Entre le désir d’égalité et la volonté de rupture c’est le chaos.

Par Yves-Léopold Monthieux

Quand cessera-t-on de faire croire aux Martiniquais que l’égalité complète entre les Antilles et la France est possible ? A 8000 kilomètres, une île de 1000 km2, une terre européenne en milieu tropical dont aucune production sortie de terre ou fabriquée par des mains de Martiniquais européens ne peut rivaliser avec la concurrence. Cela n’a jamais été possible et ne le sera pas, le croire a toujours été et sera toujours source de frustrations, le prétendre encore c’est tromper les Martiniquais. Cette persévérance après tant d’échecs ne peut que mener au pire.

La départementalisation administrative et sociale a été en grande partie réussie au terme des 20 années qui ont suivi les incidents de décembre 1959. La dernière mesure emblématique avait été la loi dénommée en Martinique « Femmes seules ». Cette disposition n’avait pu qu’aider au score martiniquais de Valéry Giscard d’Estaing à l’élection présidentielle de 1981. En 1995, l’alignement du SMIC domien sur celui de la métropole était salué comme l’achèvement de cette égalité sociale.

En revanche, l’égalité économique dans les DOM a toujours été en recherche de solutions. Il n’a pas manqué d’initiatives depuis les années 1960 par les gouvernements de droite puis de gauche. Des mesures exceptionnelles ont été prises : le BUMIDOM, le SMA, les réformes foncières, l’extension de la majoration des salaires aux fonctionnaires territoriaux, les minorations ou exemptions d’impôt, les quotas d’exportation, les aménagements de l’octroi de mer, l’ouverture des zônes franches, les défiscalisations, les dérogations de toutes sortes, etc… Elles ont été pratiquement toutes décriées et même combattues, puis défendues par les élus. Des colloques se sont succédé qui ne purent apporter que des palliatifs d’ordre social bien plus qu’économique. Qui peut croire qu’un « Grenelle » pourrait faire mentir cette inéluctabilité ?

En Martinique, la recherche de l’égalité n’est pas le sujet de ce début de siècle ; elle ne l’a jamais été ni en 2003, lors de la consultation populaire, ni en 2009 ou le seul vrai slogan, commun avec la Guadeloupe, était « péyi-a cé pa ta yo », la « vie chère » ne venant qu’en second lieu, presque comme prétexte. Ce ne fut pas non plus le cas lors de la controverse factice à propos des articles 73 et 74, conséquence de la peur d’affronter l’électorat par un référendum exécutoire. Avec la CTM issu de l’équivoque de janvier 2010, la Martinique n’a jamais eu une capacité de faire supérieure à la Guadeloupe, mais de créer un chef tout-puissant et impuissant de tout. Par ailleurs, entre la Martinique et la France, le chlordécone ni la Covid 19 et encore moins la passe sanitaire (sauf pour les troupes qui en ont été « convaincus ») n’ont jamais été le vrai sujet. Malgré leur gravité, ces circonstances doivent être considérées pour ce qu’elles sont, à savoir (au-delà des évidences apparentes) des opportunités, des aubaines et des accessoires utiles et terriblement efficaces à la revendication globale de rupture. En sorte que nonobstant les risques sanitaires considérables qui ont à peine amolli, en Guadeloupe, la verve de certains révolutionnaires, les dégâts humains et matériels trouveront bien à s’abriter sous le parapluie du « quoi qu’il en coûte » de l’histoire. Les adeptes de la rupture pouvaient-ils renoncer, au prétexte de risques sanitaires si grands soient-ils, renoncer à cette fenêtre qui s’offrait à eux ?

En effet, de l’équipée des activistes au centre commercial de Génipa menée par Kémi Séba à l’embrasement actuel des deux collectivités antillaises, tous les incidents qui se sont poursuivi en s’aggravant n’ont qu’un seul fil conducteur. Ce fil est politique : la revendication de rupture institutionnelle, le rejet de la France. Reste que la question de l’évolution politique martiniquaise n’a jamais été posée à la population de façon démocratique. Celle-ci n’a été invitée à participer qu’à des faux-semblants de consultations. A la veille de la première d’entre elles, en décembre 2003, voilà ce qu’écrivait votre serviteur dans « Le refus du débat institutionnel – 2001 » :

« Le peuple attend autre chose qu’une discussion en catimini dans le secret de la commission ad hoc du congrès autour d’un compromis acquis d’avance ; la population ne peut se prononcer démocratiquement sur un « oui » sibyllin défendu à la fois par des autonomistes, des indépendantistes et même des départementalistes ; il ne fait aucun doute que si le projet-consensus annoncé devait aboutir, il ne mettrait pas fin à l’insatisfaction des jusqu’au-boutistes de l’évolution statutaire ». « …C’était l’occasion pour les mouvements départementalistes, autonomistes et indépendantistes de présenter, expliquer et défendre leurs projets respectifs ».

Le non l’avait emporté de justesse, mais c’est le même contenu qui allait être cette fois voté le 24 janvier 2010 à l’occasion d’une stratégie destinée à tromper le peuple et y a réussi. Comme on pouvait s’y attendre, l’insatisfaction des jusqu’au-boutistes s’est maintenue et se manifeste aujourd’hui de façon paroxystique. Comme toujours absente du débat, lequel n’a d’ailleurs pas lieu, la population sera peut-être contrainte d’accepter la lecture politique du chaos résultant de la démission des élus après leurs discours, des atermoiements de l’Etat sensibles à ces discours, et de la persévérance des partisans archi-minoritaire de la rupture, les vrais gagnants de ce chaos.

Fort-de-France, le 27 novembre 2021

Yves-Léopold Monthieux