Droits des femmes: le gouvernement de la honte

— Par Lénaïg Bredoux —

En nommant l’avocat Éric Dupond-Moretti à la justice, Gérald Darmanin à l’intérieur et Élisabeth Moreno aux droits des femmes, Emmanuel Macron inflige un camouflet à toutes celles et tous ceux qui promeuvent des rapports plus égalitaires et luttent contre les violences sexuelles.

Le soir de la cérémonie des César, on avait pris une gifle. La deuxième est arrivée lundi 6 juillet, quand le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler a prononcé ces mots : Éric Dupond-Moretti, ministre de la justice, garde des Sceaux.

À cette nomination, il faut joindre celle de Gérald Darmanin à Beauvau, ainsi que celles, à un degré moindre, d’Élisabeth Moreno à l’égalité entre les femmes et les hommes, et de Barbara Pompili à la transition écologique, pour mesurer à quel point le gouvernement de Jean Castex est une déclaration de guerre aux droits des femmes.

C’est une claque portée à tous ceux et toutes celles qui espèrent que les inégalités de genre diminuent, que les violences qui tuent une femme tous les trois jours reculent. Que le nombre de viols ne régresse pas rien qu’un peu.

Avocat médiatique, probablement choisi, comme Roselyne Bachelot, pour sa renommée sur les plateaux télé, Éric Dupond-Moretti incarne aussi une certaine conception de la justice et de la liberté de la presse (lire l’article de Michel Deléan). Il est également un des porte-voix des adversaires de #MeToo et du puissant mouvement mondial de libération de la parole qui commence tout juste à secouer nos sociétés enkystées dans une domination masculine séculaire.

Passons sur sa vision virile du métier d’avocat – elle est encore très répandue (« Plaider, c’est bander ; convaincre, c’est jouir », a-t-il dit). Rappelons aussi qu’Éric Dupond-Moretti avait parfaitement le droit de défendre ses clients. Non seulement le droit, mais le devoir. Il avait le droit, et le devoir, de choisir la meilleure stratégie de défense pour les représenter.

Mais parce que les débats sont publics, libre au public justement de critiquer une ligne de défense, une certaine façon d’humilier un.e plaignant.e, ou de ridiculiser un.e témoin. Ce fut notamment le cas lors du procès aux assises de Georges Tron, l’ancien ministre poursuivi pour viol au terme d’une procédure judiciaire hors norme et finalement acquitté – les plaignantes ont fait appel.

Dans l’enceinte du tribunal, l’avocat s’en était pris à l’Association européenne contre les violences faites aux femmes (AVFT), qui mène un travail précieux d’accompagnement des victimes, y compris dans les procédures judiciaires. « C’est bien que la parole des femmes se libère, mais vous préparez un curieux mode de vie aux générations futures », avait-il lancé. Avant d’évoquer (entre autres) sa nostalgie des slows. « Moi, je vous sauterais à la gorge », avait-il conclu en direction des parties civiles.

Ces propos, il les a répétés depuis, en dehors de la salle d’audience. Confirmant qu’il ne s’agissait pas simplement de la défense d’un client, mais de ses convictions personnelles. Pour lui, ce qu’on appelait un « râteau » est devenu un « délit », et n’importe quel jeune homme est susceptible d’être accusé d’agression ou de harcèlement sexuel…

Dans son livre Le Droit d’être libre. Dialogue avec Denis Lafay (Éditions de L’Aube), l’avocat écrit : « Une starlette qui accepte de coucher pour un rôle, ça ne s’appelle pas un viol, ça s’appelle une promotion canapé. Et nier cela, c’est faire injure à toutes les femmes qui refusent. »

« J’ai dit maintes fois, et écrit aussi, que je n’ai aucun problème avec la parité. Que je voterais les yeux fermés pour une femme à l’élection présidentielle, si je la trouve compétente. Que je me réjouis, pourquoi pas, que chez les magistrats comme chez les avocats, il y a aujourd’hui plus de femmes que d’hommes… Et aucune femme ne m’a jamais poursuivi pour un comportement inapproprié », a-t-il assuré dans un entretien à La Voix du Nord.

Avant d’ajouter : « Mais je reviens volontiers sur la période de mes soirées de jeunesse, quand tapis dans l’ombre, nous attendions Warum – le seul slow allemand acceptable convenons-en… – et qu’une fois sur trente, une partenaire acceptait de danser avec moi. S’il me venait à l’idée de tenter de l’embrasser, comme il venait à l’idée de tant d’autres… et si elle refusait. À l’époque, on appelait cela un râteau, aujourd’hui, c’est un délit ! »

Puis : « Et que fait mon fils de 25 ans, s’il tente de poser sa main sur le genou d’une copine qu’il raccompagne ? Un délit, également ? Quand c’est non, c’est non, évidemment, on est tous d’accord là-dessus. Mais alors, comment savoir ? »

« Comment savoir ? » Voilà donc la position, faussement naïve, du nouveau ministre de la justice face à la prise de conscience sur l’ampleur des violences sexistes et sexuelles, face à la découverte du sexisme ordinaire qui pourrit la vie, et renforce les inégalités, face aux débats sur le consentement…

Le Monde, qui a publié un portrait de l’avocat en 2018, rapporte aussi cette anecdote, datant de 2016, quand, lors d’un procès, Dupond-Moretti croise une policière dont il s’apprête à attaquer l’enquête : « Tiens, voilà la pom-pom girl ! », lance-t-il. Puis : « Tu trouves pas que ça sent la morue ? »

La féminisation des noms ? Le garde des Sceaux est un chantre du « on ne peut plus rien dire », ce refrain qui conduit à ne jamais questionner nos stéréotypes et nos préjugés. « Pourquoi pas école paternelle et la matinoire ?, interroge-t-il dans Le Monde. Nous vivons une époque avec laquelle j’ai un peu de mal. On ne peut plus dire un mot sur les Arabes sauf si on s’appelle Jamel Debbouze, pas un mot sur les juifs sauf si on s’appelle Gad Elmaleh… Les communautés sont à couteaux tirés et on est en train de cadenasser notre pensée. Nous sommes dans un temps de médiocrité absolue, hypermoraliste et hygiéniste. »

Mais Emmanuel Macron, depuis l’Élysée, ne s’est pas arrêté là. Il a aussi choisi de placer au ministère de l’intérieur celui qui était jusqu’alors en charge du budget, Gérald Darmanin. Cette promotion peut s’entendre politiquement. Elle est consternante si l’on se souvient qu’il est visé par une procédure judiciaire pour viol, harcèlement sexuel et abus de confiance qu’il aurait commis en 2009.

La cour d’appel de Paris a ordonné, mardi 11 juin, la reprise des investigations après un premier non-lieu obtenu en 2018.

Darmanin est évidemment présumé innocent. Et nul ne sait quel sera l’avenir de cette plainte. C’est simplement une question de principe, et d’éthique, quand on connaît le rôle crucial de la police dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, notamment dans la réception des plaintes et la conduite des enquêtes.

À l’Élysée, les conseillers du président semblent en tout cas déjà savoir quelle sera la décision des juges : lundi, l’un d’eux a déclaré, à propos de la plainte : « Il semble que les choses vont dans le bon sens ». Et elle n’a donc « pas fait obstacle » à sa promotion…

Par ailleurs, alors que la PMA pour toutes les femmes arrive en débat au Parlement en juillet, Gérald Darmanin fait partie de ceux qui ont défilé, sous le quinquennat précédent, avec la Manif pour tous.

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