Le compte à rebours de la mutation de la Guadeloupe et de la Martinique prise dans un champ de forces politiques et économiques contradictoires.
— ParJean-Marie Nol —
Dans un contexte budgétaire très dégradé, tous les acteurs de l’économie française , à tous les niveaux, attendent à la prochaine rentrée un serrage de vis de la part du gouvernement et gèlent toute initiative. Cette situation crée de l’attentisme, tant de la part des ménages en termes de consommation que des entreprises en termes d’investissements. Aujourd’hui l’économie française est amorphe. Dans le même temps, pour les mêmes raisons de précaution, le taux d’épargne des Français reste très élevé (environ 18% des revenus disponibles), essentiellement entretenu par les retraités.
Indépendamment des tensions internationales, le déficit public, accompagné du surendettement de l’État et des incertitudes qu’ils entraînent, est bien l’une des principales causes de la léthargie de l’économie française que l’on retrouve dans les dernières prévisions de l’Insee pour cette année 2025. Mais par ailleurs, dans le même ordre d’idée, la dégradation des signaux de l’économie de la Guadeloupe et surtout de la Martinique nous envoie aujourd’hui un vrai signal d’alerte sur les velléités d’autonomie à l’heure où les finances publiques sont chamboulées en France.Cela nous oblige, nous, guadeloupéens et Martiniquais, à agir, à améliorer notre compétitivité, à accélérer sur la recherche d’une meilleure productivité si nous ne voulons pas être relégués aux arcanes de l’histoire . Les Outre-mer ne peuvent être sacrifiés au nom d’une autonomie mal pensée et d’une rigueur aveugle dictée par la crise des finances publiques. Il faut se secouer et se débarrasser des vieilles lunes idéologiques du passé. Et c’est pourquoi nous considérons que l’autonomie seule ne suffirait pas à régler les problématiques économiques, sociales , environnementales et financières en suspens. Les catastrophes naturelles et technologiques ne s’arrêtent pas aux frontières institutionnelles et administratives.
Leur gestion requiert : des ressources financières massives, des capacités techniques, des institutions solides.
Ces conditions n’existent, selon moi, que dans le cadre de l’article 73 rénové de la Constitution avec un pouvoir normatif inédit , appuyé par la France et l’Union européenne. Mais force est de souligner que présentement, nous sommes étouffés par les incertitudes d’un monde en mutation accéléré et désemparés par les attentes conventionnelles de l’adulte antillais désormais accompli par le progrès social de la départementalisation et angoissés par un monde du travail perçu comme chaotique, et de fait il convient de constater que les guadeloupéens et Martiniquais trentenaires sont la première génération depuis 1946 à faire face à autant d’incertitudes sur leur avenir avec sur leurs têtes l’épée de Damoclès de la paupérisation. Alors compte tenu de l’urgence de parer aux bouleversements à venir , il convient de procéder à l’analyse critique sur cette désillusion contemporaine.
La Guadeloupe, à l’instar des autres territoires ultramarins, se trouve aujourd’hui face à un dilemme historique : continuer de regarder dans le rétroviseur, en cultivant une plainte stérile sur les insuffisances du modèle actuel, ou apprendre à piloter en pleine tempête mondiale en anticipant les bouleversements à venir. Car la plainte permanente ne crée pas d’emploi. Seule l’anticipation permet d’en sauvegarder et d’en créer.
Or, les défis qui s’annoncent ne laissent aucune place aux illusions. Selon nous , en 2025 , l’économie guadeloupéenne et surtout martiniquaise devrait marquer le pas, freinée par une consommation toujours en berne du fait de la vie chère , une activité en ralentissement dans plusieurs secteurs notamment dans le secteur du Bâtiment , et un contexte international et national incertain.
Dans ce contexte 2026 s’annonce comme une année de transition, marquée par l’attente de retombées concrètes des grands projets institutionnels en cours dans l’ensemble des territoires d’outre-mer et surtout les conséquences prévisibles de la mutation économique et technologique .
La révolution technologique portée par l’intelligence artificielle et la robotisation, déjà en marche, annonce une recomposition radicale du marché du travail. Selon l’OCDE, l’IA pourrait détruire jusqu’à quatre millions d’emplois en France d’ici 2030, en particulier dans les métiers administratifs et de bureau, traditionnellement considérés comme protégés. Les experts estiment que près de la moitié des emplois de ce secteur pourraient disparaître. Ce phénomène n’est pas inédit : la mécanisation de l’agriculture a vidé les campagnes, l’industrialisation a attiré les masses ouvrières vers les villes, et la désindustrialisation a provoqué la fermeture de milliers d’usines en France, entraînant la perte de 2,5 millions d’emplois industriels depuis 1974. Mais à la différence des précédentes mutations, l’IA touche à une large palette de métiers, y compris ceux de services, et sa diffusion rapide menace de provoquer un choc social d’une ampleur inédite, particulièrement dans les Outre-mer où le chômage est déjà structurellement élevé.
À cela s’ajoute l’autre urgence planétaire : le changement climatique. Les ouragans de plus en plus violents, les sécheresses à répétition, les échouements massifs de sargasses, l’érosion du littoral et la dégradation des récifs coralliens ne connaissent ni frontières administratives ni débats statutaires. Mais leur gestion exige des moyens financiers, techniques et institutionnels considérables. Imaginer qu’une autonomie dépourvue de transferts publics puisse mieux répondre à ces défis relève de l’illusion. Le cadre constitutionnel de l’article 73, qui garantit l’égalité des droits et le soutien financier de la France et de l’Union européenne, demeure une protection précieuse, notamment pour amortir les crises et financer les adaptations indispensables. La réalité impose de reconnaître que, sans cet appui, les territoires ultramarins seraient livrés à une vulnérabilité accrue face à des menaces globales auxquelles aucun petit territoire ne peut répondre seul.
Dans ce contexte déjà fragile, l’annonce de coupes budgétaires massives pour 2026 résonne comme une menace supplémentaire. Début août, dans un courrier adressé à François Bayrou et à Manuel Valls, les entreprises ultramarines ont exprimé leur consternation face aux orientations envisagées. La suppression ou la réduction des dispositifs de compétitivité et d’investissement, comme la LODEOM sociale, représenterait un choc brutal : hausse du coût du travail, pression accrue sur les prix et recul de l’emploi. Cette politique, jugée disproportionnée au regard des efforts demandés à l’Hexagone, fragiliserait encore davantage une production locale déjà en difficulté, alors même qu’elle constitue l’unique voie vers une véritable autonomie économique et une moindre dépendance aux importations.
Le malaise est d’autant plus profond que le ministère des Outre-mer garde un silence troublant. Alors que d’autres ministères multiplient les signaux rassurants vis-à-vis des entreprises hexagonales, l’absence de position claire rue Oudinot nourrit un sentiment d’abandon. Pire, le projet de loi porté par Manuel Valls contre la vie chère, construit sur des diagnostics jugés erronés par certains chefs d’entreprises , concentre son action sur une suradministration de l’économie locale. Au lieu de réduire les prix, ce texte risque d’exclure encore davantage les petites entreprises au profit des grandes enseignes, dans un tissu économique déjà fragile où de nombreux commerces de proximité notamment dans les centres villes ont disparu ces dernières années.
Ce décalage est d’autant plus criant que les causes réelles de la vie chère ne semblent pas relèver uniquement de marges abusives ni de monopoles supposés de la grande distribution, comme le confirment depuis plus de quinze ans tous les rapports officiels, dont le dernier de l’INSEE en juillet 2025. Elles tiennent à des facteurs structurels : l’éloignement géographique, les frais logistiques, la taille réduite du marché empêchant les économies d’échelle, les coûts de stockage majorés par des normes parasismiques et anticycloniques, et une fiscalité locale lourde. L’octroi de mer, qui pèse plus de 400 millions d’euros sur le pouvoir d’achat notamment en Martinique, illustre cette réalité. Les décisions locales viennent parfois aggraver la situation : la récente augmentation des tarifs d’octroi de mer par la CTM sur 62 familles de produits et la hausse de 77 % du cheval fiscal pèsent lourdement sur les ménages dans des territoires où la voiture reste indispensable, faute de transports collectifs performants.
Ces vérités, souvent éclipsées par des discours simplistes et à caractère idéologique , montrent que les entreprises ultramarines ne sont pas seulement responsables de la vie chère, mais font partie de la solution. Elles créent des emplois, soutiennent la consommation et contribuent à la cohésion sociale. Les fragiliser par des coupes budgétaires et une régulation inadaptée reviendrait à briser ce qui reste de dynamique entrepreneuriale dans des économies déjà vulnérables.
Les arbitrages budgétaires prévus pour 2026 apparaissent donc comme un contresens historique. La lutte contre la vie chère ne peut être dissociée de la bataille pour l’emploi. Sans un investissement public stable et adapté, l’objectif du plein emploi restera un mirage. L’appel des entreprises ultramarines est clair : il ne s’agit pas de refuser l’effort collectif de redressement des comptes publics, mais d’exiger une répartition équitable. Les Outre-mer ne peuvent être sacrifiés au nom d’une rigueur uniforme et aveugle qui ignore leurs spécificités.
Face à des inégalités persistantes — pauvreté deux fois plus élevée qu’en métropole, chômage endémique, revenus inférieurs et prix supérieurs —, il devient urgent de bâtir une politique cohérente et adaptée. Les entreprises ultramarines se disent prêtes à travailler avec l’État pour trouver des solutions pérennes. Mais elles attendent des engagements clairs, une vision de long terme et la reconnaissance de leur rôle stratégique. L’État doit trancher : veut-il accompagner le développement de ces territoires et leur donner les moyens financiers de résister aux tempêtes économiques, sociales et climatiques qui s’annoncent, ou persister dans une logique comptable qui risque de compromettre leur avenir et d’accroître une défiance déjà palpable ?
» Sé soulyé sèl ki sav si chosèt ni twou « .
Littéralement : C’est le soulier seul qui sait si la chaussette est trouée.
Moralité : Chacun sait où son soulier le blesse. A beau mentir qui vient de loin.