« Félicité » d’Olivier Choinière : le Québec se montre à Paris

Par Selim Lander. Les lecteurs de Madinin-art connaissent-ils l’existence du Tarmac, ce théâtre de l’Est parisien voué à la francophonie ? Il s’y donne en ce moment L’Humanité tout ça tout ça, un monologue de Mustapha Kharmoudi (que nous n’avons malheureusement pas pu voir), en parallèle avec une pièce d’Olivier Choinière, jeune auteur québécois déjà prolifique. Félicité, montée pour la première fois à Montréal en 2007, est déjà passée par plusieurs pays avant cette nouvelle création parisienne. La mise en scène est assurée par Frédéric Maragnani, directeur de « la Manufacture atlantique », lieu bordelais voué aux écritures nouvelles. Maragnani, qui se déclare avant tout partisan du « théâtre qui parle », explique ce qu’il entend par là : « inviter le spectateur au plaisir direct du rapport au jeu, à l’écoute, au regard et au rythme des voix… en sollicitant fortement son imaginaire ». On comprend bien, dès lors, pourquoi il a eu envie de monter Félicité, une pièce sans action ni dialogues véritables, les comédiens se renvoyant simplement la parole pour construire un récit. Il y a néanmoins un argument : l’histoire vraie – hélas presque banale, pour incroyable qu’elle puisse paraître – d’une jeune québécoise séquestrée et abusée par sa famille. Choinière imagine alors que cette jeune fille, Isabelle, n’a pu supporter l’insoutenable qu’en se réfugiant dans un autre monde, merveilleux, celui de la chanteuse Céline Dion, la grande vedette dont nul Québécois ne peut ignorer le moindre fait ou geste.

Félicité d'Olivier

Une histoire simple, quoique tragique, mais qui n’est pas nécessairement perçue aussi aisément par le spectateur, tant le texte se fait parfois allusif. Quatre comédiens sur la scène incarnent les employés d’un magasin. Pendant la première partie du spectacle, ils racontent la vie de Céline Dion dans les termes des magazines « people ». C’est drôle, enlevé. Les malheurs d’Isabelle font l’objet de la deuxième partie. Ils se mêlent aux états d’âme de la caissière, malheureuse dans son métier. Le personnage de « la caissière » tend alors à monopoliser la parole, le climat s’assombrit et le discours s’alourdit. On comprend bien la logique d’un auteur qui ne voulait pas rester éternellement sur le registre de la satire des petites gens fascinés par les vedettes. Néanmoins cette deuxième partie ne nous a pas paru aussi maîtrisée que la première. Peut-être à cause de l’ambiguïté du personnage de la caissière, puisque ce dernier se révèle partager deux identités : la sienne propre, sous le prénom de « Caro », plus celle d’« Oracle », redresseur de torts – sachant par ailleurs que nous sommes, nous aussi le public, cette Caro en butte aux injustices du monde. 

La scénographie se réduit à presque rien, conformément aux choix esthétiques du metteur en scène : une grande table pouvant servir d’estrade, autour de laquelle se tiennent les comédiens debout, seule la caissière étant le plus souvent assise. À noter les costumes de « l’étalagiste » et de « la préposée » qui font preuve d’une plaisante originalité.

A l’évidence, Félicité se rattache à un certain courant du théâtre contemporain, sorte d’arte povera scénique. On peut ou ne pas y adhérer mais, en l’occurrence, on ne saurait nier les qualités de ce spectacle. Et il est toujours rafraîchissant de découvrir un nouvel auteur venu d’ailleurs, porteur d’un vent plus frais.  Si le jeu des comédiens paraît un peu limité, cela est dû à un texte qui les enferme dans la déclamation. Tout au plus peut-on déplorer que la diction de la comédienne interprétant Caro-Oracle n’ait pas toujours eu, le soir de la première parisienne, toute la clarté requise pour faire passer le mystère de ses personnages.