Economie et Ecole en Martinique / Guadeloupe : Le grand malaise de société

 —Par Jean-Marie Nol, économiste financier —

baby_computerA bien lire entre les lignes, le dernier rapport et la récente note de l’IEDOM ( institut d’émission des départements d’Outre-Mer )semble ainsi paraphraser Jean Peyrelevade,un ancien président de Banque, et nous livre à mon sens un constat sans appel: «Nous sommes en train de consommer les derniers restes d’une prospérité passée.»

Comment se dessine l’avenir des pays Martinique et Guadeloupe ? Une longue décennie à venir de croissance anémique, de chômage persistant, d’horizon bouché pour les jeunes. Les politiques font feu de tout bois sur les problèmes récurrents des îles sœurs, sans que cela ne change jamais rien au lent délitement.

Aux yeux d’une majorité de Martiniquais et Guadeloupéens ainsi que de la classe politique, rien ne paraît encore si grave. La richesse relative acquise avec les transferts publics, pendant la départementalisation, permettra de subsister encore une bonne décennie en ne changeant qu’à la marge. La classe politique croit faire son devoir, elle s’estime même courageuse de faire ce qu’elle peut «vu l’état angoissé de l’opinion uniquement sur les sujets de l’insécurité et du chômage ». Tout s’abîme, mais tout survit.

D’où l’idée entendue notamment de la bouche de certains économistes qu’il faut souhaiter une franche récession. Le réveil salutaire viendrait d’un recul du PIB, d’une flambée du chômage,d’une violence accrue des jeunes, d’une dégringolade du pouvoir d’achat. Enfin les yeux des hommes et des femmes politiques s’ouvriraient sur la réalité. La Guadeloupe et la Martinique au fond du trou, l’heure serait enfin venue de mettre en œuvre les politiques de redressement sur la base d’un nouveau modèle de développement économique et social .

En refusant de voir l’ampleur des difficultés des classes populaires et moyennes, notre société prend des risques. La fracture sociale s’ouvre et le ressentiment augmentera avec la fracture numérique.

La violence qui mine la cohésion sociale de notre société et qui a secoué nos pays tout au long de l’année 2015 a mis en lumière des fractures au sein de la société guadeloupéenne et martiniquaise. Quelles sont-elles précisément ? Comment les expliquer et peut-on les combler ?

Outre les problèmes historico-critiques sur lesquels nous ne nous étendrons pas, le mal a aujourd’hui trois racines:

1- La fracture économique,scolaire et universitaire

2- la fracture générationnelle et la fracture hommes / femmes

3- la fracture sociale, numérique, et culturelle

En 2016, la société Antillaise se fracture et se recompose. La question est de savoir quel idéal commun peut lui redonner du liant.Depuis, et même si le débat est plutôt confiné, le diagnostic de la fracture a triomphé. Il est désormais de l’ordre des évidences, et vaut pour à peu près tous les enjeux. La fracture est sociale, mais elle est aussi générationnelle, scolaire, numérique, énergétique, politique, et par-dessus tout économique et territoriale.Les inégalités progressent partout et dans tous les domaines de la société guadeloupéenne. Nous en avons déjà longuement parlé dans nos précédents articles mais un nouvel exemple s’avère particulièrement révélateur :D’après une récente étude de l’Insee sur les écarts de revenus, plus d’une femme sur quatre gagne plus que son conjoint. Un cas de figure que les hommes -et les femmes- ne vivent pas toujours bien, preuve que cette situation est loin d’être acceptée socialement en Guadeloupe et Martinique,d’autant que selon l’INSEE,les femmes aux Antilles sont déjà largement plus diplômées que les hommes et ce phénomène devrait encore s’accentuer dans les années à venir.

Socialement, c’est difficile, parce que dans le couple, la différence de salaire n’est pas toujours bien vécue. Des chercheurs ont même établi un lien entre inégalités de revenu et Viagra.

Dans une étude de février 2016, des chercheurs danois et américains ont établi un lien entre les problèmes d’érection de l’homme et… le salaire de son épouse.

Sur 200.000 couples hétérosexuels, ils notent une hausse de 10% « de la consommation de drogues contre le dysfonctionnement érectile » (Viagra, etc.), à partir du moment où la femme gagne légèrement plus que le mari. Plus l’inégalité salariale se creuse, plus la consommation de médicaments grimpe. L’épouse, elle, souffrirait d’insomnie et de stress. « Dans le couple, l’argent et le sexe se mélangent », explique Marie-Claude François-Laugier, psychanalyste.

Jusqu’ici, on considérait certaines évolutions institutionnelles, économiques, sociales, scientifiques, comme des avancées telles que, une fois qu’elles étaient installées, nul ne chercherait plus jamais à les remettre en cause, même pas par un sursaut de la société.

Dans son rapport annuel 2015 paru le 21 juin 2016, l’IEDOM nous apprend que la situation globale de l’économie guadeloupéenne demeure fragile, dans un contexte économique national et international contraint.Idem pour la Martinique en dépit de résultats économiques et financiers plus prometteurs que ceux de la Guadeloupe au premier trimestre 2016 .Pour ce qui concerne la Guadeloupe, les inquiétudes structurelles, comme la situation sur le front de l’emploi, perdurent et les perspectives d’activité s’avèrent incertaines, en particulier dans le secteur clé du BTP . En 2015 l’économie a révélé quelques signes d’amélioration après deux années d’essoufflement économique. Pour la Martinique, portée par une faible inflation et une embellie sur certains secteurs, notamment le tourisme et le commerce, la conjoncture s’est trouvée mieux orientée : la consommation des ménages s’est maintenue et l’indicateur du climat des affaires, traduisant le moral des chefs d’entreprise, s’est redressé, atteignant son plus haut niveau depuis 2012.Le secteur bancaire a accompagné ces évolutions observées sur l’année : la collecte retrouve un peu de vigueur et les encours de crédits sont en hausse, principalement tirés par les financements aux ménages, avec une nette reprise des crédits à la consommation et à l’habitat. Les entreprises et les collectivités contribuent également à cette progression de l’activité bancaire. Néanmoins,depuis le premier trimestre 2016 de sérieuses problématiques comme les délais de règlement des collectivités locales et le non-paiement des cotisations sociales se posent pour la santé des entreprises et l’économie es deuxterritoires. L’IEDOM révèle dans sa dernière note du 17 juin 2016 que les moteurs traditionnels de la croissance, la consommation et l’investissement, marque le pas après avoir progressé en 2015. Malgré une meilleure orientation, le marché du travail demeure sous tension. Au niveau sectoriel, l’évolution de l’activité est contrastée. Si l’économie guadeloupéenne et martiniquaise a été mieux orientée en 2015, les perspectives pour 2016 restent mitigées. Les professionnels, et notamment ceux du secteur clé du BTP, craignent un repli de l’activité en 2016 avec un manque de visibilité qui semble durable.

La croissance de long terme en Guadeloupe et Martinique, c’est fini! Certains économistes sont d’accord pour dire que la Guadeloupe et la Martinique vont connaître une croissance proche de zéro et qu’une crise se profile à d’ici 2020 . Pourquoi faire dès lors état de pessimisme quand on dit la Guadeloupe et la Martinique pour des raisons que nous avons déjà moult fois explicité dans nos précédents articles sont a priori condamnées pour les prochaines décennies à un faible rythme d’activité et à une crise récessive majeure ?

La baisse de la dépense publique et le déclin démographique ont leur part dans cette évolution : la baisse du nombre d’actifs réduit la disponibilité du facteur travail, qui est l’une des sources de la croissance. Mais c’est la faiblesse des gains de productivité, c’est-à-dire notre capacité à produire de plus en plus efficacement, qui sera la cause du ralentissement, car la production de biens et services est anémique en Guadeloupe et Martinique et bon nombre de ces secteurs productifs connaîtront des difficultés dans les prochaines années .Je pense d’abord au secteur sucrier en raison de la fin des quota, mais aussi au tourisme avec la grande hôtellerie et surtout de pas mal d’industries de transformation existantes aux Antilles qui n’auront plus les moyens de leur développement du fait que le commerce traditionnel sera menacé par le canal digital et par l’ouverture inéluctable des marchés à la concurrence internationale .S’ajoutera le principal problème qui tient à un coût du travail trop élevé, élément particulier d’un problème plus général, celui d’une fiscalité et d’une sur-administration décourageant l’esprit d’entreprise. Et pour être complet, il faudra prendre en considération les difficultés financières croissantes des collectivités locales et tenir compte la chute de la consommation principal moteur actuel de la croissance en Guadeloupe et Martinique.

Les entreprises seront en manque de capital, et les consommateurs verront fondre leur pouvoir d’achat d’ici 2020.

Dans la décennie qui s’ouvre, la tendance sera à une hausse du besoin d’investissement dans notre économie : il faudra demain deux fois plus de capital qu’il y a cinquante ans pour créer la même quantité de richesses. S’ajoutera à cela la désindustrialisation de la Guadeloupe et de la Martinique en raison de facteurs extérieurs . Or, c’est dans l’industrie que les gains de productivité sont les plus forts.

Ensuite, dans un environnement où les compétences et les qualifications représentent des avantages compétitifs importants, la Guadeloupe et la Martinique afficheront de faibles performances . Enfin, Internet, smartphones et autres tablettes changeront nos vies quotidiennes, mais ne sont pas sources d’efficacité productive. Bref, les ressorts de la croissance à long terme seront cassés.Il faudra chercher un autre modèle de prospérité. Oublions complètement la dimension écologique, c’est-à-dire l’addition d’une transition énergétique vers les industries renouvelables et d’un changement de modèle de production et de consommation .A notre sens,en dépit de quelques projets intéressants, la transition écologique aura du mal à être opérante en Guadeloupe et en Martinique du fait de l’étroitesse des territoires et de l’absence d’entreprises véritablement innovantes pouvant soutenir la concurrence internationale.

Il existe un lien étroit entre la représentation des territoires des valeurs du passé et la structuration sociale à travers la perception de l’avenir. Travailler sur le paysage social de la Guadeloupe et de la Martinique permet de mettre en question les clichés, les représentations erronées de la société qui circulent depuis une vingtaine d’années et qui sont un des facteurs de l’éloignement de la classe politique.

La plus évidente est une fissuration du bloc politique notamment en Martinique.

On se rappelle la manière dont l’alliance entre le salariat du secteur public, la classe moyenne intellectuelle et les milieux populaires, alliance qui conduisit la gauche à la victoire électorale de 2012 en France, s’est progressivement désagrégée au milieu de l’année 2014 . On vit alors se constituer un nouveau bloc hégémonique rassemblant le système économique néo-libéral moderne et les représentations qui lui sont liées, représentations théorisées et instillées par le néo-management. L’emprise fut telle qu’au plus profond de la gauche, la mise en concurrence généralisée des individus, des structures et des territoires, la mise à bas de l’Etat providence, de l’Hôpital, de l’École, de l’Université apparurent comme les terrains d’une “modernisation nécessaire”. Si le démontage social et démocratique a un temps été porté par le consentement et l’idéologie insidieuse de coproduction des “réformes”, la classe moyenne qui fournissait au néo-libéralisme son assise sociale est en passe, maintenant, de faire défection. Attaquée économiquement et socialement dans son essence, elle se détourne à présent des valeurs qu’elle a un moment glorifiées.

Les baby-boomers de la Guadeloupe et de la Martiniques ont devenus adultes pendant la deuxième période de la départementalisation, période marquée économiquement par une forte croissance, par une idéologie orientée vers la consommation et par une ascension sociale facilitée. Est-ce lié au fait que la génération précédente avait connu la honte de la colonisation ? Les baby-boomers ont accédé rapidement aux responsabilités politiques et économiques et n’ont plus quitté le pouvoir depuis. Pour ce faire, ils n’ont eu de cesse d’auto-célébrer l’hédonisme du consumérisme conquis pendant leur jeunesse et d’handicaper la génération suivante, supposées incapables d’élans vitaux, de pensée politique, de toute prise de responsabilité, et maintenues dans un état d’adolescence avancé. Ces générations – la “Bof” et la Y – ont été et sont celles du « niveau qui baisse », du bac dévalué (qui ne saurait plus constituer le rite initiatique donnant accès à l’âge adulte), de la déresponsabilisation (à l’Université comme ailleurs), de la dépossession. Or, chaque génération a le droit et le devoir d’exercer le pouvoir pour modeler la vie qu’elle a, elle, devant soi, de prendre des risques, de construire de nouvelles valeurs, de nouvelles utopies, fussent-elles éloignées de celles de la génération précédente.La Martinique et encore plus laGuadeloupe souffrent d’un mal encore invisible : la fracture générationnelle. De nombreux trentenaires la ressentent, sans forcément en avoir conscience. les jeunes se désintéressent de la politique et rêvent au grand large, ne lisent plus, préfèrent passer avec de plus en plus de difficultés les concours de la fonction publique pour s’assurer une carrière tranquille et sans surprise (fonction publique avec les 40% que la génération précédente est en train d’allègrement démanteler faute de sens de la prospective), ou – pire ! – s’abrutir devant les émissions de télé réalité en profitant de l’aide pécuniaire des parents… Ces préjugés contribuent à faire de cette fracture un tabou, très peu abordé par les médias. Et toute critique à l’égard de ceux et celles qui ont participé à l’essor de la départementalisation et ses soubresauts consuméristes est évacuée d’un condescendant revers de la main. De quoi alimenter le sentiment d’une « politique de la terre brûlée » pratiquée par les baby-boomers. Hier, ceux-ci s’opposaient à leurs aînés sur le terrain des mœurs et des valeurs morales. Demain, ils risquent bien de voir la cohorte des nouvelles générations frapper à leurs portes pour leur demander des comptes.Les jeunes guadeloupéens et martiniquaisen décrochage scolaire le sont, en partie, parce qu’ils répudient ou se sentent très éloignés de la culture scolaire qui est une culture de l’écrit. Leur culture, comme celle de tous les jeunes aujourd’hui, est une culture communicationnelle qui passe par les réseaux sociaux, les images, les vidéos. Les jeunes de milieux favorisés parviennent sans trop de difficultés à compenser cette distance culturelle avec l’école, car ils savent faire leur « métier » d’élève et ils connaissent les codes, grâce à leurs familles et au capital culturel qu’elle transmet malgré tout. Que peut-on en attendre pour l’avenir de nos pays ? …..

A l’heure ou 5 891 candidats passent cette année les épreuves du bac (contre 6 180 en 2015), toutes catégories confondues, pourquoi peut-t-on considérer l’actuel niveau scolaire en Guadeloupe et Martinique comme un problème de société ?

Poser aujourd’hui cette question pourrait être considéré comme une provocation. En effet, le faible niveau constaté chez beaucoup d’enfants, le décrochage scolaire,la violence à l’école, et la démobilisation voire la grande lassitude des enseignants sont devenu en quelques années seulement la principale désignation des problèmes du système éducatif en Guadeloupe et Martinique. Il semble résumer l’ensemble des manquements de l’école à ses missions. Médias et responsables politiques utilisent de plus en plus le terme « décrocheurs » pour désigner tout à la fois des victimes de l’échec scolaire, des jeunes désocialisés, de futurs chômeurs ou délinquants, voire de possibles marginaux de la société impossible à réinsérer ou reclasser dans l’optique d’une montée en puissance de la révolution numérique .

La révolte des jeunes sortis du système scolaire sans perspective de diplôme s’inscrit dans une certaine continuité du phénomène de violence observée en Guadeloupe et Martinique (rappelons l’épisode récent de cette horde de 15 jeunes ayant attaquée et détroussée les passants en plein coeur de Fort de France ) . Elle reflète une nouvelle fois le véritable malaise social qui règne ici dans nos pays . Symptôme d’une société aux structures économiques dépassées, lointain héritage de la période post-coloniale. Une société passée ces dernières décennies d’une économie rurale à une société de surconsommation, créant ainsi beaucoup de frustration, de désespoir.

Quitter le système éducatif sans diplôme, c’est aujourd’hui être grandement exposé au chômage et au sous-emploi en début de vie active, et, avec la crise, bien au-delà de la période d’insertion dans la vie . Une question hante le débat sur l’école, celle de l’échec scolaire et de ses conséquences sociales désastreuses. Les années, les décennies, passent, et rien ou presque ne change. Pourtant le diagnostic existe depuis très longtemps, et les solutions aussi.

Plus marqué à La Réunion (25 %), qu’aux Antilles (de 14 et 17 %), l’échec scolaire est plus préoccupant encore en Guyane et à Mayotte. Ces deux départements comptent respectivement 39 % et 56 % de jeunes qui ont achevé leur scolarité et qui n’ont obtenu aucun diplôme (19 % en métropole).

L’école en Outre-Mer, royaume des inégalités et du décrochage ? L’Observatoire des inégalités a publié les données de l’enquête Pisa de l’OCDE qui montrent l’influence du milieu social sur les résultats scolaires à l’âge de 15 ans et pour le niveau en mathématiques. Dès l’enfance, des écarts existent.

Au regard des spécificités du département de la Guadeloupe, les enjeux en matière d’illettrisme sont particulièrement forts et multiples, en effet selon les données de la dernière enquête produites par l’Insee Guadeloupe :

25 % des 16-65 ans sont dans une situation préoccupante face à l’écrit : 16 % présentent de graves difficultés.

20 % des Guadeloupéens ayant été scolarisés en Guadeloupe ou ailleurs en France sont en situation d’illettrisme et 69 % d’entre elles sont sans diplômes et 36 % sont au chômage.

En 2011, selon les données JDC, 20,1 % des jeunes Guadeloupéens sont repérés en difficulté de lecture, soit 1404 jeunes.

À la fois conséquence et cause de précarité économique, cet échec scolaire et l’illettrisme qui souvent l’accompagne pèsent sur le niveau de qualification de la population active et constituent un frein majeur au développement. À titre d’exemples, en Guadeloupe et à la Réunion, plus de 20 % des adultes d’âge moyen (25-39 ans) sont illettrés, et environ 15 % éprouvent de graves difficultés. Ce taux est plus élevé encore parmi les adultes d’âge mûr (30-39 ans) où 25 % des Guadeloupéens et 29 % des Réunionnais sont concernés.

Cela n’empêche que l’école en Guadeloupe peut mieux faire. Les inégalités ont tendance à y augmenter. Au bout du chemin, les filières les plus sélectives (les « grandes écoles » de haut niveau) sont réservées à une poignée d’élèves socialement triés.

Parce qu’elle affecte fortement la capacité des jeunes à trouver un emploi, cette situation exige un effort soutenu d’amélioration de la qualité de l’éducation dès le primaire, associé à un programme volontariste de pré scolarité des enfants des milieux les plus défavorisés . La nécessité s’impose également d’une attention soutenue aux difficultés liées à une maîtrise insuffisante du français et à la pratique courante de langues vernaculaires tel le créole . Sur ce point, ce sont les conditions et méthodes d’enseignement qui doivent être repensées dans certaines classes pour répondre efficacement aux besoins réels de populations souvent issues de l’immigration haïtienne , Sainte Lucienne et Dominiquaise. Le système éducatif français en Outre-Mer est l’un des plus inégalitaires qui soit . En effet, il ne parvient pas, en dépit des multiples réformes entreprises depuis des décennies, à instaurer l’égalité des chances pour tous les élèves, en particulier pour les enfants immigrés ou issus de l’immigration.

La difficulté à intégrer les enfants issus de milieux défavorisés y est plus nette que dans la plupart des pays et se traduit par de piètres résultats chez les enfants immigrés et issus de l’immigration qui sont surreprésentés dans ce groupe.

Ces désavantages se traduisent plus tard par une plus grande difficulté pour les enfants d’immigrés à s’insérer sur le marché du travail et à s’intégrer socialement pour ne pas sombrer dans la délinquance comme c’est trop souvent le cas en Guadeloupe et Martinique.

En dépit des politiques et des discours sur l’égalité des chances, le système scolaire aux Antilles reste fortement marqué par des écarts de réussite. Il ne parvient pas à réduire ce « noyau dur » d’élèves en difficulté, qui sont en grande majorité issus de milieu social défavorisé.En Guadeloupe et Martinique, les écarts de réussite s’installent dès l’école primaire .

La dernière étude en date, réalisée par le service statistique du ministère de l’éducation nationale, la DEPP, vient confirmer ce constat. Publiée mardi 21 juin, elle montre que dans l’ensemble, à la fin de l’école primaire, près de 20 % des élèves n’ont pas les bases suffisantes en français ; ils sont environ 30 % dans ce cas en mathématiques et en sciences. Entre enfants de milieu favorisé et enfants d’origine défavorisée, c’est le grand écart : quand 90 % environ des premiers ont les « acquis attendus » dans les deux domaines, ils sont moins de 70 % en français et seulement 55 % en mathématiques et en sciences, dans les familles les plus modestes.

Originalité de l’étude de la DEPP : elle s’intéresse aux écarts de réussite entre académies, qui « s’expliquent en grande partie par leur profil socio-économique »,explique Fabienne Rosenwald, la directrice de la DEPP. Moins de 80 % des élèves ont des acquis suffisants en français dans les académies du nord de la France – Lille (77 %), Amiens (78 %), Rouen (78 %) et Créteil (79 %) –, ainsi que dans les départements d’outre-mer (autour de 70 % à la Réunion, en Guadeloupe et en Martinique, et seulement 40 % en Guyane). Or ces académies ont les indices de niveau social parmi les plus faibles.

A l’inverse, Paris affiche la plus haute performance en maîtrise de la langue en même temps que l’indice social le plus élevé. C’est également le cas des académies de Rennes, Versailles, Grenoble et Lyon, où performance et niveau social vont de pair.

Toutefois, « tout ne s’explique pas par le contexte socio-économique. A niveau social comparable, certaines académies s’en sortent mieux en termes de performance et d’équité », précise Mme Rosenwald. C’est par exemple le cas de Rouen et Besançon : les deux académies ont le même indice social, mais les performances sont meilleures dans la seconde.

C’est la première fois que la DEPP a conduit une évaluation auprès d’élèves par ordinateur – en lieu et place des feuilles de papier –, ce qui lui a permis de mener un test de grande ampleur : 160 000 élèves de 6e y ont participé en novembre 2015, répartis dans plus de 4 000 collèges de toutes les académies. Soit environ un élève de 6e sur cinq, dans près de deux tiers des collèges. En français, ceux-ci ont été évalués en lecture, orthographe, grammaire et vocabulaire. En maths, sur les nombres et calculs, la géométrie… En sciences, sur le vivant, la matière ou encore la pratique d’une démarche scientifique.

Il en ressort que les différences de niveau, fortement corrélées à l’origine sociale, sont déjà bien installées dès la fin du primaire. Différences que la politique d’éducation prioritaire ne parvient pas à réduire : en maîtrise de la langue, l’écart de niveau est de plus de 20 points entre les élèves de « REP + » (réseaux d’éducation prioritaire) et ceux scolarisés hors éducation prioritaire ; il atteint 30 points en mathématiques et sciences. Le constat est proche de celui fait par l’OCDE à travers son enquête triennale PISA menée sur des élèves de 15 ans. La dernière version, en 2013, classait la France parmi les pays les plus inégalitaires.

L’inégal accès au bac des catégories sociales :95 % des enfants d’enseignants entrés en sixième en 2008 ont obtenu le bac environ sept années plus tard, contre 40,7 % des enfants d’ouvriers non qualifiés, selon le ministère de l’Éducation nationale. Une partie des enfants issus des milieux populaires accèdent au bac, mais les écarts sont considérables selon les milieux sociaux, notamment du fait de l’influence du niveau de diplôme des parents, dans un système scolaire très académique.

Si l’on observe uniquement le type de bac obtenu par catégorie sociale, les écarts sont tout aussi grands. Parmi les enfants d’ouvriers qui ont eu leur bac en 2012, 31 % l’ont obtenu dans une filière générale, 23 % dans une filière technologique et 46 % dans une filière professionnelle. Chez les enfants de cadres supérieurs, les trois quarts ont eu un bac général, 14 % technologique et 10 % professionnel.

35ème sur 38. Telle est la position de la France en termes d’inégalités scolaires, selon un rapport de l’Unicef publié cette semaine. Située entre la Slovaquie (34e) et la Belgique (36e), l’école de la République fait figure de mauvais élèves. Ces données s’appuient sur les résultats du test PISA de 2012 et le chemin vers une école plus égalitaire semble encore loin.

C’est un processus de construction collective qui met au cœur la question du fond, la vision d’avenir que la société civile de la Guadeloupe et de la Martinique va porter dans un nouveau modèle original de développement .

En un mot, le droit et le devoir d’accoucher elle-même d’un nouveau modèle économique et social novateur et responsable. Pourquoi est -t- ce une urgence ?

Parce que nous sommes au pied du mur et sommes confrontés à l’hypothèse de plus en plus sérieuse d’une ère de «grande stagnation économique», voire de fracturation sociale .

La thèse d’un essoufflement de la dynamique expansive du capitalisme a longtemps été confinée dans des cercles d’économistes d’inspiration marxiste, qui n’en ont pas moins nuancé et raffiné la prophétie d’un effondrement final du système sous le poids de ses contradictions.

C’est en particulier autour de la Monthly Review, aux États-Unis, que plusieurs auteurs ont développé un raisonnement faisant de la financiarisation actuelle de la société une réponse fonctionnelle à la tendance à la stagnation des économies occidentales matures. Alan Freeman, économiste de renom, est allé dans le même sens, en montrant que les booms de prospérités ont les exceptions à expliquer dans l’histoire du capitalisme, bien plus que les phases de dépression, lesquelles apparaissent au contraire comme une sorte de «pente naturelle» du système.

La nouveauté ces dernières années consiste dans la reprise, sinon de ces arguments, en tout cas du pronostic d’une ère longue de stagnation, de la part d’économistes relativement éclairés. Paul Krugman, autre économiste de renom,en a ainsi accepté l’hypothèse dans les colonnes du New York Times, tandis que Thomas Piketty,jeune économiste Français de gauche, l’auteur du fameux Capital au 21èmesiècle, a mis en garde contre l’accentuation à venir du décalage entre d’un côté la hausse continue du patrimoine des plus favorisés, et de l’autre l’évolution plus modeste de la production réelle et des revenus salariaux ordinaires.Il assure que «les Trente Glorieuses furent une exception; la normalité, c’est 1 % de croissance!».

La probabilité que la crise actuelle débouche sur une stagnation durable du «fétiche PIB» est de fait rendue crédible par de simples constatations empiriques. Au-delà des cycles conjoncturels, il apparaît ainsi que sur le long terme, dans les pays riches mais aussi à l’échelle mondiale, la tendance est au déclin de la croissance et des gains de productivité qui en ont été un moteur crucial.

Pour moderniser, protéger et permettre à la Guadeloupe et à la Martiniqued’aller mieux tout en restant elles-mêmes,il n’y a pas trente six solutions , la seule qui vaille aujourd’hui est la construction originale d’un nouveau modèle économique et social . En bref, je suis optimiste. La période difficile dans laquelle nous allons nous trouver à l’aube de la prochaine décennie créera de nouvelles opportunités. La prise de conscience croissante que les marchés du travail avec le numérique et la fin de l’Etat providence vont changer fondamentalement la vieet définitivement les mentalités et aura pour effet de stimuler les politiques, les décideurs, les employeurs et les travailleurs à relever les nouveaux défis d’une manière qui profitera à tout le monde. Les grands changements ne sont jamais faciles mais, quand ils sont gérés correctement, ils peuvent nous rendre plus forts et améliorer notre situation au lieu de nous conduire vers le pire .

Jean-Marie NOL

ECONOMISTE FINANCIER