De la boîte de Skinner à l’enseignement programmé

Le problème des technologies de l’éducation

— Par Roland Tell —

Le psychologue et penseur du behaviorisme, B.H. SKINNER, pour qui un comportement opérant est un comportement, qui va produire des conséquences opérantes, est l’un des premiers à concevoir un modèle d’applications pédagogiques directes, d’un type d’apprentissage donné. Cela veut dire que l’on se donne un comportement initial C.I. et un comportement terminal C.T. C’est en fonction de cela que l’on distribue les apprentissages pour arriver à C.T. à partir de C.I. On ne fait aucune autre hypothèse. En particulier, s’agissant d’enfants, on ne se préoccupe pas du niveau du QI du sujet. A la limite même, cela n’a pas d’importance ! C’est pourquoi Skinner est parvenu à apprendre à des pigeons des comportements, que tous les psychologues croyaient impossibles pour des pigeons. Il y est parvenu tout simplement en démultipliant les pas.

De la même manière, et plus tard, la didactique partira, non des modèles d’apprentissage, mais du découpage de la structure de la discipline, des connaissances. Dans cette perspective pédagogique, on cherche à optimaliser le chemin qui part de la structure du contenu. Dans le contenu, il y a des notions premières, des définitions, des relations entre les définitions. Cette structure du contenu peut être représentée par un schéma, des graphes, une symbolique spéciale. Cela constitue déjà une profonde mutation pédagogique. Une structure de contenu a une symbolique propre de représentations, et l’enseignant peut former des réseaux, pour ce qu’il veut enseigner.

A cet égard, l’enseignement programmé, c’est l’interaction d’un modèle d’apprentissage et d’une structuration de la matière. De cette interaction, on déduit une succession ordonnée d’items, de connaissances, avec des tests périodiques, correspondants aux noeuds de la structure.

Au sens précis du terme, la didactique est la transmission de contenus rigoureux avec leurs structures. La didactique est un concept qui a moins d’extension que celui de pédagogie, qui a lui-même moins d’extension que celui d’éducation. Par exemple, il faut distinguer la didactique des mathématiques de l’éducation en mathématiques. La prise en charge confuse et globale de la didactique et de l’éducation mathématiques, c’est la pédagogie. Voilà pourquoi on oscille toujours, en pédagogie des mathématiques, entre la formation rigoureuse et structurée des concepts, et d’autre part le développement de la créativité, de la liberté, de l’application, des transpositions.

Tout ce qui précède parle de ce qui est extérieur à l’éducateur, soit donc le mécanisme de l’apprentissage d’une part, et la structuration de la disciplicine d’autre part. Voici venu le moment d’aborder les rapports entre la didactique et la simulation de l’homme en situation. C’est alors l’axe de la cybernétique. Dans cette nouvelle perspective, on cherche à savoir ce que fait l’éducateur en situation, et on cherche s’il n’y a pas moyen de faire mieux que lui, à l’aide de procédés technologiques. On assiste alors à la simulation de la relation professeurs-élèves. On analyse donc les fonctions de l’enseignant, et on cherche à les objectiver.

Quand un professeur travaille, il enveloppe intuitivement dans son action une certaine connaissance de la structure de la matière, et une certaine connaissance de la structure mentale des élèves. Dans son comportement, l’analyse révèle un certain nombre d’éléments objectifs, en particulier au niveau des procédures techniques, et on tente de déterminer tout ce qui peut y être pris en charge par des procédures purement technologiques. La technicité naît à partir du moment où un comportement humain est dédoublé en un certain jeu de forces objectivables d’une part, et une intentionnalité d’autre part. Avec la technicité, le geste technique s’arrache du corps de l’homme, et se transpose dans des machines. C’est là adopter la perspective cybernétique en matière d’éducation.

L’étude de cette interrelation entre effets et causes constitue ce que l’on appelle la technologie. Le but poursuivi est d’apprendre à apprendre, de donner à chacun le pouvoir de se monter des mécanismes d’apprentissage, et de les utiliser. S’il en est ainsi de plus en plus, c’est parce que, de nos jours, la mémoire est hors de l’homme (bibliothèques, cinémathèques, centres de documentatiuon, ordinateurs, etc..). Ces nouveaux contenus sont en rapport avec notre civilisation moderne post-industrielle. C’est-à-dire une civilisation où les hommes vivent en symbiose avec des instruments technologiques extrèmement compliqués, vis-à-vis desquels ils doivent maîtriser les démarches opératoires. La cybernétique est également un nouveau contenu et, à ce titre, elle contribue à faire naître une nouvelle façon de concevoir l’enseignement.

D’où la nécessité de l’auto-instruction, et du travail indépendant. Oui, l’école a comme finalité l’éducation permanente, la démocratisation, et l’individualisation. C’est pourquoi elle doit offrir aux élèves un champ d’auto-instruction dans l’école même, avec l’aide du professeur, qui planifie, conseille, oriente.

C’est pourquoi la présence physique de l’ordinateur en classe en fait une  » machine à enseigner ». Ce qui pose le problème de l’apprentissage de l’informatique comme contenu. En ce sens, l’ordinateur est une variable importante de la mutation pédagogique vers la technologie de l’éducation. On voit apparaître ici la notion d’une « machine pédagogique » au sens général, avec des fonctions d’information, de contrôle, d’interrogation. D’où la nécessité d’une construction massive des équipements, dont un Etablissement Expérimental Martiniquais, pour toutes possibilités d’information, de formation par radio et télévision scolaires, d’exploitation, de recherche. Ce qui compte, en conclusion, c’est la maturation des enseignants, leur évolution, la conquête de nouvelles optiques d’enseignement, marquées par l’intensification du travail en équipe, et des relations humaines.

ROLAND TELL