Militant politique, enseignant, anticolonialiste
Guy Dufond est décédé le jeudi 2 octobre 2025 à l’âge de 94 ans. Figure du mouvement anticolonialiste martiniquais, il a consacré sa vie à la lutte pour l’émancipation nationale et sociale de la Martinique, à travers un engagement politique constant, un parcours d’enseignant marqué par la répression, et une action militante durable au sein de plusieurs organisations.
Né en 1931 dans une famille de petits fonctionnaires, Guy Dufond était originaire de Saint-Pierre par son père. Son engagement politique s’enracine dans une histoire familiale marquée par les luttes : un de ses ancêtres aurait participé à un complot d’esclaves, et son père, Roger Dufond, s’était rapproché dès les années 1920 des cercles communistes locaux.
Adolescent, Guy Dufond prend part à des actions populaires contre le régime de l’amiral Robert. En 1949, il découvre le marxisme et part à Paris pour y poursuivre ses études. Il y rejoint le Parti communiste français et milite activement au sein de l’Association des étudiants martiniquais de Paris, dont il devient responsable des relations extérieures. Il y soutient notamment les luttes des Vietnamiens et des Algériens pour leur indépendance. Durant cette période, il est arrêté lors d’une manifestation, brièvement emprisonné et blessé. Fiché par les Renseignements généraux, il revient en Martinique en 1957 pour échapper à la conscription.
Il commence alors à enseigner au lycée Schoelcher comme maître auxiliaire de lettres. En 1961, il est révoqué pour des raisons politiques. Il ne sera réintégré qu’en 1975, sans indemnisation. Il poursuivra sa carrière d’enseignant jusqu’à sa retraite en 1997. Son domicile, situé au 3 avenue Jean-Jaurès, aux Terres-Sainville, est durant ces années un lieu d’accueil pour la jeunesse militante et un espace de débats politiques.
En 1962, Guy Dufond devient l’un des membres fondateurs de l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique (OJAM), qui rédige le manifeste « La Martinique aux Martiniquais », affiché clandestinement dans toute l’île. La réaction de l’État est immédiate : dix-huit jeunes militants, dont Dufond, sont arrêtés, transférés clandestinement à Paris et incarcérés à la prison de Fresnes. Treize d’entre eux, dont lui, sont jugés lors d’un procès politique à Paris, du 25 novembre au 10 décembre 1963. Le procès se conclut par cinq condamnations et huit relaxes.
Guy Dufond est de nouveau arrêté en 1965, après des affrontements à Sainte-Thérèse entre la population et les forces de l’ordre. Il est relâché au bout de quelques semaines sous la pression de l’opinion publique. En 1966, il est encore interpellé à son domicile dans le cadre d’une opération policière visant des militants du Parti communiste martiniquais, dont il est alors membre du comité central.
Ses divergences stratégiques avec la direction du Parti communiste martiniquais, notamment sur la priorité à accorder à la libération nationale dans la lutte des classes, conduisent à la création du PKLS (Pati Kominis pou Lendépandans ek Sosyalizm) dans les années 1980, dont il est l’un des fondateurs.
Jusqu’à la fin de sa vie, il continue à défendre ses convictions. En 2023, une cérémonie d’hommage lui est consacrée au Teyat Otonom Mawon à Fort-de-France. À cette occasion, sa fille Karine Dufond évoque la souffrance de son père face à l’oubli de certains de ses anciens camarades, tout en réaffirmant son rôle essentiel dans les domaines de l’éducation, du syndicalisme et des luttes sociales. Lui-même affirmait encore récemment que « l’émotion ne suffit pas », appelant à la poursuite des combats pour l’émancipation.
Guy Dufond laisse le souvenir d’un homme de principes, dont l’action a marqué plusieurs générations d’élèves, de militants et de travailleurs martiniquais. Son parcours, inscrit dans l’histoire politique de l’île, reste associé aux grandes étapes de la lutte anticoloniale et à la défense résolue de la justice sociale.
Un hommage lui sera rendu mardi 7 octobre 2025, de 18h à 21h30, dans le hall du stade de Dillon. Ses obsèques auront lieu mercredi 8 octobre à 8h30 à la salle omniculte de La Joyau.
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Déclaration de la CGTM
A la suite du décès de Guy DUFOND
Guy DUFOND nous a quittés le 2 octobre 2025 à l’âge de 94 ans des suites d’une longue maladie. Cet homme remarquable fait l’objet de nombreux éloges de ceux qui ont eu le privilège de le connaître et de le fréquenter. Militant communiste, membre fondateur de l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de la Martinique (OJAM), membre fondateur du PKLS, Guy avait une conviction et un engagement profonds. Il nourrissait ceux qui voulaient l’écouter de ses pensées concrétisées par des actions qui lui ont valu plusieurs fois un passage par la case prison et de nombreuses tracasseries judiciaires et administratives. Cet enseignant de profession fut une des victimes de l’ordonnance scélérate de De Gaulle d’Octobre 1960 qui organisait la mutation d’office de fonctionnaires pour leurs idées lorsqu’elles s’écartaient du fil directeur gouvernemental.
Notre camarade Guy DUFOND a toujours campé sur sa position vis-à-vis de l’Etat colonial, en dépit de tous ces avertissements comme un Rété twankil nou ka véyéw. Cela ne l’arrêtait pas. Comme notre camarade Walter GUITTEAUD, comme Georges MAUVOIS, il a préféré ses idées, ses convictions, l’enracinement à sa terre avec la perte de son emploi, plutôt que l’exil. Vingt années de luttes qui ont abouti à l’abrogation des ordonnances scélérates. On le voyait partout, dans la lutte quand le peuple se faisait écraser.
Notre camarade Guy DUFOND auquel il faut associer Walter GUITTEAUD, a longtemps milité au sein de la CGTM. Son expérience des luttes nous était profitable autant au sein du SMPE CGTM qu’à la Confédération.
Affaibli par la maladie, Guy acceptait des entrevues, mais jamais sans son polo rouge marque de son attachement à la cause syndicale.
L’image que nous devons garder de Guy DUFOND c’est celle d’un arbre colossal aux multiples branches, enraciné dans son terroir martiniquais dont les fruits variés furent abondamment partagés.
A sa fille Karine, à toute sa famille, à tous les membres des organisations auxquelles il a activement participé, la CGTM adresse ses sincères condoléances.
La CGTM demande à TOUS ses membres de s’associer à l’hommage qui lui sera rendu, dans le respect de ses dernières volontés et de celles de sa famille proche.
Le mardi 08 octobre 2025 au salon d’honneur du stade Pierre ALIKER et le mercredi 09 octobre 2025 à la Joyau.