Des batailles dans le temps…

Par Yvon Joseph-Henri –

Tribune. Vu de l’extérieur, un dazibao signé « un membre de l’intersyndicale » (laquelle ?) mais qui s’authentifie sans vouloir signer, prétend éclairer la population sur la justesse de la grève des lycées, collèges et certaines écoles primaires et indiquer que la bonne entente règne au sein des protagonistes de l’intersyndicale dont on découvre quelques noms.

Un projet de retraite dite universelle quasi unanimement rejeté.

Que l’on soit tous, retraité et actifs contre cette réforme est certain. Il est aussi certain que les professeurs seront les plus touchés par la réforme des retraites selon les études faites par les syndicats. Mais ces études ont-elles pris en compte le sort de nos amis avocats ? Bref, à quoi bon dès lors que la nocivité du projet est évidente à tous. Seule compte le rejet quasi unanime, et l’entrée du pays en dissidence à l’égard du pouvoir en place qui se drape dans sa légitimité pour poursuivre sa tâche.

Installé par le peuple, qu’il le veuille ou non, le pouvoir peut évidemment être destitué par le peuple. Mais encore faut-il que la majorité de la population partage un mode d’action violent par nature ou qui instaure un blocage total et définitif du pays jusqu’au départ du gouvernement et du Président de la République. Ce n’est pas le cas puisqu’il n’y a pas de grève générale unanime, paralysant le pays, mais des grèves qui s’agglutinent sans beaucoup d’échos dans des médias qui semblent faire plutôt le jeu du pouvoir en place parce qu’ils se contentent de vendre et pour ce faire, de suivre une actualité spectaculaire.

La Martinique seule contre tous ?

En Martinique, les choses sont en net décalage avec ce qui se passe en France, du fait peut-être de la petitesse de l’île mais aussi du souvenir, douloureux pour beaucoup, de 2009 et puis le pays connaît actuellement des difficultés économiques aggravées par les ponctions de toutes sortes qu’impose le pouvoir en place. Ici, le mouvement le plus visible reste celui du monde de l’Education. Cela n’empêche pas des poches de blocages dont on peut considérer qu’elles sont plus sectorielles pour la défense d’intérêts particuliers au lieu de lutter pour le retrait unanime de ce projet de retraite, comme la Poste et les employés communaux de certaines Mairies.

Et pourtant, pour qui connaît bien ce monde de l’Education, pour qui sait écouter, regarder et qui sait combien une grève longue est peu compatible pour l’enseignant avec la mission qu’il porte au cœur, les fractures sont fortement perceptibles. Nos collègues sont de plus en plus perplexes, fatigués et démobilisés, ne comprenant ni la pagaille de revendications jetées en tous sens – départ du recteur ! aucune suppression de postes ! 40% intégrés à la retraite ! retrait du projet de réforme de la retraite ! –, ni le sentiment que notre intersyndicale sentant la fin venir crie qu’ « il faut bien qu’on obtienne quelque chose ! ». Mais la perplexité grandit surtout face à la pression ressentie par beaucoup devant parents et élèves abandonnés en pleine mer alors qu’ils ne savent pas nager et que le niveau scolaire est très en-dessous de ce que qu’il devrait être. En même temps comment réagir face à des mots d’ordre désordonnés qui témoignent d’une méconnaissance étonnante du terrain et du moral des enseignants convaincus d’être laissés à l’abandon syndical !

La problématique des élèves et des parents.

Fait-on semblant d’ignorer qu’un élève a besoin d’un cadre dans l’espace et dans le temps, que justement cette grève efface brutalement, laissant des enfants déstabilisés psychologiquement et démobilisés au seul moments de l’année où ils peuvent donner le meilleur d’eux pour progresser ? Même si certains sont suffisamment mûrs pour se prendre en charge, ils sont pour la plupart minés par l’angoisse paralysante d’un bac qui approche, d’un parcours sup dont on ne sait s’il sera rempli et transmis à temps par les personnels en charge de ces missions.

Force est aussi de constater que rien ne serait plus amer et décourageant pour tous, acteurs mais aussi élèves et parents que de voir une reprise se faire dans la débandade !

Un discours incohérent, dangereux à y bien regarder.

Il est tout de même léger de s’abriter derrière l’idée qu’il faut faire confiance au « savoir-faire » des enseignants martiniquais ; de s’exonérer auprès des familles qui protestent par le pseudo-constat que les enseignants sont « presque tous » en lien avec les élèves et les familles. Comment ne pas comprendre que les familles qui protestent le font parce que les professeurs de leurs élèves les ont abandonnés, ou parce que cet encadrement reste un pis-aller qui ne peut durer ? Quant à se retrancher derrière internet, c’est alors ouvrir un portail sur la correction de copies dématérialisés, de cours de masse avec Skype ou le Hangout de Google. Est-ce notre conception d’un enseignement de qualité ?

Enfin, si de plus en plus de parents s’émeuvent, c’est parce que tout ceci manque de sérieux pour être crédible.

Une grève-palettes inquiétante quant aux motivations réelles du mouvement.

Le Front commun comprend des associations de parents ? Mais ces mêmes associations de parents n’existent pas dans l’enseignement privé ? Et ces personnels du privés payés par l’Etat comme les professeurs du public, n’ont-ils pas de retraite à défendre, eux-aussi ?

Que penser d’une grève de palettes ? On avait ri d’un syndicaliste et des palettes en lieu et place de grévistes pour le TCSP, mais voilà encore que le fantôme de la palette a frappé à la tête les représentants syndicaux des enseignants. Parce que lorsque le gouvernement voudra se moquer de nous, il demandera aux palettes qui était gréviste, qui ne l’était pas. Et vous savez ce que répondront les palettes-grévistes ? Nous n’étions pas grévistes ! C’est déjà ce qui se passe dans certains établissements : les collègues entrent, signent la feuille de présence et s’en vont. Pendant ce temps, pour paraphraser une chanson célèbre : « les palettes solitaires se ramassent à la pelle ». Car le gouvernement pourra claironner qu’il n’y avait au mieux qu’1% de grévistes. Et dans ce cas, certains jusqu’aux-boutistes (si si, il y en a dans le Sud par exemple) se diront qu’ils ont été les dindons de la farce.

Veut-on réellement éviter la mise au pas sous un régime dictatorial ?

Car, il faut bien être clair : si l’on veut se retrouver dans le public sans élèves, il suffit de continuer ainsi. Fuite en France pour ceux qui peuvent y conduire leurs rejetons, fuite dans le privé pour ceux qui peuvent et tri du privé pour prendre évidemment les meilleurs élèves et laisser les plus en difficultés pour le public. Après tout, ne nous a-t-on pas certifié que le public a le « savoir-faire » ?! On peut toujours rêver, s’auto-congratuler et prendre ses désirs pour des réalités, avant le crachat au visage !

Qu’est-ce qui empêchait de faire une grève par roulement ? Trop compliqué pour nos stratèges syndicaux ? Mais alors contentons-nous de faire une grève nationale établie un jour par mois, voire par quinzaine…à condition que ce ne soit pas toujours le même jour !

Il est plus que temps de changer de stratégie.

Inventons, innovons, surprenons mais maintenons la pression au lieu de la laisser diminuer jusqu’à disparaître ! Quant à l’argument que toute critique joue la division, il ne tient pas. Nous sommes tous sur le même bateau et nous ne voulons pas qu’il coule : pour ce faire, il faut comprendre l’attitude des pseudo-grévistes, comprendre que beaucoup avancent à reculons ! L’expérience des grèves des 16 années précédentes, nous montre un gouvernement de plus en plus ferme, intransigeant. Et puis, on a bien aussi l’exemple des Gilets Jaunes ! En matière de luttes, l’intelligence, la souplesse, la clairvoyance sont des qualités essentielles, l’entêtement étant mortel chaque fois qu’il conduit dans le mur. Qui n’a pas compris que Macron est arc-bouté sur ses réformes parce qu’il met en place pour une mafia financières un retour au Moyen Âge social dont nous serons les nouveaux serfs. Et vous tendez déjà la sébile ?

Quel collègue reprendra la grève après le carnaval ? Voilà la seule question. Alors, la rumeur enflera de morne en morne : « tout ça pour quoi ? ». Pour des cadavres ! Nos enfants sacrifiés pour rien , nos syndicats anéantis et le champ libre comme jamais à un pouvoir féroce !

Un recul de plusieurs siècles dans nos luttes sociales, et de nouvelles chaînes pour tous !

Schoelcher, où es-tu ? Le Nègre fondamental, où es-tu ? Joseph Zobel, éclaire-les !

 

Yvon JOSEPH-HENRI

Professeur retraité

Président de l’Association des Consommateurs et des Citoyens de la Martinique,

Ancien secrétaire SNES du Lycée Victor Schoelcher

Ancien secrétaire du SNES Martinique

Ancien secrétaire de la FSU Martinique

Ancien membre du CESER Martinique