Goethe, le « Divan oriental-occidental » (1815)

À propos de la Weltliteratur ( littérature universelle) et de la religiosité goethéenne

— Par Michel Pennetier —

Je commencerai mon propos en vous lisant un poème du « divan » qui évoque l’ état d’âme de Goethe lorsqu’il commença à écrire cette œuvre.

Dans le présent, le passé

La rose et le lys nimbés
De rosée matinale
Fleurissent dans le jardin proche.
A l’arrière plan, buissonneux et familier
Le rocher se dresse vers les hauteurs.
Et entourée d’une haute forêt
Couronnée par un château-fort
S’étend la courbe des sommets
Jusqu’à ce qu’elle se réconcilie avec la vallée.

Et l’air est parfumé comme jadis
Quand nous souffrions d’amour
Et que les cordes de notre psautier
Se disputaient avec le rayon matinal.

Puisque les forêts croissent éternellement,
Prenez courage à leur présence,
Ce dont vous avez joui jadis,
Peut profiter à d’autres
Personne ne nous reprochera
D’être égoïstes.
En chaque génération
Il faut savoir jouir de la vie.

Et avec ce chant et ces propos
Nous voici de nouveau chez Hafez
Car il est de bon aloi
D’apprécier l’accomplissement du jour
Avec ceux qui savent en jouir.

 

Ce poème d’inspiration épicurienne, pourrait-on dire – ou plutôt « hafezienne » , selon l’allusion au poète persan à la dernière strophe- poème d’un sexagénaire qui revoit un paysage allemand de sa jeunesse ( château-fort, montagne, forêt, jardin fleuri) sans nostalgie puisqu’il y a une éternité de la nature. Sa génération est invitée à suivre son chemin : savoir apprécié la vie,même déclinante et ignorer tout ressentiment face au temps qui passe,et laisser doucement la place aux jeunes. Ni inquiétude, ni sentiment tragique. Acceptation sereine du cours de la vie . Vous comparerez avec le poème que je vous lirai à la fin de ces propos pour mesurer l’espace de la méditation goethéenne de la vie.

A- LA QUESTION DE LA « WELTLITERATUR »

I – Les circonstances de l’écriture

Goethe écrivit ce recueil de poèmes en l’année 1815. Il est à considérer comme une œuvre de maturité, sinon de vieillesse ( Goethe a plus de soixante ans). C’est une année heureuse pour le poète : les guerres napoléoniennes viennent de se terminer, de Weimar, il fait un voyage de retour à son pays natal ( Francfort-sur le Main) et revoit de nombreux amis, enfin il tombe une fois de plus amoureux… et follement ! Cette fois ce sera la jeune Marianne von Willemer. Le sujet principal du recueil, c’est l’amour en toutes ses dimensions, de l’amour sensuel à l’amour spirituel. L’autre motif, ce sera le vin, boisson spirituelle ( consommée avec art, en écho au poète iranien du 13e siècle, Hafez, en qui Goethe reconnaît un frère en poésie. L’Orient dont il s’agit ici , c’est donc le Proche Orient , ce qui inclut Israël ( la Bible) dont Goethe est familier depuis son enfance , la religion musulmane avec le personnage de Mohamed ( pour qui Goethe avait écrit un poème dans sa jeunesse) , l’Iran, ses poètes mais surtout Hafez avec lequel il dialogue et aussi l’ancienne religion iranienne, le zoroastrisme pour laquelle Goethe a une particulière prédilection, religion écologique, dit-il dans ses commentaires qui accompagnent le recueil de poésie.

II- La structure du recueil

Pour que vous preniez conscience de l’ampleur de ce recueil et de sa structure, je pense devoir vous donner une idée de sa composition. D’ailleurs Goethe, prévoyant la difficulté de ses compatriotes à entrer dans cette œuvre à la fois à cause du sujet, l’orient et de la composition du recueil a lui-même écrit une annonce dans le journal « Morgenblatt » en 1818 en un peu plus de deux pages où il précise le sujet de chaque livre Le recueil se divise en 12 livres ( chapitres) dont les titres sont les suivants :

1-Le livre du poète : Goethe évoque sa profession de foi musulmane, sa rencontre avec Hafez, son regain d’amour de la vie

2-Le livre de Hafez plus précisément sa rencontre avec Hafez

3- Le livre de l’amour : thème central du recueil

4- Le livre des contemplations….

5- Le livre de la mauvaise humeur : Il est rare que Goethe s’adonne à la critique. Critique du dogmatisme des docteurs de la Loi. Goethe se range du côté des soufis

6- Le livre des sentences : ici encore reprise des procédés stylistiques et de l’esprit de la littérature orientale

7- Le livre de Timur : Le grand conquérant de l’Asie centrale. Goethe est fasciné par ce genre de personnage qui illustre la puissance du désir par delà le bien et le mal. ( cf Napoléon)

8- Le livre de Suleika ( dont le sujet est encore l’amour mais adressé à une seule personne ) . Goethe évoque avec la figure de Suleika son amour pour Marianne von Willemer. Dialogue avec la bien-aimée. D’ailleurs certains poèmes auraient été écrits par la jeune femme

9- Le livre de l’échanson ( le vin comme boisson spirituelle)

10-Le livre des paraboles qui sont l’un des procédés stylistiques de la pensée orientale

11- Le livre du Zoroastrien ( le Parsi) : un idéal goethéen de civilisation

12- Le livre du Paradis : C’est un paradis musulman avec la présence des houris. Le poète y retrouve celle qu’il a aimé. Evocation de l’essence de l’amour. Le paradis est-il un reflet de la vie terrestre ou l’inverse ?

Enfin quelques poèmes qui ne trouvèrent pas place dans cet ensemble.

Je n’insisterai pas sur le nombre 12, nombre de la perfection et de l’achèvement ( les douze apôtres, les douze mois de l’année etc). Goethe veut faire du divan une œuvre achevée et complète qui parcourt la terre et le ciel et ouvre sur l’universel symbolisé par sa « rencontre » avec Hafez.

Le Divan est donc un monde que nous parcourons entre la terre et le ciel, l’humain et le divin, entre la vie personnelle de Goethe et le monde oriental.Il peut y avoir des liens entre des poèmes de chapitres différents. Finalement le Divan ressemblerait à un tapis persan où les motifs et les couleurs se font écho et s’harmonisent ( la comparaison est de moi-même). Ce qui fait l’unité du recueil, c’est celle du monde dont les différents éléments se répondent à différents niveaux, grâce à la démarche symbolique ( j’y reviendrai).

III- Notes et commentaires

Mais le Divan, ce n’est pas seulement le recueil de poèmes. Il est suivi d’un traité de 97 pages ( « Notes et commentaires pour une meilleure compréhension du Divan oriental-occidental ») où Goethe développe sa connaissance approfondie de l’Orient à travers ses différentes facettes. Ce travail de synthèse fait de Goethe l’un des experts de l’Orient à son époque ( il est alors conseiller pour les civilisations orientales à l’Université de Iéna).

Je ne citerai qu’un passage des « Notes et commentaires »où Goethe présente la religion la plus ancienne de l’Iran, le zoroastrisme ( appelée aussi « religion parsie ) pour laquelle le poète semble avoir une particulière prédilection. Le zoroastrisme est un monothéisme qui voue un culte à la lumière, au soleil, vénère le feu qui brûle éternellement dans les temples et dont l’éthique s’oriente à l’entretien de la nature et à la santé de l’être humain.

«  Il est important de remarquer que les anciens Parsis ne vénéraient pas seulement le feu ; leur religion est fondée sur la dignité de tous les éléments dans la mesure où ils annoncent l’existence et la puissance de Dieu. D’où la crainte sacrée de polluer l’eau, la terre, l’air. Un tel respect de tout ce qui est naturel et environne l’homme, conduit à toutes les vertus sociales : l’attention, le travail, la propreté en sont la conséquence … Tout ce qui était éclairé par le sourire du soleil, était entretenu avec le plus grand soin, et surtout les raisins, les véritables enfants du soleil »

IV – Pourquoi l’Orient ? La notion de « Weltliteratur »

D’abord une question littéraire : qu’est-ce qui a incité Goethe à se tourner vers l’Orient ( et donc en bonne partie vers le monde musulman) au moment où naît le mouvement national en Allemagne comme réponse à l’invasion napoléonienne et où le second romantisme privilégie le passé allemand, ses légendes, ses contes et ses épopées ou sa religiosité catholique. Mais on verra que Goethe se trouve dans le sillage d’un mouvement de découverte de l’Orient depuis environ 1770 avec Herder notamment qui introduit la notion de « esprit des peuples ». Et ce qu’il promeut avec le « Divan » , c’est une Weltliteratur, une littérature universelle. Qu’entend-il  par là ?

Depuis les Croisades, puis la conquête turc jusqu’à Vienne, l’islam a été sans aucun doute un repoussoir pour la mentalité européenne. Cependant , un intérêt naît au cours du 18e siècle. On citera bien sûr «  Les lettres persanes » de Montesquieu bien que le sujet ne soit pas la Perse mais le regard d’un étranger sur la société française, ce dernier représentant la raison. Beaucoup plus décisive est la pièce de Lessing «  Les trois anneaux » qui célèbre la fraternité et la tolérance entre un juif, un chrétien et un musulman à Jérusalem au temps des croisades. Mais c’est Herder, ami de Goethe, philosophe de « l’esprit des peuples » qui initie les Allemands à la culture musulmane et à sa suite se constitue la recherche universitaire en Allemagne sur le monde musulman (beaucoup de traductions paraissent en Allemagne depuis la fin du 18e siècle.) Goethe participe à ses recherches et lit les traductions d’auteurs orientaux qui paraissent dans les années 1800.

VI-La rencontre spirituelle avec Hafez

C’est ainsi qu’il découvre le Divan de Hafez et c’est le coup de foudre !

Mais par ailleurs, si l’on veut bien considérer que la Bible est une production moyen-orientale, alors il faut prendre conscience du fait que Goethe est initié à la poésie orientale depuis l’enfance par son éducation protestante. Le « Cantique des cantiques » qui dit l’amour divin sous les traits de l’amour entre un homme et une femme est le prototype du symbolisme qui est au fondement de la poésie persane comme de l’oeuvre de Goethe.

Diwan désigne simplement en persan un registre puis un recueil de poésies. La poésie de Hafez est magnifique mais complexe, fondée sur les possibilités de la langue persane, sur une technique poétique très élaborée. La plupart des poèmes s’adressent à «  l’Ami » pour lequel le poète éprouve une immense nostalgie. C’est une rencontre amoureuse jamais achevée.

La rencontre entre deux âmes est un mystère. Pourquoi lui, pourquoi moi ?», s’interroge Montaigne à propos de son amitié avec La Boëtie. Goethe en donne une image symbolique dans le poème «  Gingo biloba » qu’il avait adressé à Mme de Stein, longtemps avant qu’il ne l’ait introduit dans le Divan. Le Gingo biloba est un arbre chinois qui a la particularité de former de jolies feuilles doubles, collées l’une à l’autre.

La feuille de cet arbre,qui venant de l’Orient
Fut confiée à mon jardin,
Donne à goûter un sens secret
De même qu’elle édifie le sachant.

Est-ce un être vivant
Qui s’est divisé en lui-même ?
Sont-ce deux qui se sont choisis
Afin qu’on les reconnaisse comme un seul

Pour répondre à une telle question
Je crois avoir trouvé le vrai sens ;
Ne sens-tu pas en mes chants
Que je suis un et double ?(1)

Qu’est-ce qu’une rencontre ? demande le philosophe Jean-Luc Nancy dans le livre qu’il écrivit avec Carolin Meister sous le titre « Rencontre ». C’est plus qu’un échange, plus qu’un dialogue, elle met en jeu plus que la parole, elle touche au tréfonds de l’être. Certains penseurs chinois taoïstes s’y sont penché avec bonheur car ils étaient les maîtres de l’impalpable, des énergies invisibles qui traversent le monde, le jeu du yin et du yang qui défie l’espace et le temps Ainsi dit l’un d’eux la corde d’une lyre vibre ici en Chine et en même temps une autre vibre en résonance à l’autre bout du monde. Le monde est fait de résonances subtiles. Et c’est ainsi qu’il faut lire le Divan de Goethe. Il est en résonances subtiles avec l’Orient et notamment avec l’oeuvre de Hafez. Ce sont comme deux instruments différents qui au delà du temps et de l’espace s’accordent mystérieusement.

Le philosophe et sinologue, François Jullien évoque cela en parlant de la rencontre d’un Occidental, formé à Platon, Aristote, le christianisme etc… avec la pensée chinoise qu ‘il désigne comme le tout autre de l’Occident. Il s’agit alors de franchir un écart, de faire un pas de côté sans pour autant se renier mais au contraire en élargissant ou approfondissant son propre esprit . Pour la rencontre entre la Chine et la culture française, je vous citerai le merveilleux poète d’origine chinoise, François Cheng , émigré en France à l’âge de 18 ans, aujourd’hui âgé de 93 ans , qui a si bien assimilé la langue et la culture française qu’il est devenu membre de l’Académie française. Son œuvre poétique est une merveilleuse synthèse entre orient et occident telle que Goethe la rêvait en 1815.

Goethe en opposition aux romantiques nationalistes

Ajoutons qu’à son époque, il y a ici chez Goethe une réaction sous-jacente dirigée contre les romantiques de la deuxième génération qui sous le choc des guerres napoléoniennes se tournent vers le nationalisme et privilégient le passé et la culture allemande populaire. Or – et c’est là le paradoxe- Goethe est lui-même l’un des initiateurs dans sa jeunesse du retour au passé culturel allemand, trop négligé à cause de la domination culturelle de la France au 17e et 18e siècle et de l’effondrement politique des Allemagnes après la guerre de Trente Ans . Les thèmes dit germaniques abondent dans son œuvre: pensons au mythe de Faust, Götz von Berlichingen, à la revitalisation du Volkslied ( la chanson populaire) etc… Il fallait en quelque sorte « décoloniser » la culture allemande. Mais Goethe ne s’arrête pas là, il découvre l’Italie, avec qui il a une affinité élective, Son séjour en Italie représente dans sa vie une guérison, il traduit Diderot en allemand et il se sent profondément redevable à l’égard de la littérature française, il est bouleversé par le théâtre de Shakespeare et finalement aborde l’Orient. Il a lu au moins deux romans chinois traduits à son époque et il y trouva une sensibilité proche de l’une de ses œuvres , « Hermann et Dorothéa ». Il n’a pas connu le «  Dao de jing «  de Lao ze qui ne fut traduit qu’au début du 20 e siècle par le pasteur sinisant Richard Wilhelm. Je crois ( par expérience) que cela aurait été pour Goethe un coup de foudre au moins aussi considérable que celui qu’il ressentit lors de sa rencontre avec l’oeuvre de Hafez. Je pourrai évoquer dans notre conversation qui suivra, pourquoi j’en suis convaincu. Toute l’oeuvre de Goethe est tendue vers l’élargissement , la rencontre de l’autre, l’assimilation de l’étranger à sa propre personnalité, comme si celle-ci était en attente d’une diversité ou encore comme si elle la contenait déjà virtuellement. Rien de ce qui est humain ne lui est par essence étranger. C’est la définition même de l’humanisme.

B- LA RELIGIOSITE GOETHEENNE

Je passe au second volet de mon propos : la religion de Goethe telle qu’elle apparaît dans le « Divan ». Mais on ne peut se contenter de ce qui apparaît dans le Divan pour connaître la religiosité goethéenne. Il faut jeter un regard sur l’ ensemble de son évolution spirituelle pour comprendre ce qui affleure dans les poèmes du Divan.

Premier point : Goethe est né dans une famille protestante, non pas en tant que fils de pasteur comme la majorité des écrivains allemands, mais il a reçu une solide formation biblique et s’y est passionné puisque jusqu’à l’adolescence , il a lu la Bible , non seulement dans la traduction de Luther, mais aussi en hébreux et en grec. La langue de Goethe en reste profondément marquée. Souvenons nous du début de Faust quand l’érudit se propose de traduire la Bible, mais il s’interroge sur la première phrase «  Au commencement était le Verbe ». Comment la Parole pourrait-elle être première ? S’interroge-t-il. Et finalement il traduit «  Am Anfang war die Tat «  ( au commencement était l’action) . Die Tat, c’est-à-dire la pulsion originelle qui mène à la création, que ce soit au niveau personnelle comme au niveau cosmique. Par ailleurs, à peu près à la même époque ou un peu avant, le jeune Goethe est souffrant physiquement et traverse une crise psychologique et existentielle. Il rencontre une dame piétiste à Francfort, Fräulein von Klettenberg qui l’initie à la méditation religieuse. Il en restera des traces importantes chez Goethe puisque cette personne devient un personnage littéraire, la « Belle Âme » dans les « Années d’apprentissage de Wilhelm Meister » et plus tard encore dans les « Années de voyage » elle apparaît comme une sainte goethéenne, Makarie qui vit en harmonie avec le cosmos– mais là nous ne sommes plus tout à fait dans le christianisme!

Il y a une chose que Goethe a eu énormément de mal à assimiler à sa vision du mon c’est précisément la question du mal et de la souffrance. Il en a en partie détourné le regard, non par indifférence mais au contraire à cause de son extrême sensibilité. On sait la réponse qu’il apporte dans « Le prologue dans le ciel » de sa tragédie « Faust » où après les anges qui chantent la magnificence de la création apparaît Méphisto qui décrit la misère des hommes sur cette terre où tout va « merveilleusement mal « . Mais la réponse du Seigneur est la suivante :

«  Es irrt der Mensch solang er strebt » l’homme se trompe tant qu’il s’efforce vers un but. Cet homme, Faust, je le conduirai bientôt vers la lumière ». Cependant, il y a bien la tragédie, celle de cette pauvre Gretchen, mais adoucie au moment de sa mort par une voix qui tombe du ciel «  Elle est sauvée ». Dans le Faust II , le héros poursuivra un long chemin jusqu’à ce qu’il participe à la construction d’un barrage contre la mer. Rédemption donc par l’action utile.

Cette difficulté d’un face à face direct avec le tragique fait que Goethe s’éloigne d’un aspect fondamental du christianisme, celui du sacrifice et de la rédemption par le sacrifice. Il ne le nie pas mais il en détourne le regard. C’est pourquoi sans doute très tôt il se trouvera une affinité avec le monothéisme musulman qui ignore le dogme du péché originel et de la rédemption. Dès sa jeunesse, il écrit un poème sur Mahomet, célébrant à la fois la clarté et la force du message musulman et l’héroïsme de son fondateur.

Pour le jeune Goethe, il y a une rencontre intellectuelle fondamentale, c’est la rencontre avec la philosophie de Spinoza. J’en ai parlé lors de la première conférence.

Que dit le philosophe d’Amsterdam dans «  L’Ethique » ? Dieu, c’est la totalité infinie de la Nature, l’homme comme tout être vivant se définit par son énergie vitale ( le conatus) qui le pousse à agir et à réaliser son être. Mais il ne le peut que dans la mesure où il fait intervenir sa réflexion, c’est-à-dire la Raison qui le connecte à la pensée de Dieu car le monde est rationnel( donc Dieu!). Mais on aurait tort de croire que le spinozisme est un pur intellectualisme. Au contraire, dans l’Ethique, le philosophe souligne l importance de la sensibilité. L’homme agit toujours sous l’empire des affects, l’action juste est à la fois rationnelle et soutenue par la joie d’exister, l’énergie vitale. Le 5e et dernier livre de l’Ethique s’intitule «  De l’amour intellectuel de Dieu » réunissant ainsi l’énergie vitale qui est joie, ivresse d’amour et la puissance de la connaissance du réel par l’activité rationnelle qui conduit à la vérité et au bonheur.

Que retient le jeune Goethe de cette lecture pour toute sa vie ? La philosophie de Spinoza est «  moniste » : il n’y a qu’un seul monde et c’est Dieu. En lisant un poème de jeunesse « Ganymed », on qualifiera Goethe plutôt de « panthéiste » : Ganymed est un jeune homme d’une beauté éclatante et les dieux ont décidé de le soustraire à la terre et de le conduire parmi eux. Le poème se conclut ainsi :

Je viens, je viens,
Vers où ? Ah, vers où ?
Une poussée vers le haut,
Les nuages flottent
vers le bas, les nuages
Se penchent vers l’amour ardent
Vers moi, vers moi

En votre sein
Vers le haut,
Enveloppant, enveloppé ( umfangend, umfangen)
Contre ton cœur
Père bien-aimé !(2)

A propos de ce poème, j’aimerais attirer votre attention sur deux concepts goethéens, celui de «  Verselbstigung » ( devenir soi-même, se construire) et son contraire la «  Entselbstigung » ( se fondre dans l’infini, s’annihiler en tant qu’individu ). Il est évident que Goethe a choisi la première voie dans sa vie comme le montre sa biographie et la grandeur de son œuvre. Mais il n’est pas étranger à la seconde, à la nostalgie de la fusion avec la totalité infinie de ce qui est telle qu’elle est exprimée dans ce poème de jeunesse, telle qu’elle apparaît dans le personnage de Faust, telle qu’elle s’exprime dans la religiosité du Divan, où l’ivresse est un chemin vers Dieu, telle qu’elle s’exprimera dans le dernier poème que je vous lirai. Le second terme a à voir avec le tragique ( et c’est bien pourquoi Nietzsche admirait Goethe, «  le seul Allemand que je supporte «!!!). Les deux concepts goethéens rappelle aussi la distinction entre l’Apollinien et le Dionysiaque que fait Nietzsche dans « la naissance de la tragédie » . Entre les deux tendances, il faut ici encore parler de « POLARITE « : La construction de soi serait aveugle et insuffisante si elle n’intégrait pas la condition métaphysique de l’homme qui contient un ingrédient tragique.

Pour Goethe, Dieu est partout dans la nature (immanence) et notamment dans le cœur de l’homme mais il y a aussi une dualité entre un monde terrestre et un esprit divin transcendant . On dira plutôt une « polarité », terme essentiel dans les écrits scientifiques de Goethe ou dans les analyses psychologiques de ses romans ( voir «  Les affinités électives » et dans le poème cité précédemment « Gingo Biloba »). Polarité signifie qu’il y a deux termes en présence (masculin-féminin, terrestre-divin, individualité-collectivité, construction de soi et vie sociale, construction de soi et nostalgie de l’infini) mais possibilité d’échange entre les deux termes, complémentarité. Complémentarité qui implique un dépassement, une élévation par delà les deux termes « Steigerung » dit Goethe . Mais comment appeler cette complémentarité universelle ? Il n’y a pas d’autres mots, c’est l’Amour et le Divan de Goethe comme celui de Hafez, est le livre de l’Amour, celui de l’aspiration du cœur à une fusion au sein du divin.

Le recueil de Goethe commence par un poème intitulé « Hégire ». Ce mot désigne l’inauguration de l’ère musulmane avec l’installation du Prophète à Médine. Pour Goethe, la rencontre avec la culture et la religion musulmane, c’est aussi un nouveau commencement, un renouvellement de sa vie spirituelle et de son œuvre poétique sous le signe d’une pleine adhésion à l’idée d’une transcendance absolue de Dieu. Dans un autre poème il dit :

A Dieu est l’Orient !
A Dieu est l’Occident !
Les pays du Sud et du Nord
Reposent en paix entre ses mains.(3)

Donc une déclaration de foi monothéiste, particulièrement affirmée en Islam . Affirmant ainsi l’universalité du message de Mohamed. Mais en fait, à quel islam se réfère Goethe car l’islam, malgré son affirmation d’unicité est divers historiquement. On peut y voir deux grandes tendances, celle du juridisme et celle du mysticisme, notamment avec le mouvement soufi. Il est étonnant que Goethe n’en parle pas , mais à travers Hafez, c’est bien au mouvement mystique de l’islam, la religion de la fusion avec le divin par l’extase, la poésie et la musique auquel se réfère Goethe. Mouvement qui peut fort bien outrepasser les lois de l’orthodoxie ( par exemple avec l’usage du vin, boisson spirituelle) ou conduire le mystique de Bagdad, Hallaj à être crucifié pour avoir dit «  Je suis Dieu ». Mais de ce dernier Goethe ne parle pas et peut-être ne le connaissait-il pas. Ou s’il l’avait connu, il en aurait peut-être détourné le regard comme il a le plus souvent détourné le regard de la crucifixion de Jésus. Pourtant il y a un poème adressé à Hafez, poème dans lequel il exprime toute son adhésion au poète musulman soufi et où il dit :

Hafez, c’est pourquoi je ne veux
Me détourner de toi,
Car si nous pensons comme les autres
Nous allons leur ressembler.
Ainsi je te ressemble parfaitement
Moi qui ai mis dans mon cœur
Cette magnifique image
Celle de ce tissu des tissus – le suaire,
Où s’imprima l’image du Seigneur
Qui raviva mon cœur
Par l’image sereine de la foi
Malgré les négations, les obstacles, les brutalités.(4)

Etonnante allusion au suaire qui semble contredire ce que j’ai dit précédemment. Etonnant ton polémique qui fustige les guerres de religion et autres horreurs. Goethe souligne l’unité de la foi . Finalement, un vrai musulman est aussi un vrai chrétien.

Cela semblerait signifier qu’au delà des divisions doctrinales des religions, il y a une unité profonde des croyants de toute religion.

Il est rare que Goethe élève ainsi la voix contre le négatif. Il préfère affirmer le concret, dire ce qui dans le vécu le plus immédiat est signe d’élévation et de spiritualité. Ainsi dans ce petit poème qui évoque l’amour le plus concret.

Amour pour amour, heure pour heure,
Parole pour parole et regard pour regard ;
Baiser pour baiser, de la bouche la plus fidèle,
Souffle pour souffle et bonheur pour bonheur.
Ainsi le soir, ainsi le matin !
Cependant tu sens à mes chants
Toujours et encore de secrets soucis ;
Les charmes de Youssouf , je voudrais les emprunter
Pour répondre à ta beauté.(5)

En apparence, une évocation tout à fait sensuel de l’amour physique. Mais tout autant spirituel, selon la sensibilité goethéenne. La répétition de la préposition « pour » « um » en allemand insiste sur la parfaite réciprocité dans l’échange amoureux qui est un reflet ( Abglanz : brillance qui descend du ciel) de la réciprocité entre le terrestre et le céleste, l’humain et le divin. Ce poème rassemble aussi bien la dimension autobiographique ( son amour pour la jeune Marianne à plus de soixante ans) qu’une vision spirituelle de l’amour entre deux êtres.

Goethe justifie son langage symbolique à travers l’hommage qu’il rend à Hafez dans le poème «  Secret évident ».

Saint Hafez, ils t’ont appelé «  la langue mystique »
Eux, les savants linguistes
N’ont pas reconnu la valeur de ta parole

Ils te considèrent comme mystique
Parce qu’ils croient trouver des niaiseries chez toi
Et ils versent leur mauvais vin en ton nom

Mais toi tu es mystiquement pur
Parce qu’ils ne te comprennent pas
Toi qui es bienheureux sans être pieux !
Ce titre, il ne veulent pas te l’accorder.(6)

Celui donc qui n’est pas entré dans la pensée symbolique, c’est-à-dire dans le rapport subtil entre le terrestre et le céleste, l’image et ses résonances spirituelles ne peut comprendre ni Goethe, ni Hafez. Etre pieux (fromm), c’est suivre la religion extérieure (exotérique), être bienheureux ( selig) c’est être entré dans la religion intérieure ( ésotérique) . L’expression «  Secret évident » revient à plusieurs reprises sous la plume de Goethe. Le monde ( la Nature) est un secret ou un mystère pour celui qui reste dans la pensée ordinaire à une seule dimension. La voie ésotérique, c’est-à-dire la pensée symbolique permet seule de rencontrer l’évidence de ce qui est. Il s’agit de savoir « lire » la Nature, de trouver le sens derrière l’apparence.

On pourra sourire si je dis qu’il y a deux thèmes principaux dans le Divan de Goethe comme dans celui de Hafez : l’amour et le vin ! Cela évoquerait un peu l’ambiance de joyeux lurons ! Ces thèmes sont évoqués chez nos poètes à une autre hauteur ! Le vin en Orient musulman est un élément important qui rayonne une signification symbolique : il désigne l’esprit et la félicité spirituelle . S’il est interdit sur cette terre, les Musulmans en boiront au paradis ! Il sera servi par de belles Houris. Les mystiques en boivent car ils se croient assez fort pour préfigurer en cette vie, l’existence au paradis.

Parmi les douze parties du livre, l’une d’elles s’intitule «  Le Livre de l’échanson ». Goethe peut évoquer la boisson d’une manière très quotidienne, comme ici :

«  Si je suis assis là tout seul,
Où puis-je être plus à l’aise ?
Je bois mon vin tout seul,
Personne ne me met d’obstacle,
Ainsi j’ai mes propres pensées.
(7)

—–

Il faut tous que nous soyons ivres,
La jeunesse, c’est l’ivresse sans le vin
Si la vieillesse boit pour retrouver la jeunesse,
C’est une merveilleuse sagesse.
Cette chère vie nous procure des soucis
Et les raisins sont briseurs de soucis.

Dans le livre de l’échanson, Goethe semble ne pas aller au-delà de l’évocation de l’ambiance libre et joyeuse des cabarets. Mais on s’y méprendrait si l’on n’y voyait pas l’enthousiasme ( mot qui signifie plénitude spirituelle) qui fait entrer l’esprit dans le divin. Dans ses commentaires sur cette partie de son recueil, Goethe commence ainsi : «  Ni la tendance exagérée pour le vin à demi interdit, ni le sentiment délicat pour la beauté d’un adolescent ne devait manquer dans le divan. Ce dernier point devait être traité cependant en toute pureté selon nos mœurs « conclut-il . Rien de ce qui est humain ne manque dans le Divan !

Quelle est finalement l’image de l’être humain que donne le Divan ? Dans le texte «  Eléments » , il cite les quatre choses nécessaires pour faire un bon poème : l’amour, bien entendu et largement, le tintement des verres, le bruit des batailles ( l’histoire) mais une dernière chose aussi : il est nécessaire que le poète ait de la haine pour tout ce qui est laid et empêche la beauté de s’épanouir. Ainsi donne-t-il à la suite un poème sur la nature humaine qui rappelle la verve sarcastique de Mephisto :

Créer et animer
Jeannot Adam était une motte de glaise
Que Dieu transforma en homme.
Cependant du ventre de sa mère
Il recueillit bien des choses grossières.(8)

Les Elohim lui soufflèrent dans le nez
L’esprit le meilleur.
Désormais il semblait être devenu
Quelque chose de mieux
Car il commença à éternuer.

Mais avec ses membres et sa tête
Il restait encore à moitié morceau de glaise
Jusqu’à ce que Noé trouve pour le benêt
La chose adéquate, la cruche de vin ( le hanap)

Le tas de glaise se sentit soudain de l’énergie
En s’humectant de liquide
De même que le levain par fermentation
Se met en mouvement

Ainsi, Hafez, que ton doux chant
Ton exemple sacré,
Nous conduise, tandis que tintent les verres,
Au temple du Créateur.

On est frappé par le contraste entre le ton du récit sarcastique, méphistophélique sur la nature humaine et la dernière strophe solennelle qui fait l’éloge de Hafez et donc du vin, boisson spirituelle

Pour comprendre l’idée que se fait Goethe de la nature humaine dans son rapport à l’Univers, c’est-à-dire à la totalité infinie de ce qui est – comme dirait Spinoza – il faut quitter un instant le Divan et se référer à quelques grands hymnes métaphysiques de sa jeunesse ( 1770- 1775) et de sa période classique ( 1780 – 1800).

En un premier temps, le jeune Goethe est un esprit en révolte, métaphysique parfois désespéré ( cf Werther), un exalté qui cherche en vain à conquérir le monde ou à atteindre le savoir absolu ( cf Faust)

Ainsi célèbre-t-il Prométhée, le révolté métaphysique en colère contre les Dieux . L’hymne s’achève ainsi :

Je suis assis ici et je façonne des hommes
A mon image,
Une race qui me ressemble,
Destinée à souffrir, à pleurer,
A jouir et à se réjouir
Et à ne pas te respecter ( l’hymne s’adresse à Zeus)
Comme je le fais (9)

Quelques années plus tard, le ton et l’attitude changent radicalement. Ainsi dans le poème  «  Les limites de l’humanité » :

Car aucun homme

Ne doit se comparer aux Dieux.

S’élève-t-il et touche-t-il

Du sommet de son crâne les étoiles,

Alors ses pieds incertains

Ne trouvent plus d’appui

Et les nuages et le vent

Se jouent de lui.

..

Qu’est-ce qui distingue
Les dieux des hommes ?
Que de nombreuses vagues
Passent devant les dieux,
Un flux éternel.
La vague nous soulève,
Elle nous avale
Et nous sombrons.(10)

Alors qu’est-ce que l’homme dans sa petitesse et sa finitude ? On ne peut le définir par ce qu’il est car c’est presque rien et parfois le pire. C’est presque un fantôme. Mais on peut le définir par ce qu’il peut être. C’est quand il accède au divin en lui-même :

Que l’homme soit noble
Secourable et bon !
Car cela seul
Le distingue de tous les êtres
Que nous connaissons.(11)

Au cours de sa vie, Goethe – dont le « conatus », la puissance d’exister, de créer, le désir de savoir et de jouir étaient si puissants, ce modèle de la nature humaine – a appris à «  renoncer » ( entsagen, mot qui revient souvent dans les œuvres de vieillesse par exemple dans les Wanderjahren) renoncer à la toute puissance mais non pas à l’effort de connaître, de comprendre et de jouir de la vie, l’effort de créer. En ce sens, le Divan est un moment béni dans la vie de Goethe, un moment où il peut à nouveau exprimer sa spiritualité d’une manière plus sereine.

Tout au long de ses années entre sa jeunesse et la vieillesse, Goethe a inlassablement poursuivi des recherches scientifiques ( théorie des couleurs, botanique avec l’idée de la Urpflanze,la plante originelle, géologie etc …) qui sont intimement liées à sa recherche métaphysique. Il s’agit toujours de décoder dans la nature le langage de Dieu. La Nature est l’écriture de Dieu. Le Divin est inscrit dans la Nature. Autrement dit encore : la nature est un alphabet, le signifiant, le divin c’est l’esprit, le signifié. De même aussi faut-il rechercher le divin au plus profond de notre propre nature et découvrir que nous pouvons être aussi en dépit de nos faiblesses «  nobles, secourables et bons ».

Le «  Divan oriental-occidental » s’achève par l’évocation sublime du Paradis.

Ce paradis goethéen est largement inspiré par la vision coranique. Le croyant y est reçu par les « houris » de merveilleuses jeunes femmes célestes. Parmi celles-ci, le poète reconnaît sa bien-aimée Suleika et leur dialogue amoureux se poursuit. Ce qui fut vécu dans la relativité de la vie terrestre s’accomplit au niveau de l’absolu. Ou plutôt, l’amour terrestre dans le meilleur des cas est le reflet de l’amour qui est à la source de l’univers. Dans la vision goethéenne de la vie humaine, on peut voir une polarité entre l’énergie vitale ( le conatus spinozien, en allemand de Goethe le « Streben)) et la béatitude ( autre concept spinozien). Dans le Prologue dans le Ciel (Faust) Dieu dit : «  Wer strebend sich bemüht, den können wir erlösen » ( celui qui s’est efforcé durant sa vie, nous pouvons le sauver, lui accorder la rédemption). Mais l’opposé complémentaire du Streben c’est la «  Gelassenheit »( terme Heideggerien inspiré du bouddhisme japonais, le lacher-prise) chez Spinoza «  la béatitude « ( la joie absolue, la sérénité ) , la totale acceptation de la réalité.. Et cette béatitude est bien présente en maints endroits du Divan, particulièrement dans le 12e livre.

Goethe croyait-il à un au-delà de la mort ? Pour parler de l’éternité de l’âme, il emploie le terme aristotélicien d’ »entéléchie » , le noyau spirituelle de la personne . Selon nos œuvres terrestres, notre puissance d’exister, l’âme survivra ou non. Pour que l’âme rejoigne l’âme universelle, il faut d’abord que nous en soyons une, et la plus riche possible. Il y a certes égalité en dignité. Il n’y a pas d’égalité de fait entre les êtres devant le Réel.

J’ai souligné le côté positif du rapport au divin dans la vision goethéenne de la vie et sa stratégie d’évitement ou plutôt de dépassement du tragique, car le tragique est bien présent dans l’ensemble de son œuvre mais comme élément surmontable car ce ne serait pas le dernier mot de la vie. Goethe s’accorde avec la définition grecque du tragique : c’est l’hybris, la démesure qui en est la cause. Mais il croit à un dépassement du tragique par l’amour et c’est là son côté chrétien tout aussi bien que spinozien ; Le sacrifice est reconnu en divers endroits de son œuvre, mais un sacrifice comme rebondissement, nouvelle phase plus élevée de la vie et aussi au-delà de la vie terrestre.

Je vous livrerai en conclusion un dernier poème du Divan, sans commentaire, car vous le comprendrez toutes/ tous selon votre expérience  de la vie. Il touche au plus secret de l’existence,  dans l’évocation du Phénix , c’est comme un contrepoint à tout ce que j’ai dit précédemment  sur le fait que Goethe aurait toujours chercher à fuir ou à dépasser le tragique. Entre l’acceptation du tragique et le désir d’exister, il y a là encore une polarité qui se résout dans l’amor fati , comme si le tragique était un secret et puissant désir de l’âme Le poète nous réconcilie avec la vie au risque du tragique puisque cette acceptation du tragique est une …

(12)BIENHEUREUSE NOSTALGIE

Ne le dites à personne, seulement aux sages,
Car la foule s’empresse de mépriser,
Je veux louer le vivant
Qui aspire à la mort par le feu.

Dans la fraîcheur des nuits d’amour
Qui t’ont procréé, où tu as procréé,
Te saisit un étrange sentiment
Quand brûle la bougie en silence

Tu n’es plus enveloppé
Par l’obscurité
Et te saisit un nouveau désir
De plus sublimes accouplements.

Aucune distance ne te paraît un obstacle
Tu voles vers la flamme, fasciné
Et finalement, avide de lumière,
Tu es brûlé.

Et tant qu’il n’est pas en toi
ce : Meurs et deviens !
Tu n’es qu’un invité falot
Sur la sombre terre

 

Michel Pennetier , janvier 2023