« Fèt Kaf » à la Réunion le 20 décembre

[…]En Martinique l’abolition a été anticipée face à une révolte d’esclaves survenue au Carbet : le décret du 27 avril était certes connu dans l’île, mais toute attente du délai de deux mois prescrit par le gouvernement risquait de précipiter l’insurrection générale tant redoutée. L’abolition effective dès le 22 mai 1848 a pu ainsi être interprétée comme une abolition imposée par la révolte et non comme une « liberté octroyée » depuis Paris.

A la Réunion le processus de « sortie » de l’esclavage est, à l’opposé, resté dans le cadre prévu par le Gouvernement provisoire.

Joseph Napoléon Sarda, dit Sarda-Garriga, a été nommé « Commissaire général de la République » pour la Réunion avec pour mission explicite de mettre en application le décret du 27 avril 1848, abolissant immédiatement l’esclavage dans toutes les colonies françaises.

Il arriva, après un long périple, dans l’île le 13 octobre. A cette date l’abolition était déjà appliquée dans les colonies américaines. Malgré les pressions des colons qui demandèrent un sursis de quelques mois, Sarda-Garriga appliqua à la lettre ses instructions : il promulgua le décret le 18 octobre, applicable deux mois plus tard, conformément aux instructions officielles. Ce délai sera scrupuleusement respecté, aucune abolition anticipée ne sera auto-proclamée sur l’île ; la mise en place d’une nouvelle législation du travail sera esquissée, prévoyant l’obligation d’un contrat de travail pour les « nouveaux libres », liant le maître et « l’engagé ». C’était prévenir les risques de désorganisation de la production, notamment sucrière, par la désertion des anciens esclaves brusquement proclamés « libres ». Déjà, en 1793 lors de la première abolition à Saint-Domingue, Sonthonax avait lui aussi prévu une forme de « travail obligatoire » pour les nouveaux libres … l’expérience avait été retenue.

Le délai de deux mois achevé, Sarda-Garriga mit en application l’abolition générale de l’esclavage le 20 décembre 1848 par une proclamation solennelle, commencée par cette phrase : « Mes amis, les décrets de la République française sont exécutés : vous êtes libres. Tous égaux devant la loi, vous n’avez autour de vous que des frères. La liberté, vous le savez, vous impose des obligations. Soyez dignes d’elle, en montrant à la France et au monde qu’elle est inséparable de l’ordre et du travail … »

Ainsi l’ordre légal fut-il respecté jusqu’au dernier moment, aucune abolition anticipée n’ayant été proclamée. Les structures profondes de la société coloniale n’avaient pas ouvert la voie à une issue insurrectionnelle.

Le tableau emblématique d ’Albert Garreau, qui était présent à la cérémonie du 20 décembre, composé en 1849, se veut le parfait reflet de cette « abolition par la loi » : Sarda-Garriga tient d’une main le texte officiel libérant les esclaves immédiatement et de l’autre main il montre les instruments de travail, soulignant que la liberté nouvelle n’était pas l’oisiveté … Face à lui, les « nouveaux libres », hommes et femmes, se prosternent en signe de reconnaissance et d’acceptation de cet acte républicain venu de Paris … Ainsi, à la Réunion, la légalité voulue par le Gouvernement provisoire issu de la Révolution parisienne de février fut-elle strictement respectée. C’était bien une « abolition octroyée » et non le fruit d’une insurrection armée. Le schéma idéalisé aux Antilles n’avait pas été suivi dans l’océan Indien.


Source :Marcel DORIGNY
Historien