Dialogue entre Jean-Bernard Bayard et Lamarec Destin

« Haïti : Réflexion sur la Gouvernance et l’Héritage des Dirigeants »

— Jean-Bernard Bayard —

Plainte ou Réflexion, condamne-t-il ou essaie-t-il de rectifier les erreurs et les méfaits? Prétexte ou Responsabilité, Pointe-t-il du doigt ou assume-t-il la charge qui lui est conféré? Promesse ou Planification, offre-t-il des rêves ou s’applique-t-il à planifier pour le future? Pillage ou Service, Est-il motivé par l’accaparation ou par le service à la société? Ce sont des questions primordiales et fondamentales pour la simple et bonne raison que sans moral publique, il n’y a pas d’état, sans institutions fonctionnelles, il n’y a pas de nation et sans service à la société, il n’y a pas de dirigeant. De 1804 à 1859 il y a eu en Haïti six chefs d’état à vie avec quatre présidents éphémères entre 1843 et 1847. Durant les cinquante-cinq premières années peut-on dire que les dirigeants haïtiens étaient motivés par la moral publique, avec des institutions fonctionnelles, au service de la société? Etait-ce une gouvernance de la collectivité ou le culte de la personne? De 1859 à 1908, Haïti fut béni par dix présidents et bénéficia de dix complots subversifs. Peut on dire que le premier centenaire de la nation haïtienne a connu une évolution progressiste et visionnaire? De 1908 à 1957 Haïti fut doté de dix-sept présidents, dont six d’entre eux en quatres ans, et quatre autres en un an. Il faut quand même avouer qu’il y a eu un président éphémère de toute bonne fois en 1930. Il faut aussi admettre la tutelle et la curatelle d’une occupation américaine de dix-neuf ans avec quatre présidents choisis par l’occupant dont le premier, Dartiguenave 1915-1922, accepta la constitution imposée par l’occupant. Nous ne pouvons pas mettre de coté la cruauté de l’occupation, le manque d’intégrité des dirigeants, la violence qui a précédé l’occupation, et les complots après l’occupation. Nous pouvons constater qu’en cent cinquante trois ans, le dirigeant haïtien est resté fidel à l’incompétence, à l’échec, à l’inaptitude, à l’intrigue, et à l’irresposabilité. Des soixante-huit ans qui nous mènent à aujourd’hui, devons-nous parler des vingt-neuf ans du régime duvalieriste, et de la débacle de ces trente-neuf dernières années pour évaluer le dirigeant haïtien. Est-ce une surprise de constater l’état du pays après cette revue des deux cent vingt et un ans de l’existence de « Haïti Chérie »? Après tout, c’est grâce aux dirigeants que nous avons une diaspora internationale haïtienne.

Jean-Bernard Bayard Ce 11 décembre 2025

 

Réponse au texte sur le dirigeant haïtien

— Par Lemarec Destin —

C’est un très bon texte qui << brasse>> beaucoup de questions d’importance de  » façon datée » dans notre histoire. Mais mon problème est seulement d’ordre professionnel. Ce sont toutes des questions qui méritent un traitement consistant, en profondeur, exemples: les modes de prise de pouvoir en Haïti, l’amour immodéré du pouvoir, << l’amour absolu du pouvoir absolu>>. Malheureusement, le temps disponible pour le faire ne m’a pas souri ces jours-ci. Toutefois, je vais glaner dans l’ensemble des éléments explicatifs, quelques-uns de ceux qui peuvent construire une réponse tant soit peu intelligible en la circonstance.

Durant tout le 19e siècle, il suffit à un « Jal  » (contraction du mot Général), homme fort du Nord ou du Sud du pays, désirant prendre le pouvoir, monte une armée de cultivateurs, de paysans pour marcher sur Port-au-Prince. Mais ces milliers de paysans, pendant ces campagnes qui peuvent être longues, délaissent leurs terres agricoles, leur bétail, gonflent leurs effectifs en route par des milliers d’autres. C’est un énoénorme déficit pour les ressources esseessentielles du pays, alors qu’on dit que c’est un pays<<essentiellement agricole>>. Il faut aussi de l’argent, beaucoup d’argent, pour équiper en armes, en provisions ces armées et pour d’autres nécessités. J’attends encore une étude de nos économistes afin d’évaluer par leurs savants calculs les pertes globales en ressources de toutes sortes perdues par le pays. Cela se fait ailleurs. Pourquoi pas chez nous? Ces changements intempestifs de gouvernements ou d’échecs de renversements de gouvernements en Haïti minent l’économie pays et affaiblissent graduellement notre capacité de négociation avec l’autre, avec les autres. Certains gouvernements, pour se défendre parfois, achètaient de l’étranger des avisos de guerre ( bateaux de guerre). Ça coûte de l’argent. Sans compter les nombreunombreuses guerres civiles qui parsèment l’histoire politique du pays. Toutes des dépenses, en plus de centaines d’autres, qui auraient pu servir à poser les bases et à consolider les structures de la jeune nation pour son<<take-off>>, son décollage, pour reprendre l’expression consacrée de l’économiste américain W.W. ROSTOW, spécialiste de ces questions. Nous avions gaspillé tout le XIXe s. dans ces disputes de pouvoir, de prises d’armes, de<< riots>>, d’insurrections, de soulèvements, de réussites et d’échecs, de départs massifs pour l’exil des politiciens mutins, des cerveaux que le pays a durement formés, parfois parmi les memeilleurs, de retours, de débarquements, de compromissions avec l’étranger, lui toujours opportuniste, afin de garantir la réussite du coup de main envisagé, des exécutions sommaires, etc. Pendant cette perpériode( le XIXe siècle) caractérisée par une longue suite d’actvités de brigandage, d’autres pays se consolidaient économiquement et structurellement en profitant des vertus et des retombées certaines de la Révolution industrielle. Tout ça affaiblit la jeune nation qui était toujours en guerre avec elle-même, entre ses forces vives, entre des factions rivales, pour le Saint Graal haïtien : la politique et rien d’autre. Tu as bien noté dans ton texte le nombre de gouvernements éphémères, les présidences à vie qui ont vu le jour dans notre histoire, des présidents qui sont renversés avant la fin de leur mandat. Sans parler de cet autre fléau destructeur d’Haïti. C’est une loi non écrite en Haïti : un Chef d’État ne poursuit pas les projets de son prédescesseur, débutés ou pas, ou presque achevés ou complètement achevés.. << Une seule fois et quart>> que de telle chose arriva en 221 ans d’histoire du pays. Quel obscurantisme! Dis-moi, comment un pays peut gravir les échelons du progrès, du développement, de la modernité et se lancer pour de bon dans l’orbite de la modernité?

Tout ça et d’autres aspects affaiblissent le pays qui fait du surplace et recule même dans plusieurs domaines vitaux. Oui, revenons à cet étranger dont nous parlons assez sousouventcomme seul géniteur de << tous nos maux>>. Celui-ci profite de cette faiblesse, disons structurelle et générale, tout en augmentant et en consolidant au fur et à mesure les liens de dépendance sur cette nation rendue de plus en plus faible. Les rarapports de de dépendance fonctionnent ainsi. Regardons-nous dans un vrai miroir, pas dans celui d’à-côté, idéologiquement déformant. L’étranger découvre en même temps notre soif immodéré du pouvoir et va s’en servir pour placer des fantoches au pouvoir dans le sens de ses intérêts. C’est ainsi que nous avons vu défiler à Port-au-Prince, décomplexés, nombre de ces spécimens, joyeux d’être <<choisis>> pour diriger le pays.

Dans ces conditions, comment ne pas piller les caisses de l’État? Comment ne pas avoir des comportements dictatoriaux, anti-démocratiques? C’est cette forme de gouvernement autoritaire qui fait table rase de toute règle administrative, budgétaire, de contrôle comptable et de contre-contrôle. Beaucoup de comptes non budgétés…C’est le même modus operandi. Ça, c’est l’abécédaire de la corruption, de la gangrène. Le non-respect de la justice, le népotisme, les actions extra-légales, autoritaires et tout le cortège de maux dévastateurs pour l’avancement d’une société sont donc au rendez-vous.

Pour conclure, il faut parler de nous d’abord dans ce Capharnaüm avant d’inviter l’étranger dans nos conversations comme seul responsable de notre sort immonde. Au début, l’étranger est comme un loup qui rôde en permanence( c’est sa condition) évaluant les manquements à la solidité ou à la faiblesse de notre défense, de la solidité des clôtures, de l’exiguité des mailles, de la force des structures de sécurité et de défense. L’étranger s’invite alors. Et de proche en proche, nous voilà là où nous nous trouvons aujourd’hui! Oui, lorsque l’étranger réalise qu’il a réuni tous les atouts, il s’en donne à coeur joie. Mais cela ne doit pas nous porter à << gommer>> nos responsabilités dans cette énorme gabegie. Nous avons tendance à nous effacer, en pelletant nos responsabilités chez l’autre. Il est de bonne guerre de chercher à nous en absoudre. La descente aux enfers d’Haïti est une opération conjointe, réalisée, construite tranquillement par deux partenaires complètement conscients de l’exécution de leur partition respective.

Voilà pourquoi je n’avais pas osé répondre à ta question .Ta question couvre toute l’histoire d’Haïti. Ce n’est pas un travail que l’on peut réaliser au coin d’une table. Peut-être que tu n’étais pas conscient de l’étendue de ce que tu demandais.

Lemarec Destin ce 13 décembre 2025.