Haïti a-t-elle choisi son nouveau président ?

— Par Stéphane Louis-Gustave, Martiniquais ami d’Haïti —
A première vue, tout porte à le croire et, après plus d’un an de crise électorale et de blocage institutionnel, cela ressemble à une bonne nouvelle.
Cet extrait du « Monde » du 29 novembre 2016, dont tous les points sont avérés et incontestables, tendrait à le confirmer.
« En Haïti, Jovenel Moïse remporte la présidentielle au premier tour. Le candidat choisi par l’ancien chef de l’Etat Michel Martelly recueille 55,67%, selon les résultats officiels dévoilés lundi soir. Selon les observateurs nationaux et internationaux, les opérations de vote se sont déroulées dans des conditions satisfaisantes. Beaucoup mieux que le scrutin du 25 octobre 2015 qui avait été annulé à la suite d’une commission d’enquête faisant état de « fraudes massives » . Epuisée par une crise qui n’a cessé de s’aggraver et découragée par un processus démocratique chaotique et sans résultat concret, la population a largement boudé les urnes. La participation n’a été que de 21,69% » .
Les faits sont là, et a priori tout est dit! Les faits sont là, en effet, mais si cet article résume parfaitement la situation, il ne reflète pas pour autant la réalité.
Car pour des milliers et même des millions d’Haïtiens, il est manifeste qu’une fois de plus, Haïti n’a pas choisi son nouveau Président.
Haïti a probablement un nouveau président (car ces résultats, bien qu’officiels, sont encore provisoires), mais Haïti n’a pas forcement choisi son nouveau président!
Avec une telle avance sur le candidat arrivé en deuxième position, Judes Célestin, qui n’est crédité que de 19,52% des suffrages, cette victoire peut sembler incontestable et est présentée comme telle dans la presse internationale et dans les réactions diplomatiques. Mais c’est justement l’ampleur de cet écart qui rend ces résultats officiels totalement irréalistes et non crédibles.
Sans jeu de mot de mauvais goût, ce sont des résultats de république bananière.
La popularité, certes réelle, de Jovenel Moïse, ne peut pas suffire à expliquer un tel raz-de-marée(…)
Un rappel des précédents épisodes s’impose pour comprendre à quel point ce nouveau rebondissement est incroyable….et peu crédible.

Incroyable … et peu crédible

Il faut tout d’abord se rappeler que les résultats du premier tour d’octobre 2015, annulé suite à des fraudes massives avérées, plaçaient Jovenel Moïse en tête avec « seulement » 30% des voix environ (32,76% précisément).
Il faut se rappeler également qu’à l’époque, les observateurs internationaux et les pays dits « amis d’Haïti » , dont la France, avaient été les seuls, avec le PHTK (le parti de Michel Martelly et de Jovenel Moïse), à nier ces fraudes, qui ont par la suite été démontrées.
On peut donc tout d’abord se demander, pourquoi un candidat qui a bénéficié de fraudes massives n’a pas été éliminé de la suite du processus électoral, alors que d’autres candidats ont été éliminés en amont pour des raisons parfois totalement infondées.
On peut ensuite se demander par quel miracle ce même candidat qui a obtenu 30% des voix grâce à des fraudes massives, pourrait arriver un an plus tard à obtenir plus de 55% des voix, dès le premier tour, sans frauder.
Il faut aussi se rappeler que Michel Martelly a quitté le pouvoir, en février 2016, avec une impopularité record, pire que celle que connait François Hollande aujourd’hui en France. En effet, un an avant la fin de son mandat, des manifestations massives et répétées ont réclamé pendant plusieurs mois son départ anticipé et l’on forcé à se séparer de son Premier ministre Laurent Lamotte, avec lequel il formait un tandem indissociable.
On peut donc se demander par quel autre miracle son nouveau dauphin serait à ce point plébiscité aujourd’hui.

Un miracle ?

La possibilité pour un candidat de recueillir à lui seul plus de 50% des suffrages dans un tel contexte est mathématiquement extrêmement improbable et politiquement inexplicable, à moins qu’il ne s’agisse, là encore, d’un miracle.
On peut par ailleurs s’étonner que Jovenel Moïse soit aussi largement en tête dans l’ensemble du pays, même dans les bastions incontestés de l’opposition dans lesquels il n’a presque jamais pu mettre les pieds. Au total, il faudrait donc beaucoup, beaucoup, de miracles pour expliquer de tels résultats.
Pour ma part, j’ai du mal à croire aux miracles, et encore plus à la multiplication des miracles.
Il m’est d’autant plus difficile de croire à tous ces miracles en série que je n’ai pas oublié que Michel Martelly lui-même avait été « élu » avec, officiellement, près de 70% des voix au second tour face à Mirlande Manigat (67,57% très exactement). Cinq ans après, peu avant la fin du mandat de Michel Martelly, le directeur du Conseil Electoral Provisoire de l’époque, devenu entre-temps président du CEP, reconnaissait publiquement que ces résultats ne reflétaient pas le véritable choix des électeurs et qu’il découlait de fortes pressions extérieures exercées depuis le premier tour de cette élection.
Toutes ces raisons m’amènent à douter fortement des derniers résultats officiels et à penser que, contrairement aux apparences, Haïti n’a pas vraiment choisi son nouveau président.
Jovenel Moïse dispose indéniablement d’une relative notoriété après avoir mené, avec d’énormes moyens financiers (dont l’origine mériterait d’ailleurs d’être précisée), une campagne électorale qui aura finalement duré plus d’un an et demi. Il a également montré une grande persévérance et de réelles qualités politiques (…)
Mais comment espérer qu’aujourd’hui Haïti ne soit plus à genoux et se tienne débout, quand plus de 200 ans après avoir gagné militairement son indépendance, ses pays dits « amis » ne lui reconnaissent pas encore le droit élémentaire de choisir librement son président sans ingérence extérieure ?
Stéphane Louis-Gustave, Martiniquais ami d’Haïti

Paru dans F-A le 07/12/2016