De la Réparation Post-Esclavagiste

— Par Emmanuel Ravaud —
http://www.madinin-art.net/images/esclavage-guada-325.jpgC’est en 1992 que Marcel Manville impulsa, d’une part l’idée de « Reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité », et d’autre part le « Débat -sur la Réparation ».
Ce n’est que neuf ans plus tard, le 21 mai 2001 que cette « Reconnaissance » a été admise et adoptée par le Parlement, sous la forte influence de Christiane Taubira.
Quant à la « Réparation », depuis 23 ans qu’elle est demandée, les autorités françaises s’obstinent à faire la sourde oreille, laissant croire que c’est chose impossible, insensée, inimaginable.
Pourtant cette « Réparation » a belle et bien été appliquée par le versement de généreuses indemnités aux békés esclavagistes qui se disaient lésés de la perte considérable de leurs substances économiques, leurs sources gratuites de richesses : leurs esclaves.
Depuis 15 ans (10 mai 2OO1), le « Convoi pour la Réparation » sillonne les mornes, les vallées et les plaines de la conscience martiniquaise pour tenter de parvenir à toucher la conscience étatique et ainsi obtenir justice à ce génocide inconcevable et impardonnable, à cette exploitation inhumaine des hommes noirs, à ce crime contre l’humanité : l’Esclavage !

Pourtant, cette « Réparation » est tout à fait possible ! Matériellement possible ! Elle est même pratiquée d’une certaine manière ici à la Martinique de façon incontestable.
Mais ce qu’il y a de troublant c’est que ce ne sont pas des békés qui la pratiquent, mais des « métros » et leurs descendants.
En effet l’Usine du Galion est la seule sucrerie-rhumerie fumante de la Martinique : la dernière. Or, c’est aussi la seule qui n’ait jamais appartenu aux békés. Eugène Eustache, un belge né à Anvers, devient propriétaire de l’Habitation Galion en 1846 (en pleine mouvance d’abolition) et de l’Habitation Grand Fonds en 1853 (après l’abolition), ainsi que de 13 autres.
À sa mort c’est son beau-fils Émile Bougenot, un ingénieur français arrivé en 1860 de Côte d’Or, un « métro » donc qui lui succéda. Ses filles et ses petites-filles épousèrent des « métros », les Frégnac, les Pelé, les Le Guay, les Georges-Picot.
Aujourd’hui, Mathieu Le Guay et Cyrille Georges-Picot sont les mandataires légitimes des « Consorts Bougenot ».
Les quinze habitations disposées autour de la baie du Galion couvrent plus de 3.500 hectares qui alimentent l’usine en cannes ou produisent de la banane d’exportation ou pratiquent l’élevage bovin.
Dix de ces habitations (les 5 autres sont sur le territoire du Robert) occupent les deux tiers du territoire de la ville de Trinité : le Centre, le Sud et à l’Est presque toute la presqu’île de la Caravelle.
Et c’est précisément dans ces secteurs que la ville a pu réaliser son expansion. Les terrains nécessaires à son développement urbain, artisanal et administratif ont été « vendus » aux municipalités successives pour la somme de 1F puis 1€ symbolique.
Ainsi ont pu être réalisés :
* Au bourg : le stade Louis Richer, l’hôpital Louis Domergue, la cité Épinette, la cité Bougenot, le restaurant scolaire, l’école Ultima Vestris
* À Desmarinières : la station d’épuration, les bureaux de l’EDF, le Centre de la Sécurité Sociale, le CFPA
* À Beauséjour: la cité scolaire Frantz fanon, le palais des sports, le groupe scolaire Auguste Réjon, l’EPAD le Beauséjour, la cité Alizé, la cité Val Beauséjour, la cité Tombolo, la cité la Flottille, la cité Anse Bellune Est, la Résidence Georges Roux
* À Tartane : la cité les loups, le lotissement « Morne Pavillon ». 4 hectares à l’Anse Rouge
* À la Caravelle : don de 265 hectares au Conservatoire du Littoral, avec le phare de le Caravelle, les ruines du « Château Dubuc ».
* À Petit Galion : 4 hectares pour l’implantation du futur cimetière paysager
* À Duferret : 2 hectares avec le pont Durand, les cachots d’esclaves, les ruines de la distillerie, la maison du géreur (1€)
Ainsi pas moins de 700 hectares sont rentrés dans le patrimoine communal pour permettre la réalisation de structures d’intérêt collectif.

Par ailleurs, à Beauséjour, à Desmarnières, à Duferret, à Fonds Galion, à Petit Galion, à Malgré Tout, à Tartane, …l’EAG (Exploitation Agricole du Galion) a permis, pour des sommes dérisoires, l’accès à la propriété individuelle des travailleurs, anciens travailleurs ou descendants de travailleurs de l’usine ou des habitations.
Aujourd’hui les « rues-case-nègres » de ces habitations sont métamorphosées en quartiers résidentiels qui ravissent le cœur et l’âme !

À titre de comparaison signalons que l’Ouest de la Trinité occupé par l’Usine de Bassignac (actuellement en ruine) avec ses 7 habitations a appartenu principalement aux De Laguarigue et qu’aucune structure communale n’y a vu le jour.
Au Nord, les 4 habitations qui s’étendent sur le territoire de Trinité et qui livraient leurs cannes à l’Usine de Sainte-Marie appartiennent aux Huygues Despointes. Il a fallu plus de vingt ans à la mairie pour obtenir que la « rue-case-nègre » de l’habitation Petite Rivière Salée puisse être  vendue  à la mairie afin d’être rétrocédée aux habitants de cette Habita -tion qui ne sont autres que les anciens travailleurs ou leurs descendants.
Le terrain fut finalement vendu à la mairie en 2007, à 2€ le mètre carré.
Juste à côté, sur la même habitation, 42 logements de la « Résidence Mafwamé » ont été édifiés sur un terrain de 3,4 hectares qui a coûté 141.000 €.

On voit bien qu’une certaine forme de « Réparation » est possible matériellement selon le « type » de propriétaire foncier et que l’effort demandé, non seulement ne porte pas préjudice aux gros possédants mais, de toute évidence, ne peut que contribuer avantageusement à la richesse économique, culturelle et patrimoniale de notre pays.

Emmanuel RAVAUD