France-Antilles : de la pige à la tribune libre, un accompagnement en pointillé

— Par Yves-Léopold Monthieurx —
Cicero. C’est le premier mot qui me vient à l’esprit à l’évocation du journal France-Antilles. Le second souvenir est un loupé. Lecteur du Monde, du Nouvel Observateur et de l’Express, je m’étais très jeune intéressé à la presse, sans cependant envisager d’en faire mon métier. Appelé du contingent à Cayenne, j’avais été chargé de mettre en place et d’animer le mini espace presse de la caserne Loubère.
D’abord le loupé. Mon premier rapport avec ce journal, dès 1964, fut un rendez-vous manqué. J’ignore pour quelles raisons, à la suite d’une visite de la fabrique de yaourt Littée par l’association culturelle du Vert-Pré, je n’avais pas rédigé le compte-rendu que j’avais promis à Man Littée de faire publier dans France-Antilles.
Revenons au cicero, qui rappelle le Cicérone consule d’une de mes versions latines. J’avais soumis sans trop y croire à la rédaction du journal un projet de reportage d’une rencontre de foot-ball. Agréablement surpris par sa publication, j’avais renouvelé l’exercice sous le pseudonyme « Maxim » jusqu’au jour où je fus conduit au bureau d’un certain M. Gérard. J’appris par ce dernier ce qu’était un cicéro, l’unité de mesure typographique, et que, contre toute attente, j’allais être rétribué au nombre de cicéros contenus dans mes reportages. Je n’avais pas poursuivi ma collaboration, me contentant d’intervenir à l’occasion, sous divers pseudonymes.
En 1982, l’occasion me fut donnée par le quotidien d’affuter ma plume lors de la première – je crois unique – journée Portes ouvertes organisée à l’Hôtel de police. Dans la double page que France-Antilles avait consacrée à l’évènement, j’avais fait l’historique de la police en Martinique depuis la fin de l’entre-deux guerres (voir F-A du 23 juin 1982).
J’avais le secret espoir, à la retraite, de collaborer à la rédaction de ce journal. Mais je n’ai pas eu à le formuler, y ayant renoncé le jour où j’avais été invité par le directeur de la rédaction à modifier le texte que je lui proposais. J’avais alors vraiment compris la différence qu’il y a entre un « tribuniste » et un journaliste professionnel. Le premier, au contraire du second, n’engage pas le journal, ce qui lui permet une grande liberté d’expression. J’avais refusé de changer mon texte qui n’avait pas été publié. Par ailleurs, j’avais trouvé déplacée l’allusion de ce monsieur aux passagers d’avion qui, selon lui, lisent Le Monde à l’envers.
A partir de 1999, les colonnes de France-Antilles me furent largement ouvertes. Après la parution de deux analyses adressées à la rédaction, le nouveau rédacteur en chef m’avait fait connaître par téléphone qu’il était preneur de mes tribunes tant qu’elles seraient de la même facture que les précédentes. En cette période d’intenses débats sur les institutions, l’amoureux de droit constitutionnel ne s’était pas fait prier pour donner suite à ce qui fut pour lui une aubaine. La fréquence de mes interventions avait pu me faire passer pour un journaliste appointé. Aussi, alors que mes articles ne paraissaient plus, j’avais eu le sentiment qu’ils n’étaient plus souhaités, mais je me suis abstenu d’en faire une montagne, vu que j’avais déjà été « publié » plus souvent qu’à mon tour. Quoi qu’il en soit, je n’intervenais jamais dans le choix de la rédaction de publier ou non mes articles. Cependant, je ne fus pas dupe des pressions souvent infructueuses, venant de tous les bords politiques, qui ont été faites auprès des rédactions pour censurer mes écrits.
Ainsi donc, pendant des décennies chaque Martiniquais a trouvé de l’intérêt à lire quotidiennement les nombreuses rubriques du journal et il n’est pas contestable que cette lecture ainsi répandue ait contribué à combattre l’illettrisme. Du quasi-analphabète au gran grek, de Grand-Rivière à Sainte-Anne et du débit-de-la-régie à l’officine pharmaceutique, le succès exceptionnel qu’a connu ce journal doit bien peu à son orientation politique. Au vu de la variété des sujets abordés, la part politique de l’information a été très minoritaire.
Mieux que l’institution ou le témoin privilégié qu’il fut, France-Antilles a été un acteur essentiel à tous les points de vue social, culturel et économique. Décidée par le général de Gaulle, lui-même, sa création avait fait partie du paquet de mesures qui avaient été prises par le gouvernement au lendemain des incidents de décembre 1959. Ces mesures auront perturbé bien des objectifs politiques tout en ouvrant le pouvoir local à leurs auteurs, revenus de leurs utopies. A cet égard, France-Antilles doit être mis au même rang que le Service militaire adapté (SMA), l’AFPA, l’académie ou l’université des Antilles et de la Guyane (UAG), ainsi que d’autres mesures incitatives d’ordre fiscal (l’abattement des 30%, les aménagements de l’octroi de mer, les défiscalisations …). De droite ou de gauche, elles étaient d’abord gaulliennes, donc, selon leurs adversaires, néocoloniales. Dès lors, il n’était pas étonnant que ce journal fût, avec le SMA et le BUMIDOM, l’une des novations les plus décriées par les élites, contrairement à la population qui les avait bien accueillies.
Les récriminations s’étant tues à l’arrivée de la gauche, en 1981 en métropole et en 1983 à la région, le BUMIDOM a été prolongé avec quelques aménagements, à travers sa fille, l’ANT, puis de sa petite-fille, l’ADOM. Quant au SMA, il est aujourd’hui l’unique organisme de formation agréé. Ses résultats sont montrés en exemple et font réfléchir ceux qui, en métropole, y voient un modèle à suivre. Ces deux organismes d’Etat ont désormais l’accord des autonomistes et des indépendantistes, et obtiennent le concours financier de la collectivité territoriale de Martinique (CTM). Tandis qu’à lui seul, l’émoi suscité par ses difficultés montre bien à quel niveau d’adhésion France-Antilles est parvenu.
Votre serviteur se félicite d’avoir modestement – en pointillé et à titre gratuit – contribué à la diversité d’opinions offerte depuis 55 ans par cette institution qui a collé si bien à la démocratie locale. France-Antilles mérite amplement d’être aidé par les représentants et les usagers de cette démocratie.
Fort-de-France, le 1er novembre 2019
Yves-Léopold MONTHIEUX