De Césaire à Senghor, 27-28 juin 2025

— par Selim Lander —

Deux soirées consécutives à Tropiques-Atrium placées sous l’égide de Césaire pour l’une, Césaire et Senghor pour l’autre (1).

Un homme debout avec David Valère

David Valère est un comédien installé en Suisse, « martiniquais non par terre natale mais maternelle » comme il le dit lui-même, ajoutant que depuis qu’il renoue avec la Martinique, il se sent « martiniquais à 50 % comme un bon rhum agricole ». Il a quoi qu’il en soit une forte personnalité, un besoin de brûler les planches que les spectateurs, vendredi 27 juin, n’ont pu que constater. À ce propos, il avoue : « Je porte le jeu et le besoin de transformation comme une maladie incurable […] Cette fantaisie débordante m’a longtemps desservi, je ne l’ai pas toujours canalisée. Cela m’a valu de rater plusieurs auditions et castings » (in comedien.ch).

De fait, David Valère en fait des tonnes. On peut s’étonner de le voir, dans « une adaptation du Cahier d’un retour au pays natal », imiter (de manière fort convaincante de surcroît) torse nu un gorille, de le voir lécher ses doigts préalablement passés dans les poils de ses aisselles ou cracher sur la scène (et je passe un geste carrément obscène). Que la poésie de Césaire, si raffinée, semble loin !

Au reste, on entendra fort peu de passages du Cahier. Le propos, en réalité est ailleurs : présenter à un public que l’on suppose non averti la personne de Césaire, la déshérence des Martiniquais au moment où il écrivait (là sont repris les mots du Cahier) et surtout faire passer ce qui est tenu comme essentiel par le comédien et son metteur en scène-adaptateur, Stéphane Michaux, dans le message du poète, déconstruire – comme il se dit désormais – les préjugés contre les Noirs, qui seraient ramenés aux yeux des Blancs à un rang pas beaucoup plus haut que les bêtes (d’où les attitudes bestiales du comédien).

On ne peut qu’être surpris par ce qui nous est présenté. D’abord – c’est anecdotique – s’étonner que le début du texte n’ait pas été adapté pour le public martiniquais qui n’a nul besoin qu’on lui fasse « découvrir » Aimé Césaire à grand renfort d’effets de scène. Surtout, la performance du comédien, aussi remarquable soit-elle (elle l’est et très physique), n’empêche pas (c’est même tout le contraire) de ressentir cette adaptation comme une trahison du poète si savant et – encore une fois – raffiné que fut Césaire. Pour délivrer son message décolonial, le couple Michaud-Valère aurait sans doute mieux fait de choisir le Discours sur le colonialisme.

Dakar/Fort-de-France

Tropiques Atrium a mis le paquet, samedi 28 juin, pour cette production étiquetée comme la précédente « Anniversaire d’Aimé Césaire ». Il s’agissait cette fois d’associer notre « nègre fondamental » à son comparse de khâgne, co-fondateur de la Négritude et ami pour la vie, Léopold Sedar Senghor, lequel fut pendant plusieurs décennies, comme nul n’en ignore, président de la République du Sénégal. D’où le titre de cette soirée – Dakar/Fort-de-France – qui a mobilisé sept musiciens, cinq danseurs, une chanteuse, un rappeur, le tout sous la houlette d’un duo sénégalo-martiniquais, le maître Aboubakry Fall et notre Maurice Justand, dit également Sam Fall depuis qu’il a été « adopté » par la famille du précédent, les deux faisant également office de musiciens et de conteurs. Les rôles ne sont pas figés, certains musiciens devenant danseurs et vice-versa. Enfin, on aurait garde d’oublier le peintre qui a réalisé un triptyque pendant le spectacle.

Il y eut de nombreux bons moments pendant cette représentation à laquelle on reprochera surtout de s’être étirée pendant 160 minutes (remerciements compris). Au premier rang des regrets : que les textes en wolof n’aient pas été surtitrés, les chansons sénégalaises deviennent vite lancinantes quand on n’en comprend pas les paroles. Sinon, il y eut de beaux morceaux de danse ou de musique mettant en valeur la kora (Lamine Cissoko) ou la flûte en bambou (William Létang), on a écouté attentivement un chant gospel interprété par Cynthia Brival, suivi avec intérêt la progression de l’œuvre peinte par Obey Fall, trois silhouettes anguleuses qui se coloraient et s’enrichissaient de détails au fil de la représentation, sachant que chaque spectateur aura puisé dans ce vaste programme où raisonnaient parfois des accents militants les morceaux qui le touchaient le plus.

(1) Ce 26 juin 2025, Jocelyn Régina a inauguré cette séquence de trois soirées intitulée « Anniversaire d’Aimé Césaire (né le 26 juin 2013) : Des mots en démo – conte et paroles.