Coronavirus : « Les nouvelles configurations urbaines portent en germe des déflagrations écologiques à haut potentiel de viralité »

L’urbanisation et l’introduction d’espèces sauvages en ville amplifient le risque de passage à l’homme de virus portés par des animaux, estiment Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine, et le scientifique Didier Sicard.

La multiplication des interactions à haut risque entre la ville et la nature devrait nous inciter à faire preuve de plus de discernement. » Photo : Un espace jardinage dans un ensemble de logements sociaux dans le 13ème arrondissement de Paris Danièl Danièle Schneider / Photononstop

Tribune. Depuis plusieurs années, nous accélérons le processus d’urbanisation du monde. Les populations citadines se mesurent dorénavant en dizaines de millions d’habitants. Elles se compteront peut-être demain en centaines de millions si d’autres projets comme celui de Jing-Jin-Ji qui prévoit la construction d’infrastructures entre Pékin, Tianjin, et l’ensemble de la province environnante de Hebei en vue de créer une mégalopole voient le jour. Wuhan, avec près de douze millions d’habitants, ferait presque figure de ville moyenne.

Par leur densité, ces nouvelles configurations urbaines portent en germe des déflagrations écologiques à haut potentiel de viralité. Elles amplifient les risques liés aux envies d’expériences exotiques des populations urbaines. Des plantes ou les animaux sauvages sont extraits de leur milieu naturel pour les implémenter artificiellement dans d’autres environnements incompatibles avec leur développement.

Article réservé à nos abonnés

C’est ainsi que nous retrouvons des pangolins à Wuhan ou des palmiers d’Égypte dans l’hémisphère nord. Nous générons des courts-circuits entre l’homme et la nature. Ces dynamites virales portent des noms : Ébola, VIH, la maladie de Lyme, les virus aviaires (H5N1 etc.) ou les coronavirus. Dans chaque cas, elles procèdent d’une anthropisation dont nous parvenons, avec de plus en plus de difficultés, à limiter les conséquences sanitaires.

Le recul de la nature face à des villes de plus en plus grandes

Plus les villes sont grandes, plus la nature recule, plus des espèces sauvages sont contraintes de vivre en milieu urbain, plus nos univers sont connectés, plus vite les vecteurs de propagation agissent. Ce sont d’abord des insectes, des chauves-souris ou des reptiles qui véhiculent les virus puis, 4 milliards d’individus qui chaque année voyagent d’une métropole à l’autre, et prennent le relais des animaux.

Le virus Ébola a été maîtrisé car il se propageait loin des villes, dans des villages africains du Zaïre, suffisamment hermétiques les uns des autres ; il était assez grave pour que la mort précède sa diffusion et permette de réagir à temps. Si Ébola atteignait une grande unité urbaine, il est probable qu’il déclencherait une immense catastrophe sanitaire. Le VIH est millénaire, il restait confiné dans sa version simienne (SIV) dans un environnement enclos.

Article réservé à nos abonnés

Mais son transfert chez l’homme – causé par des blessures à l’occasion de chasses – a entraîné silencieusement pendant de longues années sa transmission dans des villages reculés. Avant que la création de grands ports africains ne favorise un afflux de populations, donc de prostituées, ce qui en a fait la maladie mondiale que nous connaissons. Plus près de nous, la maladie de Lyme s’est développée quand les rongeurs ont disparu de nos forêts et que les tiques ont fait des hommes leurs nouvelles proies.

Repenser le modèle de concentration urbaine

La multiplication de ces interactions à haut risque entre la ville et la nature devrait nous inciter à faire preuve de plus de discernement. Elle devrait davantage stimuler les convergences et les collaborations entre les recherches vétérinaires et médicales. Étudier les moustiques mérite autant d’attention que celle que nous consacrons à étudier le génome.

La crise sanitaire que nous traversons révèle le silence de nombreuses autorités nationales ou internationales sur les risques consubstantiels de ce trafic mais aussi sur les effets collatéraux d’un modèle de développement mal maîtrisé. Demain, notre indulgence vis-à-vis de tous ceux qui s’accommodent de cette évolution sera coupable.

Article réservé à nos abonnés

Pour autant, cette évolution n’exonère aucun d’entre nous. Au-delà de la responsabilité des Etats à activer enfin cette régulation mondiale des trafics de plantes et d’animaux sauvages – via la Commission internationale d’interdiction du trafic d’animaux sauvages qui, depuis 1975, n’a eu pour résultat que d’augmenter la clandestinité – d’autres questions se posent : celle d’un modèle de concentration urbaine qui entre en conflit avec notre envie d’écologie qui s’inscrit légitimement au cœur des nouveaux styles de vie.

Les effets catastrophiques des déforestations

Mettre la nature en ville est une promesse dangereuse. Nous en faisons l’expérience. Nous devons impérativement changer la relation qui nous lie à la nature. Car « métropolisation » et « envie de nature » risquent d’accélérer les déflagrations écologiques. D’autant que les prévisions sont assez unanimes sur le fait qu’en 2050, environ 75 % des populations vivront dans des métropoles, dont plus de 40 compteront au moins 10 millions d’habitants.

Article réservé à nos abonnés

Le risque est double. A la fois de reproduire en ville des environnements naturels dont nous sommes friands, d’y multiplier les expériences exotiques ou de céder trop vite aux sirènes du verdissement sans mesurer les impacts et les dérèglements que cela pourrait avoir. Mais aussi, d’accélérer, par nécessité, les transformations d’espaces naturels en zone de production à haut rendement pour nous permettre de manger des tomates toute l’année.

Faut-il rappeler les effets catastrophiques des déforestations ? Elles amènent à connecter l’homme avec des milieux naturels qui n’ont pas vocation à interagir avec lui. Ou les conséquences d’élevages industriels dont les dérives sont à l’origine de la grippe aviaire. De nombreuses voix s’accordent sur la nécessité de tirer de cette crise des enseignements forts.

L’enjeu doit être la recherche des vraies causes

Nul doute que les stocks de masques et de respirateurs vont remplir les réserves des hôpitaux du monde entier. Mais aurons-nous l’audace d’aller plus loin ? De proposer la constitution d’un tribunal sanitaire international afin de pointer et de sanctionner les comportements irresponsables à l’origine de ces pandémies. De remettre en cause les envies effrénées de « consommer » la nature à n’importe quel prix. Là où nous vivons.

Au mépris des écosystèmes et de leurs équilibres. Ou d’imaginer un monde moins concentré, mieux distribué, au sein duquel l’envie de nature sera satisfaite par la possibilité de vivre ailleurs que dans quelques mégapoles. Où les circuits courts seront préférés aux caprices de consommateurs pressés et boulimiques. Là sont les vraies questions ; elles supposent de rechercher les vraies causes, de les expliquer et de les promouvoir. Un enjeu universel. Peut-être même l’Enjeu !

Jean-Christophe Fromantin(Maire (DVD) de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) et délégué général du Forum de l’Universel) et Didier Sicard(Epidémiologiste et ancien président du Comité national consultatif d’éthique)

Source : Lemonde.fr

Jean-Christophe Fromantin
Maire (DVD) de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) et délégué général du Forum de l’Universel

Didier Sicard
Epidémiologiste et ancien président du Comité national consultatif d’éthique