Critiquer la politique sanitaire ne fait pas de moi un complotiste

— Par Kery Etifier-Rabathaly, consultant en politiques publiques, militant RVN —

Fort de son expertise en sociologie, André Lucrèce dénonce dans sa tribune « Épidémie et rhétorique contestataire en Martinique » les comportements de certains Martiniquais visant à disqualifier le discours public officiel et à diffuser des vidéos et autres histoires non sourcées qui nous entraîneraient dans un « embrouillamini de complotismes plus délirants les uns que les autres ». Je reconnais à M. Lucrèce l’excellente initiative de nous rappeler la nécessité de vérifier la qualité de nos sources afin d’éviter la diffusion de fausses informations. En effet, les théories du complot qui se sont rapidement diffusées sur nos écrans de téléphone et nos murs Facebook sont des hypothèses selon lesquelles des événements socio-économiques graves ont été causés par l’action concertée et secrète d’un groupe de personnes influentes et qui auraient tout intérêt à ce que ces catastrophes se produisent plutôt que par le déterminisme historique ou le hasard.

Bien que l’initiative de M. Lucrèce soit salutaire, je suis surpris par ses conclusions qui visent à présenter la vaccination comme solution ultime pour éradiquer l’épidémie quand il affirme ainsi « Alors que le taux de personnes vaccinées contre le covid-19 est en passe d’atteindre 25% en France, le taux en Martinique est d’environ 8%, or on connait l’importance de la vaccination pour l’éradication du virus. Les connaissances méticuleuses et raisonnées du terrain sanitaire nous conduisent à nous protéger et à préserver nos semblables avec des gestes simples : port du masque, distance hygiénique et vaccination. La fin de ce cauchemar sanitaire est à ce prix ». Non seulement le procédé intellectuel utilisé dans cette tribune est somme toute malhonnête puisqu’il mélange sciemment théories du complot et préconisations sanitaires mais la valeur scientifique de cette conclusion est équivalente à celle de ma propre intuition, c’est-à-dire nulle.

Sur les recommandations de Martinique 1ère dans son article « se prémunir des théories dangereuses sur la vaccination, ne pas se fier à ses émotions mais à son raisonnement », je fais ainsi appel à mon raisonnement et à des sources d’information qui ne devraient souffrir d’aucune contestation, du moins je l’espère. Les vaccins permettront-ils d’éradiquer le virus comme le suggère M. Lucrèce ? Non. Le virus continue à circuler mais les personnes vaccinées sont censées être immunisées. En d’autres termes, même si toute la population martiniquaise était vaccinée, le virus n’aurait pas disparu. N’étant pas médecin, je recommande la lecture de cet article de l’ARS Guadeloupe sur « la vaccination, comment ça marche ? »

Les vaccins proposés vont-ils mettre fin à notre « cauchemar sanitaire » comme le suggère M. LUCRECE ? Non plus puisque nous avons appris récemment que des personnes vaccinées pouvaient être recontaminées. Des situations dramatiques qui intéressent tout particulièrement nos aînés alors qu’elles sont censées être les premières immunisées. C’est le cas à l’Ehpad de Balma à Toulouse où 26 des 77 résidents ont été dépistés positifs au Covid-19 en Avril 2021 malgré une campagne de vaccination débutée en Février 2021 selon un article publié par France Bleu « Coronavirus : pourquoi la vaccination n’empêche pas complètement les clusters, voire les morts, en Ehpad»

Réflexion salutaire à proposer

Les vaccins proposés empêchent-ils de mourir du virus ? Non plus si l’on en croit l’article de Guyane 1ère où « deux personnes sont décédées du covid-19 à l’hôpital de Cayenne alors qu’elles étaient vaccinées depuis plusieurs semaines ».

Les vaccins proposés sont-ils efficaces contre tous les variants identifiés ? La réponse est une nouvelle fois négative si l’on en croit l’article du Monde qui rappelle que la Haute Autorité de la Santé a proscrit le vaccin Astra Zeneca en Guyane, à la Réunion et à Mayotte et ne le recommande pas pour la Moselle car « il est trop peu efficace contre le variant sud-africain, qui y circule de façon importante ».

En conclusion, si nous devons tous nous protéger contre les fausses informations et les théories complotistes, il ne faudrait pas que nos intellectuels et autres politiques se mettant en scène dans les vaccinodromes de l’île en oublient la notion même d’esprit critique. Une partie de notre population ne souhaite pas se faire vacciner, non pas à cause d’une énième théorie complotiste visant à accuser Bill Gates mais bien à cause de la communication aberrante de nos agences régionales de santé et d’un président de la République désormais épidémiologiste en chef de la nation.

La science ne prétend pas détenir la vérité absolue et c’est à la politique de l’interpréter et de prendre des décisions raisonnées. Comment voulez-vous objectivement faire confiance aux discours officiels qui se contredisent depuis plus d’un an les uns après les autres? Je rappelle les imbroglios autour des méfaits du vaccin Astra Zeneca associés à la communication aberrante de l’ARS Martinique qui nous sommes désormais de croire que le vaccin va « sauver des vies ». Cette même ARS dont son directeur général Jérôme Viguier affirmait sans trembler devant les militants RVN en mars 2020 que le coronavirus n’était pas plus dangereux qu’une grippe et qu’il n’y avait pas lieu de fermer nos frontières. Depuis, 75 personnes sont décédées au CHUM dont 60 en provenance de Martinique (semaine du 19 au 25 avril 2021). Depuis, nous avons accueilli sur motifs impérieux les variants britanniques, sud-africains, bretons, américains et nous attendons le terrible indien, déjà repéré en Guadeloupe et à Sint-Maarten. Mais peut-être que les responsables seraient encore et toujours nos terribles vidés marrons ou désormais notre appétence pour les théories complotistes ?

Libre à chacun de se faire vacciner mais que personne ne fasse passer ses convictions personnelles pour des conclusions scientifiques alors que rien n’est définitivement prouvé. En cette période d’incertitude sanitaire où la science est confuse et le politique autoritaire, nos intellectuels devraient refuser quel qu’en soit le prix , comme le recommande l’universitaire et politologue palestinien Edouard Saïd, « les formules faciles, les idées toutes faites, les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir et autres esprits conventionnels ». Il n’est pas question de complot mais de réflexion salutaire à proposer pour notre pays. A l’heure où le pass sanitaire sera testé de façon dérogatoire (encore une fois) dans nos territoires d’outremer, nos candidats à la Collectivité Territoriale devraient faire de ce sujet une priorité. Ainsi, ils s’éviteraient des réunions solitaires sur Zoom ou Facebook où l’on finirait par les confondre avec de simples youtubers présentant un produit sponsorisé.

Kery Etifier-Rabathaly, consultant en politiques publiques, militant RVN