Femmes en danger : quand les coupes budgétaires mettent en péril la lutte contre les violences

— Par Sarha Fauré —

« Les coupes budgétaires tuent », alerte Laura Slimani, cheffe du pôle projet à la Fondation des Femmes. Derrière cette déclaration alarmante se cache une réalité brutale : en 2025, les associations féministes, en première ligne dans la lutte contre les violences faites aux femmes, traversent une crise financière sans précédent. Une enquête menée cet été auprès de 148 structures révèle que 71 % d’entre elles déclarent une santé financière dégradée, mettant en péril des milliers de vies et affaiblissant gravement un tissu associatif essentiel.

Un recul historique du financement

Les résultats de l’enquête « Ne leur fermons pas la porte », publiée le 27 août 2025, montrent une baisse moyenne de 15 % des subventions par rapport à 2024, soit 31,6 millions d’euros manquants pour l’ensemble des structures interrogées. Les conséquences sont immédiates : 50 % des associations ont dû réduire leurs activités, 30 % ont fermé des permanences, et 6 258 femmes et enfants ne seront pas accompagnés cette année. En moyenne, chaque structure accompagne 53 personnes de moins qu’en 2024.

Ce recul est d’autant plus préoccupant que le besoin d’accompagnement n’a jamais été aussi fort. Depuis le mouvement #MeToo, les signalements de violences conjugales et sexuelles ont explosé (+83 % de plaintes pour violences conjugales en cinq ans, +100 % pour violences sexuelles en dix ans), révélant un besoin massif de prise en charge.

Des choix politiques aux lourdes conséquences

Si la crise budgétaire touche l’ensemble des niveaux de financement, les conseils départementaux apparaissent comme les premiers responsables : 38 % des associations déclarent y subir des coupes. Le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, censé être le garant de cette lutte, est également pointé du doigt, avec 26 % de baisse signalée. Pourtant, son budget est officiellement resté stable en 2025. En réalité, selon la Fondation des Femmes, cette stabilité masque une redistribution des fonds qui pénalise les associations historiques au profit de nouveaux dispositifs, dans une logique de « saupoudrage ».

Cette politique de redéploiement sans vision stratégique prive les associations d’une visibilité à long terme. Les structures sont mises en concurrence, les appels à projets se multiplient, mais sans garantie de financement pérenne. Résultat : des équipes surchargées, des retards de versement de subventions, et une « maltraitance institutionnelle » qui épuise les professionnels du secteur.

Des territoires abandonnés, des femmes oubliées

La situation est particulièrement critique dans les zones rurales. Dans ces territoires, l’accès aux structures de soutien est déjà limité, et les coupes budgétaires aggravent encore les inégalités. 72 % des associations rurales déclarent avoir fermé des permanences, contre 60 % en zone urbaine. À Solidarité Femmes du Beaujolais, par exemple, l’association couvre 45 communes rurales et a vu ses subventions départementales s’effondrer. Résultat : fermeture de services, incertitude financière chronique, et salariés en arrêt maladie.

Les coupes touchent aussi les centres de santé sexuelle. Dans la Drôme, sept centres ont été fermés sur décision du conseil départemental. À Nantes, le CIDFF a dû licencier une juriste suite à la division par dix du budget régional dédié à l’égalité. Ces décisions politiques, souvent justifiées par des contraintes budgétaires, témoignent d’un désengagement institutionnel préoccupant, voire d’un retour en arrière idéologique.

Des associations en mode survie

Les effets de cette crise ne sont pas uniquement comptables. Derrière les chiffres, ce sont des femmes en danger qui se voient refuser l’accès à une aide pourtant vitale. Ce sont des salariées engagées, souvent féminines, confrontées à des burnouts, des suppressions de poste, des retards de salaires. « Tous les jours, des directrices de centres nous appellent pour dire qu’elles ne peuvent plus », témoigne Mine Günbay, directrice du 3919, la ligne d’écoute nationale.

Face à cette réalité, certaines structures ne sont plus dans l’action, mais dans la survie. Clémentine Mitrani, du planning familial du Lot, résume : « Nous ne sommes pas dans les projets et les actions, mais dans la survie. » La précarité financière devient structurelle, les trésoreries fondent, et les marges de manœuvre disparaissent. Même les avancées comme la prime Ségur, censée revaloriser les salaires dans le secteur social, deviennent un fardeau si elles ne sont pas accompagnées de compensations financières.

Une grande cause nationale vidée de sens ?

En 2017, Emmanuel Macron avait déclaré l’égalité entre les femmes et les hommes « grande cause du quinquennat ». Huit ans plus tard, cette promesse semble vidée de sa substance. Le budget du programme 137, dédié à l’égalité, a certes été multiplié par 2,5 en cinq ans, atteignant 85,1 millions d’euros. Mais cette hausse profite essentiellement à l’aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, pas aux associations qui assurent l’accompagnement au quotidien. « C’est un trompe-l’œil », dénonce Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des Femmes.

Dans ce contexte, la crainte d’un « backlash » politique est bien réelle. Face à la montée des discours réactionnaires et masculinistes, les coupes budgétaires ressemblent pour beaucoup à un désengagement idéologique. « Malgré la déflagration que #MeToo a produite, on n’a pu grappiller que des miettes… et on ne mérite même pas, à leurs yeux, de les garder en cas de difficulté », fustige Mailfert.

Quelle suite ?

À l’approche de la rentrée, la Fondation des Femmes appelle à une réaction politique d’ampleur. Elle milite pour une loi intégrale contre les violences sexuelles, accompagnée d’un financement digne de ce nom. Elle réclame également la sanctuarisation des budgets alloués aux associations féministes, à l’image d’un « interdit moral » : ne jamais faire d’économies sur les vies des femmes et des enfants.

En attendant, les associations continuent, dans l’ombre et la précarité, à tenir la ligne de front. Mais pour combien de temps encore ?