Festival de bande dessinée : Quand la caravelle fait ses bulles  

— par Janine Bailly —

La 5ème Biennale de Bande Dessinée investit La Trinité. Du 12 au 14 octobre, sur la Place Joyeuse, se tiendra le Village de cette manifestation joliment intitulée “La Caravelle fait ses bulles”. Le thème en sera “ Les enfants terribles de la BD”. Par bonheur, pour qui ne pourra prendre la route, un mini “festival off” est aussi offert à Fort-de-France, à l’initiative, entre autres, de la célèbre Kazabul, sise rue Lamartine dans ses nouveaux locaux, et bien connue des amateurs du genre.

En raison d’une rentrée culturelle foyalaise qui une fois encore ouvre grand son éventail d’événements divers et variés, je n’ai personnellement pu assister qu’à une des rencontres offertes, mais qui valait bien son pesant d’or : organisée par la BU du campus de Schœlcher, elle m’a permis de découvrir ou revoir sept auteurs venus répondre à la question de savoir ce que signifie “dessiner (à) la marge”. Des échanges d’une bonne teneur, dans un amphithéâtre surchauffé, n’ont pourtant pas découragé les lycéens venus nombreux du lycée de Saint-Pierre, et dont certains munis de carnets et crayons se sont mis, tout en prêtant une oreille attentive, à fort bien dessiner tout autour de moi. Seraient-ce des vocations qui s’éveillent ?

Longtemps considérée comme de la sous-littérature, la BD est en passe de gagner ses lettres de noblesse. Critique et historien du cinéma, Claude Beylie a également écrit sur l’histoire de la bande dessinée, par lui qualifiée de “neuvième art”. Présente désormais en salle des ventes, où certaines planches atteignent de jolies sommes, la BD est en effet sur la voie de “l’artification”, et l’on assiste à « la valorisation patrimoniale d’une littérature devenue matière artistique ». Des événements comme le festival d’Angoulême, en dépit de controverses récentes, la diversification des productions, la richesse des thèmes choisis, les façons neuves de dessiner en sortant des cases et de regarder notre société, font que le genre émerge peu à peu du ghetto où certains auraient aimé le confiner. La BD a aussi trouvé sa place dans les manuels scolaires, et un volume peut s’étudier en classe dans son intégralité.  Mais faire de la BD, est-ce un métier ? À en croire certains des  auteurs présents, si elle ne permet pas toujours de gagner sa vie, s’il faut parfois pratiquer d’autres activités en parallèle, son univers procure plus de liberté que celui de la littérature ordinaire, la pression, médiatique ou autre, s’y révélant moins oppressante. Cependant, tous s’avèrent passionnés, ceux qui ont eu le privilège de baigner dans la BD dès leur enfance, ceux à qui elle fut au contraire interdite, ceux qui l’ont découverte sur leur chemin de vie, ceux qui y sont venus par le biais du cinéma, d’une école, du dessin, voire des moyens techniques informatiques modernes.

Le temps fort de cette après-midi fut sans conteste cette performance magique, sous nos yeux concrétisant, de façon vivante, ce qui est la caractéristique première de la BD, à savoir l’alliance du texte et du dessin, de l’art littéraire et de l’art graphique : sur l’écran on vit peu à peu naître et se déployer les dessins, les images qu’à chacun des auteurs le texte, lu par Alfred Alexandre lui-même, inspirait, suggérait, imposait. Les extraits choisis par le romancier-dramaturge, tirés de Les villes assassines, deuxième opus de sa Trilogie foyalaise, se sont montrés prompts à nous émouvoir et à faire naître des personnages, des univers et des lieux, créés de traits noirs au tracé sûr et déterminé. Sur la toile, le bonheur de voir la main qui agit, et l’on comprend mieux cette affirmation selon laquelle « la page blanche est l’infini, le trait une coupure sur cet infini », trait qui dans sa sobriété même nourrit l’imaginaire. Ainsi, « les imaginaires littéraires rencontrent leur empreinte graphique », dira Alfred Alexandre, dont la voix caresse les mots, déplie les phrases, dénoue la syntaxe et nous donne à entendre ses sortilèges ! Un plaisir double, et que nous n’avons pas boudé, réclamant que l’exercice continue !

Quant à la notion de “marge”, ne commence-t-elle pas lorsqu’enfant on se met à dessiner dans la “marge” de son cahier, afin que passe plus vite le temps de l’ennui  scolaire ? Il y a, figurés dans la BD contemporaine, des destins à part, des êtres humains simples et pourtant “extra-ordinaires”. Hommes et femmes pour nous apprendre le monde, dans le sourire ou la douleur, dans le comique et le tragique des choses. Celle-ci nommée Aya et qui, en Afrique, doit se battre pour exister, autant contre les hommes que contre les autres femmes de son entourage, Cyparis le rescapé de la catastrophe pierrotine de 1902, l’enfant au handicap à assumer, celui qui est différent car n’allant pas à l’école coranique, le chaman dans son monde spirituel mais revenu pour se dresser contre l’industrialisation sauvage, le marginal vivant en autarcie au sein de sa communauté, le dominé face au dominant : des personnages de papier qui, parmi tant d’autres, de la silhouette la plus caricaturale à la plus réaliste,  prennent vie, nous accompagnent, et permettent de « mieux  comprendre l’évolution d’un pays », d’une société dans ses richesses et ses failles. Car, ainsi que le rappellera, pour conclure ce moment intense, Florence Menez, animatrice de la rencontre, « le marginal est le miroir », miroir de notre monde en constante évolution !

Le programme complet de la manifestation

Janine Bailly-Chéneau

Fort-de-France, le 10 octobre 2017