— Par Serge Letchimy —
Depuis le début de l’année, seize homicides ont été enregistrés en Martinique. Treize d’entre eux ont été commis par arme à feu. Ce n’est plus une série de faits divers : c’est une spirale de mort qui s’installe dans notre quotidien. Et pourtant, l’État regarde ailleurs. Combien de sirènes faudra-t-il encore entendre, combien de corps faudra-t-il couvrir d’un drap blanc avant que la République prenne la mesure de ce que vit la Martinique ? Nous sommes en guerre. Une guerre silencieuse, brutale, sournoise — celle que mène un narcotrafic devenu tentaculaire. Et cette guerre, nous ne pouvons plus la mener seuls.
La Martinique est aujourd’hui un point de transit stratégique pour la cocaïne venue d’Amérique du Sud à destination de l’Europe. Les cartels colombiens et vénézuéliens le savent. Ils exploitent nos failles : des ports insuffisamment contrôlés, des radars côtiers promis depuis vingt ans mais jamais installés, une coopération internationale encore trop timide. L’an dernier, seulement 1 400 conteneurs sur 188 000 ont été contrôlés par les douanes au Grand Port Maritime. 60% de la cocaïne saisie en France l’a été dans la zone Antilles-Guyane. Et pourtant, malgré ces chires glaçants, les moyens restent dérisoires. « C’est une société entière qui vacille » Mais au-delà des chiffres, c’est une société entière qui vacille. Le narcotrafic s’installe dans les esprits, dans les foyers, dans les choix de nos jeunes. Il ore de l’argent facile, des armes, un pouvoir illusoire. Il ronge nos quartiers, ruine nos familles, et tue notre avenir. Face à cela, que fait l’État ? Il supprime 900 contrats d’insertion (PEC) en 2025, brisant l’un des derniers remparts sociaux qui permettaient à des jeunes de retrouver un chemin. Il multiplie les déclarations sans lendemain, les visites symboliques, les effets d’annonce. Nous, élus locaux, sommes laissés seuls. Et nous refusons de rester de simples témoins. Car le plus grand risque désormais, c’est que l’idée d’autodéfense, germe dans les esprits. Ce serait là l’échec absolu de la République. Nous
lançons un appel à un sursaut pour des investissements massifs.
Des investissements dans la sécurité, bien sûr : contrôles systématisés, surveillance maritime, renforts humains. Mais surtout, des investissements dans l’éducation, la justice, la culture et l’insertion car aucune société ne guérit d’une telle plaie par la répression seule. La République ne peut tolérer que sur son propre territoire, une société sombre dans la peur, le deuil et le désespoir. La Martinique n’est pas un angle mort de la Nation. Je demande au Président de la République de regarder la Martinique les yeux dans les yeux, d’agir et de nous donner enfin les moyens de sortir de l’ombre. Il est encore temps. Mais le compte à rebours a déjà commencé.
Serge Letchimy, président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Martinique √ Courrier adressé au président de la République.
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