Dans les bidonvilles de Mayotte, la « délinquance de survie » des mineurs étrangers

— Par Romain Philips —

À Mayotte, la vie est un enfer pour de nombreux mineurs livrés à eux-mêmes, après l’arrestation et l’expulsion de leurs parents vers les Comores voisines. Sans prise en charge de l’État français, et face à des associations débordées, ces jeunes sombrent souvent dans la délinquance. Une situation explosive sur une île qui compte 50 % de mineurs, et où 84 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Reportage.

Entre les quatre murs violets de la pièce éclairée par le soleil qui passe entre les barreaux de l’unique fenêtre, une quinzaine d’enfants récitent les sept jours de la semaine. « Aujourd’hui, on apprend à lire le français avec les syllabes », explique Ikham, huit ans, en s’appliquant sur sa prononciation. Le petit garçon vit dans le bidonville de M’Tsapéré, à l’est de Mayotte, et vient régulièrement au Village d’Eva, une association qui vient en aide aux familles sans-papiers. Comme 5 000 à 10 000 autres enfants de l’île, selon une étude parue en février, Ikham n’a pas sa place dans les écoles publiques de Mayotte.

Chaque année, l’association accueille plus de 800 mineurs, dont les parents sont en situation irrégulière, dans ses salles de classe. Une goutte d’eau par rapport à l’océan d’enfants non scolarisés. « Nous avons commencé en organisant des cours dans la rue, dans les bidonvilles. Maintenant, on ouvre des classes continuellement », se félicite le directeur, Sébastien Danjean, qui entend bien poursuivre son œuvre.

« Beaucoup de parents ont peur »

Mais depuis quelques semaines, les bancs des salles de classe se font plus clairsemés. Depuis le début de l’opération Wuambushu, près de la moitié des élèves ne viennent plus en cours. Ils craignent les renforts policiers envoyés sur l’île par le ministre Gérald Darmanin pour lutter contre la délinquance, l’immigration illégale et les bidonvilles. « Beaucoup de parents ont peur de déposer leurs enfants et d’être arrêtés dans la foulée et expulsés. Certains bénévoles en situation irrégulière non plus n’osent plus venir », regrette le directeur.

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À Mayotte, la peur de l’expulsion est quotidienne. Notamment à cause des renvois massifs. Très souvent, ce sont les adultes qui sont arrêtés et expulsés vers les Comores voisines. Les enfants, sont souvent absents du foyer au moment de l’arrestation. De plus, les mineurs, peu importe leur situation administrative, sont inexpulsables, au regard de la loi française.

Sur l’île, ce sont 25 000 personnes qui sont expulsées chaque année, soit davantage que tous les autres départements français réunis. De nombreux enfants se retrouvent donc régulièrement isolés de leurs parents. C’est le cas par exemple d’une élève de huit ans, dont la mère a été arrêtée un matin. « Elle raconte tous les jours qu’elle veut retrouver sa maman », témoigne sa professeure Anzidine Rachimi. Elle vit donc aujourd’hui avec son père mais « il va tous les jours travailler à la campagne » et ne peut donc s’occuper d’elle. « Elle passe beaucoup de temps toute seule ».

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Souvent, ces jeunes séparés de leurs parents sont confiés à un autre membre de la communauté, un oncle ou un ami. D’autres retrouvent parfois leurs parents qui reviennent très rapidement à Mayotte. Pala, 32 ans, pour retrouver ses trois filles, a raconté à InfoMigrants être monté dans un kwassa-kwassa, un petit navire de pêche utilisé par les migrants pour traverser les 70 km de mer qui séparent les Comores de Mayotte, moins de 10 jours après son expulsion.

« Ils n’ont plus personne sur qui s’appuyer »

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