Demain doit être un nouveau jour

Déclaration politique du Kolèktif pou Sové Gwadloup

Le système départemental montre aujourd’hui ses limites.

La Décentralisation, puis la superposition de la Collectivité Régionale et la création récente de Communautés d’Agglomération ne font qu’empiler des institutions coûteuses. Ruineuses pour le contribuable guadeloupéen sur ce même socle départemental, fondateur de l’Assimilation. Assimilation législative, économique et culturelle à la France. Tous ces déguisements masquent à peine le rapport colonial, sans épuiser jamais la principale question : la nécessité de la décolonisation.

On n’invite pas les guadeloupéens à se responsabiliser lorsqu’on multiplie les signes d’appartenance française ou européenne. On ne diminue pas la dépendance du pays en accroissant les transferts sociaux, en maintenant le monopole de pavillon, en renforçant la dépendance alimentaire, en conditionnant les guadeloupéens à être spectateurs en leur pays des politiques publiques élaborées depuis l’étranger. Ce mot de responsabilité répété par les représentants successifs de l’Etat, ne prend jamais dans leur bouche, à l’égard du peuple guadeloupéen, son sens profond : s’appartenir et s’autodéterminer.

Faut-il continuer longtemps encore à se cacher la vérité derrière les remontrances d’un chef de l’ État, de ministres de passage, d’une Cour des Comptes et d’un préfet. Faut-il toujours être infantilisé derrière les mea culpa forcés d’élus guadeloupéens réduits à assurer vaille que vaille l’intendance ? La vérité est que 73 ans de destin colonial sous l’emballage départemental-régional, saignent de plus en plus les contribuables, des simples citoyens aux entrepreneurs locaux. Faute de liberté de créer et de produire à partir de ses propres ressources, de pouvoir développer un marché intérieur qui permette un minimum d’autonomie alimentaire, de pouvoir librement exporter vers les marchés de son choix, la Guadeloupe assiste impuissante à la destruction de sa force de travail. Elle voit s’en aller un capital-jeunesse potentiellement porteur. Elle voit augmenter une désespérance sociale dont seule la fonction publique territoriale se trouve à même de servir de soupape, mais en grevant lourdement, plus que de raison, ses budgets de fonctionnement.

Dans une telle situation, le terme de « déficit » est devenu la mesure phare d’évaluation politique. Le politique et le débat d’idées sont dramatiquement absents de l’espace public.

D’où un discrédit des élus, inspiré par la vision comptable des services de l’Etat et repris machinalement par une opinion déboussolée. À ce stade avancé de discrédit de ses propres élus correspond aussi un stade avancé de déni de la souveraineté que confère au peuple le suffrage universel.

Là où s’arrête la pertinence du système départemental et de ses succédanés politiques et institutionnels, commence à poindre la question de l’Autodétermination. Non la Guadeloupe en soi, mais pour soi. Une telle perspective entraine la résolution des questions pointées plus haut, à travers trois conditions :

Un projet guadeloupéen issu d’un débat démocratique à repenser ;

Un civisme guadeloupéen à réinitialiser ;

Une représentation politique enracinée et non hors-sol, répondant aux nécessités politiques du moment ;

Il convient désormais, sans se voiler la face, d’examiner tout ce qui fait obstacle à cette démarche.

Que montre la situation actuelle ? Les actualités laissent transparaître une controverse à propos de l’omniprésence de l’Etat en la personne du Préfet de Région. Certains pensent que son action relève du fonctionnement normal de la République française, dans laquelle nous aurions besoin de marcher au fouet ; d’autres, constatant que la préfecture se pose de plus en plus en instance souveraine de légitimation des élus désignés par le suffrage universel, crient au retour du gouverneur en référence au Tan Sorin.

Toutefois, comparaison n’est pas raison : le temps de marcher au fouet est révolu, de même que celui où le gouvernement de Vichy nommait ou destituait les maires ; les temps où l’usage des libertés démocratiques était inconnu ou réduit à néant ; ces sombres époques qui forçaient les femmes et les hommes épris de Liberté au marronnage, à la Dissidence et à la Résistance. La vraie question qui est posée aujourd’hui est la suivante :

Faut-il continuer à prêter symboliquement le dos au fouet ou bien, puisqu’il reste des libertés démocratiques, qu’en faisons-nous,-nous guadeloupéens ?

Dans notre pays de Guadeloupe, jusqu’à nouvel ordre, il y a une presse réputée libre, des débats radio-télédiffusés, des forums, des conférences de toutes sortes, des réseaux sociaux actifs, la liberté de réunion et d’association. Il faut alors se poser la bonne question : pourquoi une citoyenneté et un civisme déboussolés, faute d’idées-références, une opinion qui tendanciellement ne croit en rien d’autre qu’au statu quo ? Il n’y a pas longtemps, le débat public tournait autour de la question centrale de l’autodétermination de la Guadeloupe, avec des pour et des contre bien affichés, en dépit de contextes parfois très liberticides. Ce temps-là  semble appartenir à un passé lointain, alors que cette question devient plus actuelle que jamais, objectivement urgente.

Où est donc passée la Guadeloupe ? À force de poser l’abstention électorale comme un dogme immuable, efficient en toute situation et circonstance, nos élans progressistes n’ont-ils pas produit indifférence, voire dépolitisation massive ? N’ont-ils pas contribué à figer le mouvement social en postures strictement revendicatives, s’attaquant aux symptômes du mal colonial plutôt qu’à ses causes ? Tandis que le mouvement politique à vocation patriotique se subdivisait en chapelles, plus enclines à étaler ce qui sépare que ce qui peut unir. Tandis que la décision souveraine était abandonnée à un électorat vieillissant, naturellement sécuritaire et conservateur. Principal facteur de reproduction d’une même représentation politique contrôlée par le seul pouvoir de l’Etat et soumise à la stratégie de telle ou telle majorité gouvernementale française.

Comment vraiment commencer à stopper notre déclin en tant que peuple ?

Il devient urgent que la Guadeloupe, citoyens et représentation politique, se manifeste comme ce qu’elle est : un pays à décoloniser réellement. Personne ne peut continuer impunément à fuir cette option. Seul l’abattoir attend ceux qui, par crainte, docilité ou aveuglement, s’obstinent à se comporter en troupeau. Des pistes nouvelles se dessinent en toute logique, il convient seulement de daigner y réfléchir ensemble, avant qu’il ne soit trop tard.

Imaginer et mettre en œuvre des actions citoyennes unitaires et coordonnées, dans tous les secteurs de la vie, sur des thèmes porteurs de responsabilité guadeloupéenne ; Nourrir un nouveau civisme voué, l’esprit conquérant, à l’usage de toutes les libertés démocratiques : éducation populaire et instruction civique en profondeur, associées à des pratiques innovantes et adaptées aux nécessités politiques de l’heure ;

Remettre le mouvement social au cœur de sa matrice originelle : entrainer les exploités, les laissés-pour-compte du modèle colonial-ultra libéral, à rechercher les modèles de vie économique et sociale qui établissent du lien solidaire et libérateur ;

Sur toutes ces bases, à travers l’action et la délibération collective permanente, l’intégration des différences et l’apaisement des différends, contribuer à l’émergence d’une représentation politique nouvelle exprimant une Guadeloupe rassemblée pour l’Emancipation : Gwadloup Ansanm.

Kolèktif pou Sové Gwadloup

KSG

Décembre 2019