel la Constitution de 1987 est systématiquement violée et reléguée dans l’espace clos de la prison de la mémoire (voir l’article « Haïti : une démocratie sans élections ni institutions ? », par Nicolás Pedro Falomir Lockhart, Centre d’études interaméricaines / Institut québécois des hautes études internationales / Université Laval et Observatoire des Amériques, Université du Québec à Montréal, février 2015). NOTE 1– En ce qui a trait au rôle de l’ancien Premier ministre Joseph Jouthe dans le mécanisme politico-administratif d’invisibilisation de la corruption dans le système éducatif national, voir notre article « Haïti : la corruption au Fonds national de l’éducation : ce que nous enseigne le saint-Évangile de la transparence politique de Joseph Jouthe, ex-Premier ministre d’Haïti », Madinin’Art, 26 septembre 2024). NOTE 2 – Pour une compréhension documentée de la problématique de la corruption en Haïti dans ses dimensions sociologique, historique et politique, voir Jean Abel Pierre, « Sociologie économique de la corruption : vers une étude de l’implémentation des politiques publiques de lutte contre la corruption en Haïti », thèse de doctorat en sociologie, Université Paris-Sorbonne – Paris IV, 2014. L’auteur étudie de près, entre autres, les « Formes courantes de la corruption au sein de l’Administration publique », « Les réseaux de la corruption dans l’Administration publique » et « Les réseaux de la grande corruption politico-administrative ». Voir aussi, sur la corruption et la « cartélisation » de l’appareil d’État », Sarto Samuel Thomas, « L’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) face à l’accaparement de l’appareil d’État et à la corruption en Haïti » (mémoire de maîtrise en science politique, Université du Québec en Outaouais, 2020), et Pierre Fournier « Haïti, contextes social, historique, économique et le phénomène de la corruption » (Barreau de Montréal, 2016).
Le Fonds national de l’éducation est sous enquête de l’Unité de lutte contre la corruption depuis plusieurs mois…
Une perquisition a été effectuée le 4 juin 2024 dans les locaux du Fonds national de l’éducation par l’Unité de lutte contre la corruption, l’ULCC : « Des enquêteurs de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) ont perquisitionné les locaux du Fonds national de l’éducation (FNE) ce mardi 4 juin 2024. « Oui, j’ai donné un ordre de perquisition aux enquêteurs de l’ULCC ce matin concernant le FNE. L’ULCC a reçu plusieurs signalements, plaintes et dénonciations sur d’éventuels faits importants de corruption », a confié à Le Nouvelliste le directeur de l’ULCC, Me Hans Ludwig Joseph. « Cette perquisition, a-t-il poursuivi, fait partie d’une série d’actes d’enquête en cours. Les enquêteurs, dont des investigateurs numériques, sont sur les lieux pour collecter des données informatiques, faire la saisie de documents comptables et administratifs et auditionner des personnes indexées et tous autres concernés », a indiqué Me Joseph » (voir l’article « Des enquêteurs de l’ULCC ont perquisitionné le FNE », Le Nouvelliste, 4 juin 2024). L’Unité de lutte contre la corruption, qui a reçu plusieurs plaintes, est en train de parachever le dossier des malversations et du népotisme qui ont cours depuis plusieurs années au FNE… Il est attesté que ces malversations et détournement de fonds ont été couverts par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste et sa « vedette médiatique », l’ex-ministre de l’Éducation nationale Nesmy Manigat, ainsi que par l’ex-ministre de l’Éducation nationale Pierre Josué Agénor Cadet et l’ancien Premier ministre PHTKiste Joseph Jouthe. L’on observe que Jean Ronald Joseph, l’ancien directeur PHTKiste du Fonds national de l’éducation, aura certainement à répondre par-devant la Justice haïtienne des nombreuses malversations financières commises en toute impunité dans son fief : il devra entre autres expliquer pourquoi son « expertise » présumée de gestionnaire « hors pair » a coûté à l’État haïtien la rondelette somme de… 650 000 Gourdes par mois (4 875 $ US par mois). NOTE – Le « Bureau » de Jean Ronald Joseph comprenait 7 personnes et disposait d’un budget annuel de 24 000 000 Gourdes (180 005 dollars US), tandis que son « Cabinet » comprenait… 17 personnes et était doté d’un budget annuel de 49 000 000 de Gourdes (367 509 dollars US). Le salaire mensuel de Jean Ronald Joseph, de l’ordre de 650 000 Gourdes par mois (4 875 $ US), n’apparaît dans aucun audit financier du Fonds national de l’éducation : cette institution nationale, de 2017 à 2025, n’a publié aucun audit comptable relatif aux sommes qu’elle a perçues et dépensées (voir notre article « La corruption au FNE en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 », Rezonòdwès, 22 juin 2024). Les données relatives au salaire de l’ex-directeur Jean Ronald Joseph ont été confirmées, après vérification, par un regroupement de neuf institutions des droits humains de la société civile, « Ensemble contre la corruption », dans une « Note de presse / Relative à une gouvernance de rupture dans le pays au moment de la mise en place du Conseil présidentiel de transition (CРТ) » datée du 25 avril 2024. NOTE – À titre comparatif, l’on observe que « Selon la plus récente grille salariale du ministère des Finances, le salaire le plus élevé de l’enseignant de l’école classique au niveau du secteur public est celui octroyé aux professeurs à temps plein, soit 53 000 gourdes, montant brut, et 39 203 gourdes de salaire net, moins de 300 $US par mois. Et le plus bas salaire d’enseignant est celui donné aux professeurs à chaire simple, 25 800 gourdes brut et 18 426 gourdes net, moins de 150 $US par mois (voir l’étude « Condition enseignante misérable en Haïti », par Jean Brière Cadet, Xaragua Magazine, 9 février 2025).
L’« AVIS DE RECHERCHE No ULCC/SEI/11-25-002 » visant le délinquant-fugitif du PHTK néo-duvaliériste dénommé Jean Ronald Joseph sera-t-il suivi d’effet ?
Au pays du « kase fèy bliye sa » et de « l’enquête se poursuit », dans un État où règnent la « cartélisation » et la gangstérisation de l’appareil d’État, l’on observe que l’Unité de lutte contre la corruption a déjà acheminé plusieurs rapports à la Justice haïtienne.
Ainsi, « Le directeur général de l’Unité de lutte contre la corruption (l’ULCC), Me Hans Jacques Ludwig Joseph, a procédé ce mercredi 4 août [2021] en présence du ministre de la Justice Rockefeller Vincent, des représentants de l’OEA et des commissaires du gouvernement de la Croix des-Bouquets et de Port-au-Prince, à la remise à ces parquetiers, les différents rapports d’enquêtes produits par l’ULCC. 10 rapports au total finalisés et 70 requêtes transmis aux autorités de poursuite demandant la mise en mouvement de l’action publique contre près de 63 ex-maires des Départements de l’Ouest et des Nippes pour défaut de déclaration de patrimoine, a indiqué le directeur général Hans Joseph pour le bilan de sa première année à la tête de l’ULCC ». Et Me Hans Jacques Ludwig Joseph de poursuivre : « J’ai pris en ma qualité de directeur général de l’ULCC, le principal gendarme anti-corruption de la République, la décision de rendre public et accessible à tous et à toutes un résume exécutif de tous les rapports d’enquêtes que nous remettons en ce jour aux autorités de poursuites », a déclaré Hans Joseph, indiquant que cette démarche explique la position de l’ULCC qui malgré les vains efforts de certains pour jeter l’opprobre sur les actions courageuses et impartiales à rester déterminée dans l’objectif d’assainir l’administration publique » (voir l’article « 12 rapports de l’ULCC impliquant différentes personnalités sont transmis aux autorités judiciaires », Gazette Haiti News, 5 août 2021). [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
L’on observe que « Sous la direction de Hans Joseph, Directeur général de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC), l’institution a franchi un cap décisif dans la lutte contre la corruption et la gestion opaque des finances publiques en Haïti. En quatre années de gestion, l’ULCC a produit 50 rapports d’enquête détaillant des irrégularités financières et des pratiques de corruption au sein de l’administration publique. Par ailleurs, plus de 120 requêtes ont été transmises à la justice pour défaut de déclaration de patrimoine, selon une annonce faite par M. Joseph sur son compte X. Ce bilan représente une avancée majeure dans les efforts de l’ULCC pour promouvoir la transparence et la responsabilité dans l’administration publique haïtienne. Le défaut de déclaration de patrimoine, qui demeure un problème systémique au sein de la fonction publique, constitue l’un des piliers de l’impunité en Haïti. Ces requêtes, adressées à la justice, visent à renforcer l’obligation de régularisation de cette pratique, qui est à la fois un droit des citoyens et un outil essentiel pour prévenir le blanchiment d’argent et d’autres formes de corruption. L’envoi de ces rapports et requêtes aux autorités judiciaires offre une occasion unique de restaurer l’ordre dans la gestion des affaires publiques. Grâce aux preuves concrètes et documentées fournies par l’ULCC, les institutions judiciaires ont désormais l’opportunité de traiter ces dossiers avec la diligence requise » (voir l’article « ULCC : 50 rapports sur des cas de corruption financière et 120 requêtes de déclaration de patrimoine sous la direction de Hans Joseph », Vant bèf info, 28 décembre 2024). [Le souligné en italiques et gras est de RBO]
Sur son site officiel l’Unité de lutte contre la corruption informe que « Lors d’une cérémonie le 25 août 2022, l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) a remis à la justice haïtienne une dizaine de rapports d’enquête réalisés par ladite institution pour l’exercice 2021-2022. Dans son discours, le Directeur de l’ULCC M. Hans Ludwig Joseph a salué le travail effectué par son administration et a appelé la Justice à sévir contre les personnalités politiques et les agents publics dont les cas de corruption sont avérés dans ces dossiers » (voir l’article « Remise de 9 rapports d’enquête à la Justice haïtienne par l’ULCC », 26 mars 2024).
L’« AVIS DE RECHERCHE No ULCC/SEI/11-25-002 » visant le délinquant-fugitif du PHTK néo-duvaliériste dénommé Jean Ronald Joseph sera-t-il suivi d’effet ?
Les différentes sources documentaires que nous avons consultées attestent que l’Unité de lutte contre la corruption, ces quatre dernières années, a produit et acheminé à la Justice haïtienne 70 rapports d’enquête et 120 requêtes. Mais l’on observe que les délinquants identifiés dans ces rapports n’ont pas été formellement traduits en justice en dépit des preuves rassemblées par l’ULCC et des recommandations consignées dans les 190 documents légaux que l’ULCC remis à la Justice haïtienne…
L’ULCC aurait-elle enquêté sur les « petits poissons » et détourné son regard des « gros poissons » ? Autrement dit, l’Unité de lutte contre la corruption aurait-elle privilégié les dossiers d’acteurs de second plan au bénéfice des acteurs majeurs de la corruption qui, en très grand nombre, sont des caïds mafieux appartenant au PHTK néo-duvaliériste ou qui sont des alliés des détenteurs d’un pouvoir d’État profondément criminalisé et gangstérisé ? Le journalisme d’enquête, en Haïti, a du pain sur la planche…
Sur le site officiel de l’Unité de lutte contre la corruption et sur celui du ministère de la Justice, nous n’avons retracé aucun document de mise en accusation des caïds mafieux et acteurs majeurs de la corruption que sont Michel Martelly, Laurent Lamothe, Joseph Jouthe, Claude Joseph, Evans Paul, Bochitt Edmond, Nesmy Manigat… Seraient-ils, aux yeux de l’ULCC, des intouchables ? Seraient-ils une fois de plus des bénéficiaires directs de la rente impunitaire après avoir été des acteurs et des bénéficiaires de l’invisibilisation systémique de la chaîne de la corruption en Haïti ? Le journalisme d’enquête, en Haïti, a du pain sur la planche…
Il faut prendre toute la mesure que la société civile organisée a su par le passé mener combat contre l’impunité. L’Histoire récente des luttes citoyennes contre l’impunité en Haïti est ainsi riche d’enseignements. À cet égard, le combat du « Collectif contre l’impunité » de concert avec plusieurs plaignants demeure exemplaire : il a permis de lancer un procès historique contre le dictateur nazillon Jean-Claude Duvalier alors même qu’Haïti n’avait toujours pas entrepris sa déduvaliérisation.
RAPPEL / « Le procès contre Jean-Claude Duvalier a été un tournant historique pour la justice en Haïti. La décision de la Cour d’appel de Port-au-Prince du 20 février 2014 a reconnu que les crimes contre l’humanité commis sous son règne étaient imprescriptibles en droit international et qu’Haïti avait l’obligation d’enquêter et de punir les responsables. Cette décision a été rendue après que des victimes et des organisations haïtiennes de droits humains, aidés du Collectif contre l’impunité, aient déposé des plaintes pour qu’il réponde de ces crimes devant les autorités judiciaires haïtiennes. Le procès a été un résultat de la collaboration entre des avocats sans frontières et des ONG, et a souligné l’importance de l’État de droit et de l’égalité devant la loi en Haïti » (voir le rapport conjoint d’Avocats sans frontières Canada, de la Fédération internationale des droits humains et du RNDDH : « Affaire Jean-Claude Duvalier et consorts : « En Haïti, on poursuit l’enquête, pas les criminels », 20 mars 2018).
Pour mémoire, il est utile de rappeler que « Le 20 février 2014, la Cour d’appel de Port-au-Prince a rendu une décision historique dans la procédure contre l’ex-Président à vie Jean-Claude Duvalier et certains de ses complices, désignés comme « consorts ». Cette décision représente une étape importante dans la construction de l’État de droit dans le pays, et dans la reconnaissance de l’égalité de toutes et tous devant la loi. La décision fait ressortir les constats suivants :
–Personne n’est au-dessus de la loi. Peu importe son statut, une personne inculpée doit faire l’objet d’une enquête sérieuse pour ultimement déterminer sa culpabilité.
–L’Etat haïtien a la responsabilité de s’assurer que tous les droits fondamentaux des Haïtiens et Haïtiennes sont respectés. Les crimes contre l’humanité sont prohibés en droit international, lequel s’applique en droit interne haïtien.
–Haïti a l’obligation d’enquêter et de punir toute personne responsable de crimes contre l’humanité. L’écoulement du temps ne peut pas empêcher de poursuivre une personne pour des crimes contre l’humanité » (source : Affaire Duvalier / La décision de la Cour d’appel de Port-au-Prince du 20 février 2014 : une étape importante pour la justice en Haïti », Collectif contre l’impunité en Haïti & Avocats sans frontières Canada, 2018).
(*) Robert Berrouët-Oriol
Linguiste-terminologue
Conseiller spécial au Conseil national d’administration
du Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH)
Konseye pèmanan, Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti (APKA)
Membre du Comité international de mise à jour du Dictionnaire des francophones
Montréal, le 12 novembre 2025
