Ernest Pignon-Ernest : révéler l’invisible est politique

Art visuel Museum TV offre une réflexion sur les œuvres engagées de l’artiste. Une immersion à travers le monde, à la fois dans son atelier et sur ses lieux d’exposition.
— Par Margot Bonnéry —
Influences, une histoire de l’art au présent. Ernest Pignon-Ernest, à taille humaine, Museum TV, 20 heures
De son atelier d’Ivry-sur-Seine à l’Italie, en passant par Haïti, le film de Yann Coquart suit Ernest Pignon-Ernest, figure incontournable et précurseur du street art. Depuis le début des années 1960, le plasticien arpente le monde pour maroufler ses dessins engagés : immigration, apartheid, avortement, accidents du travail… «  C’est une grande et belle chose pour un peuple que de conserver vivantes ses légendes », disait Jacques Stephen Alexis. À l’image de cet écrivain, homme politique et militant communiste haïtien, Ernest Pignon-Ernest ménage la mémoire des peuples.

Les collages in situ du plasticien sont voués à disparaître, et trouvent leur sens en fonction de l’endroit où ils sont placardés. L’œuvre devient alors indissociable de son lieu d’exposition. C’est le cas de la grande sérigraphie des Expulsés (1977-1979), collée sur des façades de bâtiments voués à la destruction, qui rappelle l’expulsion de ses parents alors qu’il n’était qu’un enfant. «  La personne est chassée de son histoire. (…) Ces images sont d’une grande violence », raconte le plasticien.
Techniques de réalisation et cheminements de pensée

Le réalisateur s’installe dans l’atelier d’Ernest Pignon-Ernest, qui présente ses affiches et photos au mur. Du Caravage à Karl Marx, en passant par Rimbaud, Che Guevara ou encore Pier Paulo Pasolini, ses inspirations culturelles et politiques sont riches. Volubile, le plasticien décrit ses techniques de réalisation et cheminements de pensée. Car derrière chaque trace de fusain et de gomme mie de pain se cache un message qu’il désire rendre accessible à tous. Son art de la rue a rarement sa place au musée.

Ernest Pignon-Ernest force le passant à se confronter à son approche de métamorphose de l’espace public. « Le dessin a quelque chose d’essentiel » car il permet au spectateur de réfléchir à sa représentation et au message qu’il véhicule en tant qu’image. Ses travaux questionnent l’homme et les violences qui lui sont infligées.

En 2019, dans la capitale haïtienne de Port-au-Prince, l’artiste s’imprègne de ses discussions avec les Haïtiens sur les violences subies. Son premier dessin, qui épouse la façade d’un cimetière, représente la croix de Jésus, dont seul le bras reste tenu par un clou. Une installation comme métaphore des tragiques conséquences du séisme de 2010.

L’œuvre autour de laquelle le documentaire se concentre principalement concerne la figure de Jacques Stephen Alexis, exemplaire des tyrannies infligées au peuple haïtien. Ernest Pignon-Ernest (qui est aussi président des Amis de l’Humanité) rend hommage à ce poète dont le corps a disparu après son assassinat par la dictature de Duvalier en 1961. «  La génération (contemporaine) ignore ce qui se passe vraiment dans l’histoire », explique un proche de l’artiste. Dans la rue, les badauds sont interloqués, s’interrogent, réfléchissent au dessin, ou regardent simplement la beauté des courbes. L’un d’eux se réjouit de cette création car elle permet de « voir Haïti d’une autre façon ». Le collage parle.

Source : L’Humanité

Art visuel Museum TV

Ernest Pignon-Ernest est né en 1942 à Nice. Artiste plasticien, dessinateur, Ernest Pignon-Ernest intervient dans l’espace public, lieu d’art éphémère, depuis les années 1960. Il est considéré comme l’un des pionniers de l’art urbain. Ses œuvres sont réalisées au fusain, à la pierre noire et à l’aide de gommes crantées. Ses représentations humaines sont reproduites en sérigraphie et collées sur les murs des villes du monde entier.

En 1966, il quitte Nice et s’installe dans le Vaucluse où il crée son atelier. Cette même année, il réalise sa première intervention dans l’espace public : il colle des affiches faites au pochoir représentant une ombre humaine inquiétante pour dénoncer l’installation des missiles nucléaires sur le plateau d’Albion (Vaucluse). Il investit en 1971 les marches du Sacré-Coeur sur lesquelles il représente des gisants disposés les uns à côté des autres en référence aux événements de la Commune. En 1974, pour dénoncer l’apartheid et le jumelage de la ville du Cap avec Nice, sa ville d’orginie, il colle sur les murs des images d’une famille d’origine africaine, grandeur nature, derrière des grillages. En 1978, en rendant hommage à Arthur Rimbaud, il affiche 400 images grandeur nature de l’écrivain à Paris et Charleville-Mézières, ville natale de ce dernier. Entre 1988 et 1995, lI affiche plusieurs dessins ainsi que des citations du Caravage dans les rues de Naples (Italie), ville qu’il retrouvera en 2014. Il colle en 2002 à Soweto, en Afrique du sud, des images de femmes portant leur enfant mort du sida pour dénoncer la tragédie de cette maladie. Ernest Pignon-Ernest est fortement influencé par les peintres de la Renaissance italienne dont le Caravage. Ses interventions plastiques dénoncent les drames de notre temps et éveillent les consciences.

Ses œuvres sont exposées dans de nombreux musées français et étrangers (Musée d’Art Moderne de Paris, Musée d’Art Moderne et Art Contemporain, MAMAC à Nice, Neue Pinakothek de Munich, Palais des Beaux-Arts de Pékin, Galerie Lelong à Paris, Galerie Bärtschi à Genève, Biennale de Venise, Biennale de São Paulo, Palais des Beaux-Arts de Lille, Palais des Papes d’Avignon, Le Botanique à Bruxelles, etc.).

Ernest Pignon-Ernest collabore régulièrement avec Jean-Christophe Maillot et les Ballets de Monte Carlo pour la scénographie et la création de décors (Roméo et Juliette, Cendrillon, La Belle, Le Songe, etc.). En 2014, il réalise le décor épuré du spectacle La Mégère apprivoisée pour le Théâtre du Bolchoï à Moscou. De nombreux ouvrages ont été consacrés à ses travaux.

Il vit et travaille à Paris.