En noir et blanc et en couleurs : Jean-Luc de Laguarigue et Michel Rovélas s’exposent à la Fondation Clément

— Par Selim Lander —

Les expositions qui se succèdent à la Fondation Clément permettent au public de l’île et aux nombreux touristes venus visiter l’Habitation du même nom de découvrir les œuvres d’artistes le plus souvent connus et reconnus, ce qui est un gage de qualité. Si tous les Martiniquais connaissent les photographies en noir et blanc de Jean-Luc de Laguarigue, parions qu’ils n’ont encore jamais eu l’occasion d’admirer autant de celles-ci en grand format, dans des tirages de qualité parfaite, et qui, au-delà de leur évident mérite esthétique, construisent la mémoire d’une Martinique proche dans le temps mais paraissant infiniment lointaine, tant les changements furent rapides au cours des dernières décennies.

Contempler les portraits de J-L de Laguarigue (né en 1956), c’est plonger en effet dans un passé que les plus jeunes doivent juger reculé au moins jusqu’au temps mythique de l’amiral Robert, alors que les plus anciens remontent seulement à 1974. Les photographies ne trompent pas : force est de constater combien les gens des campagnes vivaient précairement dans les années 70 du siècle dernier, et même au-delà, avant la généralisation des droits sociaux. Les cases nègres n’étaient pas, alors, des vestiges auxquels les touristes pressés jettent un rapide coup d’œil, en passant. En planches ou en parpaings grossièrement enduits, couvertes de quelques tôles, pourvues à l’intérieur de meubles bricolés, souvent bancals, avec une image pieuse au mur et, seul signe éventuel de modernité, un antique téléviseur, elles étaient habitées par toute une population laborieuse.

 

Mais ce qui frappe le plus dans ces portraits en buste ou en pied, c’est la dignité des personnes représentées. On pardonnera au presque vieillard qui écrit ces lignes de considérer que si l’évolution vertigineuse qui a saisi l’humanité grâce au progrès technique accéléré a permis un enrichissement sans précédent et mis à la portée de chacun, du moins dans nos pays, des biens toujours nouveaux (et donc de plus en plus éphémères), cette évolution n’est pas toujours pour le meilleur. Il n’y a pas de personnes en surpoids sur les photos de Laguarigue, et pour cause ! Bien sûr, il ne s’agit pas de pousser la frugalité trop loin, n’empêche que les centenaires d’aujourd’hui, si nombreux(ses) en Martinique, semblables aux personnes photographiées ont pour la plupart vécu à la dure pendant la plus grande partie de leur existence. Qui ferait le même pronostic de longévité à l’égard des générations plus jeunes gavées de junk food et bourrées de cholestérol ?

Parmi les paysans représentés dans l’exposition, certains sont déjà âgés. Ils portent le poids des ans sans être pour autant accablés. Même si leurs muscles ont fondu, on les sent encore vigoureux, capables de manier une pioche et de marcher des kilomètres à pied sous le soleil. On ne refuse pas le progrès : ce serait absurde ! Admettons simplement qu’il va trop vite, que nous n’en sommes pas les maîtres et que nous laisserons nos descendants dans l’obligation d’inventer un autre mode de vie que le nôtre.

Laguarigue ne s’est pas intéressé qu’aux gens du peuple. Il a aussi photographié des békés. Le contraste est saisissant. Bien que les différences sociales subsistent sans nul doute aujourd’hui, elles se sont énormément atténuées, tous jouissant désormais d’un confort minimum, chacun ou presque ayant désormais sa voiture (embouteillée !) Il n’en allait évidemment pas ainsi lorsque Laguarigue prit ses premiers clichés.

Les classes sociales n’ont guère d’occasions de se rencontrer. Quand cela se produit, c’est d’autant plus saisissant, comme dans les portraits représentant une « da », un enfant blond sur ses genoux.

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Changement radical d’ambiance avec le Guadeloupéen Michel Rovélas, né en 1939, peintre qui pratique une forme d’expressionnisme abstrait dans la lignée de certaines œuvres exposées récemment à la Fondation Clément à l’occasion du cadre du cinquantenaire du musée Pompidou (exposition « Le Geste et la Matière »). Rovélas présente ici une série de grands tableaux au format 2x2m, intitulée « Grand or et peaux ». Sur des fonds colorés, travaillés en épaisseur, souvent à dominantes rouge et jaune, surgissent des formes vaguement circulaires dans des teintes de gris mais où le noir et à nouveau le jaune sont également présents. Parfois, un carré maladroitement dessiné d’un trait noir ou blanc vient également s’inscrire dans l’espace du tableau. Tel est le cas dans le n° 2 de la série, le plus spectaculaire avec le grand aplat rouge qui couvre le bas et le côté gauche du tableau. Libre à chacun d’interpréter comme il veut les formes qu’il a sous les yeux ainsi que les intentions de l’auteur. Le catalogue de l’exposition propose à ce double égard quelques hypothèses audacieuses. Dans le coin bas à droite du n° 7 se reconnaissent nettement deux silhouettes humaines fragmentaires : un visage d’homme, un bras et une cuisse de femme. Exception d’autant plus remarquable qu’elle est unique. S’agit-il d’un essai sans lendemain, de l’amorce d’une série future ? L’avenir nous le dira.

 

La série est complétée par des tableaux de taille moins imposante, toujours carrés (1x1m). On remarque d’abord le n° 5 (voir photo) – d’ailleurs repris sur l’affiche de l’exposition –qui bannit presque totalement les couleurs : un cercle noir ouvert (comme une gueule ?) sur un fond gris avec seulement quelques petites taches de rouge et de jaune. Est-ce un simple effet de contraste par rapport aux autres toiles plus colorées ? Quoi qu’il en soit, ce tableau est selon nous le joyau de cette exposition – remarquable de qualité comme nous l’avons déjà laissé entendre.

L’exposition des tableaux récents de Rovélas est complétée par ses sculptures. Plusieurs séries sont représentées : sculptures anthropomorphes (ou plutôt « robotmorphes ») à taille humaine, certaines en bambou hérissées de boulon, d’autres – particulièrement impressionnantes – en lamelles de métal, peintes en noir et, pour l’une, en rouge ; sculptures abstraites en bois (et boulons) ; enfin maquettes en carton de sculptures de petite dimension, également abstraites.

Deux expositions à ne pas manquer à la Fondation Clément :
Jean-Luc de Laguarigue, Photographies habitées, du 5 mai au 28 juin 2017
Michel Rovélas, Or et peaux – Nouvelles mythologies, du 2 juin au 26 juillet 2017