« Gouverneurs de la rosée », de J. Roumain, adaptation et m.e.s. de D. Marcelin

 — Par Roland Sabra —

« Roméo et Juliette » entre obscurantisme et lutte pour la survie.

Traduit dans de nombreuses langues, transposé au cinéma par deux fois, très souvent adapté au théâtre le roman de Jacques Roumain est aujourd’hui un bien universel, intemporel et à ce titre le combat autour de l’eau autour duquel il s’articule est d’un actualité… brûlante.

Manuel est de retour à Fonds Rouge, après dix années passées à Cuba au cours desquelles comme ouvrier agricole, il a découvert la lutte des classes et ses combats perdus, gagnés, toujours recommencés. Il retrouve un pays fracassé, traversé par des conflits sanglants, des haines immuables, un pays déboisé, asséché, vidé de sa substance par le passage d’une économie pré-capitaliste, caractérisée par une propriété communale des terres, des valeurs de solidarité, de paix, de concorde et d’entraide symbolisées par le coumbite, à une économie de l’appropriation avec le partage des terres et ses conflits consubstantiels. Les sources ont disparu. Les champs ne sont que poussière et misère. Ce temps n’est plus où « on vivait tous en bonne harmonie, unis comme les doigts de la main et le coumbite réunissaient le voisinage pour la récolte ou le défrichage »

Manuel revenu de l’ailleurs, comme figure d’une altérité pourtant familière, tel un Christ noir combattant l’obscurantisme et la résignation se veut par sa parole et par son geste le ré-unificateur de la communauté. Il dit : «   Je dis vrai : ce n’est pas Dieu qui abandonne le nègre, c’est le nègre qui abandonne la terre, il reçoit sa punition : la sécheresse, la misère et la désolation. ». Fonds Rouge doit retourner à ses sources, celles de ce « communisme primitif » évoqué par Marx et Engels que Jacques Roumain, fondateur et secrétaire du Parti Communiste Haïtien a lu et relu.

Manuel va rechercher une source capable d’alimenter et de réunifier les deux camps, celui des Dorisca et celui des Sauveurs. Manuel en Montaigu haïtien va rencontrer sa Juliette Capulet encombrée de son Gervilen Gervilus comte Pâris. Manuel sera crucifié sur l’autel des sources et offrira son sacrifice à la communauté.

C’est par l’évocation de cet acte oblatif que se présente la scène d’ouverture de l’adaptation et la mise en scène de Daniel Marcelin. L’issue est posée, la suite va consister à en retrouver le cheminement. Façon habile de construire la dramaturgie et qui produit ses effets. Mais le rythme sur le chemin est escarpé, lent, long et difficile. La mise en scène n’a pas pris en compte la dimension du plateau de la salle Aimé Césaire qui permettait par des jeux de lumières et de noirs des transitions plus vives. La vieillesse des pères et mères par trop soulignée lors de déplacements à pas trop comptés, trop mesurés finissait par peser et provoquer la somnolence d’une partie du public, néanmoins réveillé par des vociférations qui souvent butaient sur la première syllabe des mots. Cette lenteur dans le mode d’exposition s’est traduite par un allongement de vingt minutes de la pièce ( 2h 10 au lieu des 1h 50 annoncés sur la fiche technique) que le surjeu tendanciel des comédiens soulignait davantage.

Reste la beauté subjuguante et indépassable des thèmes abordés par Gouverneurs de la rosée, notamment celui d’un humanisme flamboyant construit autour de valeurs de sauvegarde de la nature, de préoccupations écologiques, de concepts annonciateurs d’une actualité vive comme celui de bien commun. La mise-en-scène ne les évacue pas sans pour autant les valoriser, tout comme les contradictions internes qui travaillent les personnages sont justes évoquées sans être approfondies.

Cela étant pour toutes celles et tous ceux qui portent en eux une part d’Haîti le plaisir d’entendre le texte de Jacques Roumain était immense.

Fort-de-France, le 12/10/2018

R.S.

« Gouverneurs de la rosée » le 11 octobre 2018 Tropiques-Atrium

Adaptation théâtrale & Mise en scène : Daniel Marcelin
Assistante mise en scène : Kettelonne Pamphile
Avec : Innocent Régis, Diana Jean Saint-Louis, Miracson Saint-Val, Taïna Dachkar Ambroise, Donel Charles, Danilov Thelisma & Sadrac Jean