Courbet et l’impressionnisme

— Par Dominique Daeschler —

La vague, Courbet, Gustave ou Jean Désiré Gustave

La vague, Courbet, Gustave ou Jean Désiré Gustave

Rouvert en 2011, le musée Gustave Courbet à Ornans (Doubs), petite ville dont le peintre est originaire mène une collaboration suivie avec le Musée d’Orsay (prêts, dépôts, conception d’expositions).Ce travail, officialisé par une convention de partenariat, permet une déclinaison intéressante d’une politique territoriale élargie qui permet à un public différent de faire connaissance, chez lui, avec des chefs-d’œuvre de collections nationales.
L’exposition « Courbet et l’impressionnisme «  met en valeur la contribution de Courbet à la naissance du paysage impressionniste. Elle s’articule autour de grands thèmes : la forêt de Fontainebleau atelier en plein air, la Normandie berceau de l’impressionnisme, l’auberge St Siméon, les paysages de mer, Paris et le groupe des Batignolles, la guerre de 1870, les déjeuners sur l’herbe, le retour à Fontainebleau et les séjours en bord de Seine. Avec plus de 80 œuvres, l’exposition tend à démontrer l’influence du maître d’Ornans sur toute une génération d’artistes épris de peinture en plein air et en quête de renouveau esthétique.
Rupture avec l’art académique, vigueur de touche privilégiée au dessin, vision d’ensemble, place de la lumière, autant de traits caractéristiques des impressionnistes qui créent des parallèles entre leurs créations et celles de Courbet et ses amis réalistes.
La forêt de Fontainebleau, atelier de plein air
C’est le lieu d’un véritable engouement de 1830 à 1870 où peintres, sculpteurs, écrivains, au-delà des courants auxquels ils adhèrent, travaillent et se rencontrent dans les auberges de village dont la célèbre auberge Ganne de Barbizon. Les toiles présentées (Entre autre des Corot, Coignet, Daubigny) donnent une place majeure à un paysage «  cadré serré » où la lumière se veut véhicule d’émotion dans une observation minutieuse du lieu. Les personnages apparaissent comme secondaires «  en situation » (Peintres dans la forêt de Coignet). Plus tard, la dénomination « école de Barbizon » rassemblera des peintres différents dans leur conception de la peinture mais porteurs de l’émulation créée par un lieu emblématique.
La Normandie
Si Courbet n’y vient qu’à partir de 1840, c’est dès le début du 19ième siècle qu’elle est un lieu privilégié choisi par les peintres désirant travailler en pleine nature. Trouville, Deauville, Cabourg, Honfleur, Le Havre, Etretat deviennent des sites de prédilection. L’influence des grands paysagistes romantiques anglais dont Turner, Bonington, Cotman se lit dans l’amour du flou et des plans lointains, prémices de la vision impressionniste. On y retrouve les maîtres de Barbizon (Corot, T Rousseau) et plus tard Jongkind, Boudin, Courbet, ces trois derniers étant très présents dans cette partie de l’exposition. Courbet y découvre « la mer sans horizon «  et y retournera souvent, y réalisant sa série des vagues. La Normandie c’est aussi la découverte de Boudin (admirables peintures sur galets).
Paysages de mer
C’est à partir de 1860 que la mer devient pour Courbet, à côté des falaises du Jura, une thématique artistique forte. Il aime la puissance des éléments marins. Ce n’est pas sans effroi. Il écrit à Hugo qu’elle lui « fait l’effet d’un tigre qui rit ». Whistler voit dans les marines de Courbet, libérées de tout académisme, la célébration d’une liberté visuelle qui influencera Monet et Manet : audaces des couleurs, jeu sur le vide, provocation (œuvres exposées de Boudin, Jongkind, Courbet, Monet, Manet, Whistler).
Paris et le groupe des Batignolles
Les amoureux du motif (Renoir, Sisley, Monet, Manet Pissarro) installent des « créatures  » au sein des verts pâturages, et se retrouvent le plus souvent dans le quartier des Batignolles. Temps de l’éloignement avec Courbet. C’est chez Nadar en 1874, dans une exposition collective, que voit le jour le mot impressionniste, né d’un commentaire acerbe d’un critique sur la toile « Impression de Monet.

La guerre de 1870 sépare les artistes : mobilisation, retraite en Provence, départ pour Londres, Bruxelles… Courbet, républicain convaincu, s’engage dans la lutte. Viendra le temps où le paysage n’est plus un décor mais un lieu social où se déroule une scène de vie ordinaire. La boucle est bouclée avec les déjeuners sur l’herbe : Courbet ouvre la voie et fait scandale avec ses demoiselles alanguies et dévêtues. Manet et Monet suivront. Les dernières toiles de l’exposition, dans un retour à Fontainebleau, nous donne à voir un paysage gagné par le modernisme mais surtout nous plonge, par de savantes réverbérations dans la transcription des impressions intimes (Monet, Renoir, De La Penà). Courbet ferme le ban avec une neige aux reflets bleutés recouvrant une terre qui embrasse le ciel.
Très didactique, l’exposition a le mérite de mettre en valeur des liens pas toujours soupçonnés entre les peintres, les filiations, les évolutions, les séparations. Elle est à la hauteur de ses ambitions par la qualité des œuvres présentées et sa clarté.
Enfin, elle augure bien de la mise en œuvre du grand projet Pays de Courbet, pays d’artiste, à la fois scientifique et culturel qui met en résonance, autour du peintre, les lieux symboliques de sa vie dans la vallée de la Loue : musée Courbet, dernier atelier à Ornans, ferme familiale de Flagey, site de la source de la Loue et sentiers de Courbet.