Drôle de genre ou Le dieu masqué

par DÉGÉ

Andromède Tamara de Lempicka Intéressant pour le moins L’Esclave de Michel Herland par ses thématiques et sa construction : d’un chapitre à l’autre l’auteur nous propulse d’un  narrateur à l’autre, d’un siècle à l’autre. De 2009 à 2114. Roman de science fiction donc ? Pas vraiment car nul futurisme dans les descriptions, les dialogues, les idées… Bien au contraire. Est-ce parce que, l’Asie ayant pompé toutes ses richesses, l’Europe à genoux est soumise aux Sarrazins ? L’ambiance est orientale et moyenâgeuse. Le calendrier grégorien étant remplacé par l’hégirien : en 2114 (1538), nous sommes au 16ème siècle ! Une régression dans le futur.

Au début on se dit : « Originaire du sud de la France, universitaire, M. Herland épouse les thèses du FN pour mieux les écraser… » Mais non. Fausse piste. Politique fiction oblige, les Musulmans ont triomphé. Après leur Reconquête, leur civilisation perdurera au-delà du XXIIème siècle. La prophétie lepéniste s’est réalisée.
Les Chrétiens, condamnés à l’artisanat (qu’il soit agricole, avec les corvées, politique, dans la votation à mains levées, religieux à travers des pratiques clandestines un tantinet dégradées voire réac., etc.), les Chrétiens donc, solidaires par nécessité, s’entredéchirent par nature. Pas le moindre effort de révolte, car vouée à l’échec.
Pas la moindre tentative d’organiser une « Contre-Reconquête », perdue d’avance. Le phalanstère d’insoumis qui se sont réfugiés dans les montagnes pyrénéennes se contente de vivoter dans une spiritualité médiocre, couronnée par le mythe de la « femme-ours ». Le triomphe du fatalisme.

Au moins ce village pseudo résistant, et si peu gaulois, se sauve-t-il dans et par l’amour ? Le sexe ? Certes l’auteur nous gratifie de quelques pages d’un érotisme à faire mouiller ou bander ses lecteurs. (Ah, les dinettes après les galipettes sous la couette ! Ah…! De fait, il est bon et sain de restaurer toujours ses appétits.
Passons sur l’amour pourtant sincère et douloureux de Colette (midinette amoureuse de son prof-Pygmalion : classique !) : il ne fait pas le poids.

L’auteur nous gratifie également d’un héros, professeur de philosophie, Michel, dont la volonté pédagogique, généreuse, est à toute épreuve. Il ne cesse de clarifier, dépoussiérer, débroussailler les enseignements. (Notons au passage une écriture limpide où surgissent comme un chant de cigale des idiotismes tel « s’acagnarder », des réminiscences poétiques). Il les débarrasse, ces enseignements, de leur fatras idéologiques, de leurs mensonges, de leurs naïvetés pour faire surgir une vérité toujours masquée : la Méchanceté fondamentale de l’homme. À la fois source, moteur, guide uniques et premiers de toute action, réflexion, production humaine…
Ainsi s’achève L’Esclave de M. Herland : dans un feu d’artifices d’horreurs perpétrées par Selim, le répugnant, le collabo, le renégat, Sélim, son double, notre frère.

 L’Esclave n’est pas une réflexion sur l’esclavage, le rapport dominé/nant. La problématique n’intéresse pas vraiment l’auteur.
Pas davantage ne l’intéresse vraiment (encore une fausse piste) l’analyse comparative pourtant fort poussée entre les deux religions musulmane et chrétienne. Quelle est la meilleure (notamment pour la place des femmes) ? Il ne tranche pas. Il aurait même une petite préférence… surprenante. Au moins un lecteur anticlérical paresseux peut-il se satisfaire de cette comparaison qui lui évite d’entrer dans des polémiques théologiques aussi vaines que meurtrières.

C’est bien pourtant un roman à message : une lecture désabusée, presque hautaine de l’homme et une mise en scène, voire une glorification de la philosophie sadienne.En 2014, a-t-elle encore besoin d’avancer masquée (car M. Herland est bien trop intelligent pour n’en être pas conscient), masquée sous la forme d’un roman de « sociologie-fiction » ?
Oui, la fiction était nécessaire. Car il nous est important, pour apprécier son style, de penser que Sade fantasmait ses atrocités jouissives. Elles deviendraient inacceptables en s’inscrivant dans la réalité. Car il nous est important de penser que M. Herland est un esthète des idées, un érudit dandy, et qu’il ne s’inscrit pas dans la triste et longue liste des vrais Méchants.