Crise sanitaire : Libertés et Droits de l’Homme

— Par Patrice Ganot, Président de la Fédération LDH de Guadeloupe —

L’épidémie due au virus SARS-CoV-2 (covid19), devenue rapidement une pandémie, affectant la planète entière, s’est avérée constituer l’exemple parfait d’une syndémie (Merrill Singer, puis Richard Horton) en ce qu’elle a révélé, à travers des disparités d’un pays à l’autre, comment des causes multifactorielles (dont, la pauvreté, la malnutrition – ou la « malbouffe » – les conditions d’hygiène, l’état des services de santé publique, etc.) pouvaient aggraver, sur les populations, les effets directs de la propagation d’un agent pathogène ; en nombre d’hospitalisations critiques, dépassant les possibilités « normales » d’accueil des hôpitaux, et, hélas, en nombre de décès.

Une telle épidémie met au grand jour, s’il en était besoin, les déséquilibres (économiques, sociaux et sociétaux), les dysfonctionnements d’un pays.

En Guadeloupe, hors les constats et analyses concernant les effets sur l’économie des confinements successifs et des diverses mesures qui ont dû être prises, dès le début de l’épidémie, la situation sanitaire (état des structures de soins, nombre élevé de cas dits de comorbidité) n’a cessé d’inquiéter. Jusqu’à l’arrivée de la quatrième vague de l’épidémie, au cours des mois de juillet et août et ses conséquences, en termes de mortalité enregistrée en Guadeloupe, qui ont montré les limites du fonctionnement, tout particulièrement, du CHU.

Est alors venu le temps du « pass sanitaire » qui s’impose de plus en plus largement à l’ensemble de la population, ET de l’obligation vaccinale pour les soignants et autres professionnels de santé, comprenant les pompiers. Décrétée par les autorités gouvernementales, avec force de loi, relayée par la direction du CHU, cette obligation ciblant cette seule partie de la population a mis les syndicats sur le pied de guerre d’autant qu’elle était accompagnée de l’annonce des sanctions qui frapperaient les soignants et autres professionnels qui refuseraient de se faire vacciner. Ces derniers voyant là une atteinte intolérable à leurs libertés fondamentales et au droit du travail.

Une telle situation donne lieu à un véritable bras de fer entre l’administration du CHU, et à travers lui l’État et ses services (Préfecture, ARS), et les syndicats, remontés et mobilisés comme jamais, à en juger par la poursuite des manifestations hebdomadaires qui, quoi que l’on puisse penser de la vaccination, interpellent lorsque des centaines de femmes et hommes réaffirment leur opposition à l’obligation vaccinale.

Un tel positionnement de forces vives dans une société démocratique doit être pris en compte par les autorités pour être analysé correctement afin d’y apporter des réponses adaptées au maintien de la paix sociale et la préservation de la continuité des soins médicaux au sein du CHU. L’opposition syndicale à la vaccination obligatoire doit être comprise comme l’exercice d’une liberté de conscience et d’expression.

D’autant que,

Nous avons pu faire le constat des cafouillages, des discours contradictoires, qui ont été à l’œuvre à l’occasion de l’épidémie ;

Nous avons analysé que cela procédait d’une totale impréparation, pire d’un abandon de toutes les mesures préventives prévues depuis des décennies, lesquelles intégraient bien évidemment toutes les avancées scientifiques et technologiques. Et c’est ainsi que nous avons vu la création d’un conseil scientifique, par le fait du Prince, alors que des structures ad hoc existaient, prêtes à se mettre au travail pour répondre à tout nouveau danger sanitaire, mais n’ont pas été sollicitées ;

Nous assistons, depuis des lustres – « libéralisme économique oblige » – à une casse généralisée des services publics, à laquelle n’échappe pas ceux de la santé. La Guadeloupe, la Guyane et la Martinique ne sont pas les seuls territoires concernés, cependant que leurs situations, sociales, économiques, voire géographiques, aggravent sans doute les conséquences de cette politique.

Mais des faits relayés par les journaux, télés et radios, et confirmés par divers témoins font état d’exactions ; ainsi, un des entrefilets de la presse :

« Huile de vidange dans les bureaux, colle dans les serrures et « actes malveillants » : les autorités sanitaires du département de la Guadeloupe ont dénoncé, mercredi 6 octobre, « des actions de sabotage » au sein des établissements de santé, au milieu de virulents débats sur l’obligation vaccinale. »

Il y a longtemps que la « ligne jaune » a été franchie, à l’occasion de mouvements de protestation, avec des dégradations dans certaines mairies (déjà de l’huile de vidange !), dans des écoles ou des collèges. Là, ce qu’il pouvait encore rester de la ligne semble avoir été effacé.

La démesure a t-elle atteint un pic ? A quels excès faudra t-il encore assister ?

Il est légitime de s’inquiéter des tendances liberticides des gouvernements (l’actuel ne s’inscrit pas dans une totale nouveauté) ; encore que la France ne soit pas une dictature (les exemples, malheureusement, ne manquent pas sur la planète), nous devons être vigilants. Comme il est tout aussi légitime de dénoncer les énormes fautes de communication et de méthode, dont une trop grande absence de concertation qui ne peut aboutir qu’à de l’autoritarisme. Cependant, la protestation, toute légitime qu’elle soit, dans ses moyens (des rassemblements et manifestations – dont les grands liyannaj, comme celui entre les 3 territoires du 7 octobre –, jusqu’aux, plus proches, piquets de grève), ne saurait intégrer les actes dénoncés ci-dessus ; ils sont inacceptables et condamnables.

Devant les polémiques, les propos haineux et les menaces physiques proférés par certains sur la toile (ou publiquement), la LDH n’avait pas souhaité ajouter sa voix au brouhaha ambiant qui dénaturait et vidait de son sens le débat public ; l’émotion, prenant le pas sur la raison, d’autant que régnait une grande confusion créée par les déclarations de certains scientifiques et celles de ceux qui ne le sont pas mais qui estiment avoir voix au chapitre.

Informée des faits qui touchent le CHU, la LDH ne pouvait rester silencieuse et elle a toute légitimité pour dire que les oppositions et les désaccords profonds qui peuvent exister dans le champ social, à propos de l’épidémie et de l’obligation vaccinale, ne doivent pas attiser les passions et les divisions au sein du CHU, déjà fragilisé pour d’autres raisons.

Si les Droits de l’Homme incluent, par construction, les droits des travailleurs, ils incluent, nécessairement, les droits à la santé, c’est à dire le droit que chaque personne a de pouvoir accéder aux soins, en cas de maladie ou d’accident.

Ce droit-là est mis à mal par les actes dénoncés ci-dessus.

La LDH est respectueuse du combat mené par les syndicats quand ces derniers considèrent que les mesures autoritaires prises à l’encontre des soignants restreignent les libertés et amplifient le contrôle sur tous les professionnels de santé. À l’inverse, elle regrette que, sous prétexte d’action syndicale, des actes inadmissibles, car malveillants, soient commis dans l’unique but de paralyser le fonctionnement du CHU et l’accès aux soins, pour manifester une opposition à l’obligation vaccinale.

Il n’est pas du ressort de la LDH de prendre position sur le vaccin, cependant,

Elle entend qu’Angélique Kidjo et d’autres artistes interpellent les pays riches pour qu’ils respectent leur engagement (“Covax”) de façon que l’Afrique, prise dans sa globalité, obtienne suffisamment de doses de vaccins afin que toutes les populations puissent être vaccinées ;

Elle découvre que nos cousins de la Caraïbe envisagent, dans leurs états – indépendants, faut-il le rappeler – d’instaurer la règle de la vaccination obligatoire pour toute la population ;

Elle apprend qu’en Kanakie, le Congrès a voté l’obligation vaccinale générale ;

Enfin, compte tenu du nombre de personnes vaccinées dans le monde (6,6 milliards, dont 2,8 milliards qui le sont complètement ; chiffres, arrondis, en date du 13 octobre), elle trouve ahurissant d’entendre, ou de voir sur certaines pancartes, encore récemment, que l’on veut « prendre les Guadeloupéens pour cobayes ».

Et elle réaffirme que l’accès aux soins est un droit intangible et aussi une liberté fondamentale, qui ne peut être contrarié par des méthodes syndicales de plus en plus violentes, susceptibles de mettre en grand danger l’outil de travail, en l’occurrence un établissement de santé, lorsqu’il ne s’agit pas de menaces physiques et d’intimidation ciblées.

C’est pourquoi, malgré la fracture sociale qui parcourt en profondeur la société guadeloupéenne, la LDH appelle à la responsabilité de tous et particulièrement à celle des syndicats dont un des rôles essentiels est d’éclairer et d’élever le niveau de conscience de ses membres, mais également à celle des associations (et autres collectifs), dès lors qu’elles sont bien structurées ; elle invite toutes celles et tous ceux qui participent à ce mouvement, à le recadrer, à faire en sorte que la protestation ne se poursuivent pas à travers des actes dont l’ensemble de la population ne peut que pâtir. Les syndicats, forts de leur ancienneté et de leur expérience, de leur puissance et de leur autorité, en ont la responsabilité majeure, nous oserons même la qualifiée d’historique.

Nous finirons notre propos en prenant à notre compte l’expression de la sagesse qui traverse les siècles :

En toute chose, il faut savoir raison garder

Le 14 octobre 2021

Pour la LDH Guadeloupe,

Patrice Ganot, Président de la Fédération