— Par Jean-Marie Nol —
Pourquoi le risque de disparition de la classe moyenne en Guadeloupe n’a jamais été aussi élevé ?
La question de la paupérisation voire même de la disparition dans un proche avenir de la classe moyenne en Guadeloupe s’inscrit dans un contexte beaucoup plus large, marqué par l’émergence de l’intelligence artificielle et ses conséquences redoutées sur l’emploi, notamment dans le secteur public. Selon une étude relayée par les médias et publiée le 30 septembre , 427.500 fonctionnaires français pourraient être remplacés à moyen terme par des systèmes automatisés, ce qui représenterait près de 8 % des effectifs de la fonction publique. Ce chiffre, vertigineux, illustre la profondeur de la transformation en cours : l’IA n’est plus seulement un outil, elle s’impose désormais comme un acteur à part entière de l’organisation des sociétés modernes. Si certains métiers liés au traitement administratif, à la gestion documentaire ou à la comptabilité sont en première ligne, cette lame de fond ne laisse personne totalement indemne. Même les professions où la dimension humaine reste centrale, comme la santé, l’éducation ou la sécurité, voient apparaître des applications d’assistance qui redéfinissent peu à peu les contours du travail. Cette mutation, présentée par certains comme une opportunité de libérer du temps pour des missions à plus forte valeur ajoutée, est vécue par d’autres comme une menace directe sur leur statut, leur rôle et, in fine, leur existence professionnelle. Et que penser de cette annonce qui a surpris son monde lors du Snapdragon Technology Summit à Maui, Hawaï. La société Humain, financée par le Fonds d’investissement public d’Arabie saoudite, a levé le voile sur le Horizon Pro, un ordinateur portable qui entend placer l’intelligence artificielle au cœur de l’expérience utilisateur. Son mantra : « opérer 100 fois plus vite que la pensée humaine ».Avec le Horizon Pro, Humain et Qualcomm ne se contentent pas de lancer un nouveau PC ; ils proposent une vision audacieuse de ce que pourrait être l’ordinateur de demain, où l’IA n’est plus un simple assistant, mais le véritable moteur de l’expérience d’une nouvelle technologie qui pourrait accélérer la disparition de nombreux emplois.Cela pose des questions sur la capacité de la Guadeloupe à relever le défi de la révolution de l’intelligence artificielle .L’IA pourrait prendre en charge 30 % à 40 % des tâches humaines dans un avenir proche.
Des métiers verront leurs tâches évoluer, libérant du temps pour l’innovation, mais beaucoup vont aussi disparaître.Par exemple, les emplois dans le secteur de l’administration et de l’assistance clientèle pourraient être particulièrement touchés, les IA étant capables de gérer des interactions basiques avec les clients. Cependant, cette transformation du marché du travail soulève des questions sur la manière dont les travailleurs devront s’adapter à ces changements rapides.
Une superintelligence pourrait émerger d’ici 2030, transformant la recherche scientifique.
GPT-5, modèle d’OpenAI, montre déjà des performances impressionnantes .
L’IA, un séisme annoncé pour le service public.
La transformation numérique du secteur public n’est pas nouvelle, mais l’IA change la donne. D’après cette étude menée par le cabinet Roland Berger et relayée par Forbes France, près de 427.500 postes de la fonction publique pourraient être entièrement automatisés. Cela représente environ 8 % de l’ensemble des effectifs publics.
Il ne s’agit pas seulement de quelques ajustements techniques. Ce sont des pans entiers de métiers administratifs, notamment liés à la gestion de dossiers, à la comptabilité ou encore à la logistique, qui pourraient basculer vers des systèmes automatisés. En parallèle, 35 % des tâches quotidiennes de la fonction publique seraient partiellement transformées par l’IA.
En Guadeloupe, territoire où la fonction publique représente une part considérable de l’emploi et où les revenus publics structurent encore l’essentiel du socle social, l’impact potentiel de cette automatisation est vertigineux. La classe moyenne locale, déjà fragilisée par la stagnation des revenus, la flambée du coût de la vie et la pression fiscale, risque de se retrouver en première ligne de ce séisme technologique. Autrefois pilier de la société départementalisée, héritière des promesses d’égalité et de mobilité sociale offertes par la République, elle se voit désormais entraînée dans une spirale de déclassement et de désenchantement. Le malaise n’est pas qu’économique : il est existentiel. Là où hier le travail, l’épargne et l’investissement immobilier constituaient des gages de sécurité et d’ascension, aujourd’hui ces repères vacillent. Les salaires n’évoluent pas au rythme des prix, l’épargne se dévalorise face à l’inflation et les charges liées au logement, aux impôts locaux ou à la santé deviennent de véritables gouffres financiers.
La fracture se double d’une insécurité croissante, vécue au quotidien par ces familles qui constituaient jusqu’ici le cœur stable de la société guadeloupéenne. L’ insécurité et les agressions récentes en plein jour à Pointe-à-Pitre est l’illustration de cette inquiétude diffuse qui alimente un climat de peur et de repli. Les classes moyennes, qui aspirent à la tranquillité et à la stabilité, se retrouvent exposées à une violence sociale qu’elles ne savent ni comprendre ni maîtriser. Ce contexte nourrit une défiance grandissante vis-à-vis des institutions et des élus, perçus comme incapables d’apporter des réponses crédibles à la perte de repères collectifs. Le rapport de l’OCDE rappelant qu’il faut désormais six générations en France pour qu’un enfant issu d’un milieu modeste atteigne le revenu moyen national illustre à quel point la mobilité sociale est en panne, et à quel point ce constat pèse lourd sur l’avenir de la jeunesse guadeloupéenne.
Car ce sont bien les jeunes qui subissent de plein fouet cette paupérisation silencieuse. Face à un marché de l’emploi restreint, peu attractif et souvent verrouillé par les générations précédentes, ils peinent à s’installer durablement dans la classe moyenne. Nombreux sont ceux qui choisissent l’exil vers la métropole ou l’étranger, où les perspectives d’emploi apparaissent plus prometteuses. Ceux qui restent affrontent des conditions précaires et une compétition accrue, accentuée par la menace de l’automatisation. Les diplômes intermédiaires, autrefois gages de stabilité, sont devenus insuffisants pour résister à l’évolution rapide des technologies et des exigences du marché. Ainsi, même lorsque l’emploi est là, il ne garantit plus l’ascension sociale.
Cette spirale de déclassement prend des allures de trahison pour une classe moyenne qui se sent sacrifiée. Ni assez pauvre pour bénéficier des aides sociales, ni assez riche pour s’affranchir des contraintes économiques, elle devient l’otage silencieuse d’un système qu’elle finance sans en tirer de bénéfices. Elle est le grand oublié des politiques publiques, éclipsée par des débats institutionnels ou statutaires qui ne répondent en rien à ses préoccupations quotidiennes. Elle se découvre vulnérable, marginalisée et surtout désabusée. Plus de 80 % des Guadeloupéens issus de cette catégorie pensent que leurs enfants vivront moins bien qu’eux, un constat qui traduit l’effondrement du rêve de progrès et d’égalité sociale sur lequel reposait le projet départementaliste.
La paupérisation de la classe moyenne guadeloupéenne n’est donc pas seulement un phénomène économique. Elle marque une rupture profonde avec l’imaginaire collectif du progrès et de la stabilité qui avait façonné l’archipel depuis la départementalisation. Elle agit comme une onde de choc silencieuse, redéfinissant l’équilibre social et projetant une ombre inquiétante sur l’avenir. Le cœur même de la société vacille. Et si ce cœur venait à disparaître, que resterait-il du progrès économique, du lien social et du rêve d’un futur meilleur ? La réponse n’est pas encore écrite, mais elle détermine déjà les contours du destin de la classe moyenne guadeloupéenne, et surtout la réponse à l’illusion d’un changement statutaire de nature à aggraver le mal .
Jean Marie Nol économiste et juriste en droit public