La mobilité des étudiants ultramarins vers l’Hexagone, entre tremplin et épreuve
Un départ qui change tout
Quitter la chaleur familière de son île, ses proches et ses repères, pour atterrir à des milliers de kilomètres dans une ville inconnue. Chaque année, des milliers de jeunes ultramarins vivent ce grand saut. Pour certains, c’est un rêve nourri depuis longtemps, pour d’autres une obligation dictée par l’absence de filières dans leur territoire. Dans tous les cas, cette mobilité est bien plus qu’un simple changement de campus : c’est une épreuve logistique, financière, psychologique… mais aussi une formidable opportunité.
I – Un cadre légal et politique pour soutenir la mobilité
Depuis 2018, la loi sur l’orientation et la réussite des étudiants (loi ORE) affiche une ambition claire : « favoriser la mobilité géographique des étudiants, en particulier les plus modestes ». L’Hexagone concentre l’essentiel de l’offre d’enseignement supérieur, ce qui rend la mobilité souvent incontournable pour les bacheliers ultramarins.
En 2023, sur 30 800 lycéens de terminale Outre-mer, 19 000 (62 %) ont confirmé au moins un vœu sur Parcoursup vers une formation en métropole. Ce taux atteint :
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81 % à Mayotte,
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71 % en Guyane,
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81 % chez les élèves ayant obtenu une mention Bien ou Très Bien.
Les filières privilégiées : l’université (50 %), suivie des BTS (24 %). Les classes préparatoires, écoles d’ingénieurs ou de commerce restent plus marginales.
Focus territoire : Mayotte, championne de la mobilité
À Mayotte, 8 lycéens sur 10 candidatent vers l’Hexagone. La raison ? Un déficit structurel d’offre locale : certaines filières universitaires ou professionnelles sont tout simplement absentes de l’île. Résultat : pour beaucoup, le départ est inévitable.
En 2025, la délégation de Mayotte à Paris s’attend à accueillir 2 400 nouveaux étudiants, avec un dispositif d’accompagnement « de la passerelle de l’avion jusqu’à la porte du logement » selon son délégué Faridy Attoumane.
II – De la candidature à l’inscription : parcours sélectif
Sur les 19 000 candidats à une formation en Hexagone :
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68 % reçoivent au moins une proposition d’admission (soit près de 13 000 jeunes)
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35 % acceptent l’offre, soit 6 700 étudiants
Les taux d’acceptation sont inégaux : 44 % pour les COM/Nouvelle-Calédonie, 42 % pour Mayotte, 37 % pour la Guyane, mais seulement 28 % pour La Réunion.
Parmi ceux qui franchissent le pas, 77 % rejoignent une université ou un BTS. Les autres filières (CPGE, écoles spécialisées, IFSI…) restent minoritaires.
Le Passeport Mobilité Études
Mis en place par LADOM (Agence de l’Outre-mer pour la Mobilité), ce dispositif finance un aller-retour aérien chaque année universitaire, maintient la bourse sur 12 mois, et prend en compte la distance dans le calcul de l’aide.
En 2024, LADOM a accompagné 12 000 étudiants, dont 90 % vers l’Hexagone, soit une hausse de 14 % en un an.
Des variantes existent :
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Passeport Mobilité Stage Professionnel
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Cadres Avenir (bourse en échange d’un engagement à revenir travailler dans son territoire)
III – La vie étudiante, entre intégration et nostalgie
Arriver dans une grande ville métropolitaine peut être déstabilisant. Pour limiter le choc culturel et administratif, un réseau d’associations ultramarines accueille les nouveaux venus :
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Sorb’Outremer pour les étudiants antillo-guyanais,
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des antennes régionales pour les Mahorais et Réunionnais,
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des « grands frères » pour guider les nouveaux arrivants.
Ces structures aident à remplir les formalités, à trouver un logement, mais aussi à maintenir un lien culturel. « On parle de jeunes déracinés qui doivent apprendre à évoluer dans un environnement très différent. Notre rôle, c’est de les aider à traverser ce choc culturel et à trouver leurs repères », explique Maïna Marie-Anne, membre de Sorb’Outremer.
Témoignage : Marie, 19 ans, de Fort-de-France à Toulouse
« Je savais que je voulais faire une licence d’architecture, mais il n’y avait pas de formation en Martinique. Le plus dur, c’est les premiers jours : le froid, la distance avec ma famille. Heureusement, j’ai été accueillie à l’aéroport par une association, ils m’ont aidée à faire mes papiers et à trouver ma colocation. Aujourd’hui, je me sens bien, mais je compte rentrer travailler chez moi après mon diplôme. »
IV – Un profil sociologique marqué
Les données révèlent que la mobilité ultramarine reste inégalement répartie selon l’origine sociale :
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31 % ont des parents retraités ou inactifs,
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29 % des étudiants ultramarins en Hexagone sont enfants de cadres (contre 15 % pour ceux restés Outre-mer),
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seulement 4 % sont enfants d’ouvriers (contre 10 % en Outre-mer).
Autrement dit, même avec des aides financières, le départ reste plus accessible aux familles ayant un capital économique et culturel plus élevé.
V – Entre tremplin et épreuve
Partir vers l’Hexagone, c’est accéder à des filières absentes localement, se confronter à un autre mode de vie, élargir ses perspectives professionnelles. Mais c’est aussi composer avec l’éloignement, le coût de la vie, et parfois l’isolement.
Pour les pouvoirs publics, l’enjeu n’est pas seulement d’envoyer des jeunes se former ailleurs, mais aussi de faciliter leur retour afin qu’ils mettent leurs compétences au service de leur territoire. Comme le résume Saïd Ahamada, directeur général de LADOM :
« Notre mission n’est pas de vider les Outre-mer de leur jeunesse, mais de leur permettre de choisir librement leur avenir, qu’il soit ici ou là-bas. »