« Continuum », de Michèle Arretche : l’art du double ou le double de l’art?

Du 5 au 28 septembre 2019,  à la Galerie  Le Vin l’Art et Vous.

— Par Roland Sabra —

« Le travail de Michèle Arretche montre souvent des paysages, réels ou oniriques, déserts ou habités, lyriques ou poétiques, figuratifs ou totalement abstraits. Comment expliquer ce double langage? » ainsi commence la présentation de l’exposition «  Continuum » de Michèle Arretche que l’on peut voir jusqu’au 28 septembre 2019 à la Galerie « L’art le Vin et Vous ». On pourrait s’étonner de l’évocation d’un double langage qui dans son acception ordinaire est teinté d’une dimension péjorative quand bien même se rapporte-t-il, dans ce cas précis, au domaine artistique. Les connotations sont de l’ordre de la dissimulation, du moyen détourné pour se tirer d’embarras, de la tromperie, du faux-fuyant. La présentation tente d’échapper à cette assignation en glissant du coté de la linguistique en évoquant dans un premier temps, comme un clin d’œil à la situation des Antilles françaises, la diglossie, cette « situation linguistique d’un groupe humain qui pratique deux langues en leur accordant des statuts hiérarchiquement différents. » Pouvait-on en rester là ? Non, suggérer une hiérarchie et les relations de domination inhérentes évoque une dimension politique un peu trop délicate. Un dernier glissement va s’opérer vers le concept de continuum, qui en linguistique renvoie à des variétés langagières entre lesquelles il n’existe pas de frontière marquée identifiable et ce, dans une perspective à l’abri tout rapport de pouvoir. Et comme la pensée ne se développe pas en dehors du contexte dans lequel elle émerge un lien s’établit avec la problématique du genre telle qu’elle se développe aujourd’hui autour du refus d’une assignation sexuée figée, dans la revendication d’un continuum, sur le quel tout un chacun pourrait se déplacer librement en fonction des intérêts du moment entre les pôles masculin et féminin. « Chaque écriture emprunte à l’autre des composants, des techniques, puis des interférences se produisent au contact, rendant difficile l’attribution d’une frontière entre les deux langages plastiques mais permettant au mieux, dans l’instant, l’émergence de l’émotion. » ( Présentation). L’opération de déminage est parfaitement menée. Du double langage, politiquement condamnable en suggérant un rapport de pouvoir, on passe à la mise en avant d’une situation de coexistence pacifique dans la reconnaissance de différences qui échangent, communiquent dans le respect de ce qui les fonde. Sauf que l’on pourrait  considérer ce déploiement ingénieux comme une habile opération d’enfumage. Ce qu’en sa part de vérité, aussi discutable soit-elle, elle n’est pas.

Avant de lire cette présentation de l’exposition j’avais déjà remarqué deux ou trois choses qui me semblent étayer, dans l’après coup, ce qui précède. D’abord il y a ce prénom épicène de Michèle dont la scription utilise la forme la moins féminisée en abandonnant la forme Michelle. Dans bien des familles, l’attente déçue de la naissance d’un garçon qui devait s’appeler Michel vaut à la fille l’attribution d’un prénom au plus près de celui choisi. Il y a même des cas dans lesquels le prénom d’une fille n’avait pas même été envisagé. Ensuite Michèle Arretche accompagne ses chroniques de critique d’art de la mention « Amateur d’Art ». Là encore le « e » du féminin, communément admis sous la forme « amateure » passe à la trappe. Et puis il y a ce métier qui fût le sien, celui de médecin docteur en pédiatrie, déjà un condensé dans sa dénomination de l’attribution de deux rôles sociaux qui à l’époque de la formation du docteur Michèle Arretche étaient bien plus sexués qu’ils ne le sont aujourd’hui. Voilà où en étais-je le soir de l’inauguration de l’exposition « Continuum ». De son œuvre de peintre (encore un mot épicène) j’avais simplement en tête l’opposition entre des paysages figuratifs et d’autres totalement abstraits avec la vague hypothèse que si les premiers appartenaient à son univers féminin et les seconds à son univers masculin cela relevait d’un contexte éducationnel dans lequel la reproduction de la nature et le travail d’abstraction avaient été, étaient et sont encore, hélas, genrés. L’utilisation des couleurs dans les œuvres relevait, elle aussi, de cette problématique.

A mon arrivée à la Galerie l’Art le Vin et Vous, je suis allé voir l’artiste (encore un mot épicène) et je lui ai fait part de ces fumeuses cogitations. Michèle Arretche est quelqu’un d’entier (ambiguïté de la formule), carré, comme le format privilégié de ses tableaux et c’est ce qui la rend sympathique, attachante. D’emblée elle dit que sa venue au monde avait été attendue pendant quinze ans par son père architecte au talent suffisamment reconnu pour qu’il enseigne son art dans une école renommée et de sa mère pharmacien et qui ne voulait surtout pas qu’on l’appelle pharmacienne, titre qui est celui de la femme du pharmacien et que je pouvais rendre public ce qui précède. Elle me dit : « Écris tout ça! »

L’œuvre de Michèle Arretche ne se résume pas à des élucubrations psychologisantes quand bien même voudraient-elles se parer de psychobiographie et ce, au-delà des dérives de la discipline dans une originologie qui pensent les œuvres, événements et actions publics significatifs de l’artiste comme le produit de détails minutieux de l’enfance. Michèle Arretche a eu d’autres référents que ses parents. Les couleurs, grises, havanes ou blanc cassé, de ses abstractions empruntent quelques fois à celles du maître Cy Twombly et lorsqu’elle se plaie/plait à dissoudre les démarcations, à brouiller les repères, à créer des transitions dans des triptyques, construits davantage par le regard du regardant que par la volonté de la peintre, elle n’est pas dans la préoccupation de détruire la représentation ou de la rendre plus artistique. Elle s’inscrit dans la lignée d’un autre de ses maîtres contemporains, l’allemand Gerhard Richter. Dans la série « Paysages onirique » elle lui emprunte, par exemple une touche d’illusionnisme dans les incrustes de visages, de maisons d’une extrême précision au milieu d’un feu d’artifice torrentiel.

A l’intérieur, au cœur, de ce qu’elle nomme double langage il y a ce dualisme qui la tient debout. Et si elle est bien, totalement, entièrement dans la réalisation de ses œuvres, celles-ci échappent à tout réductionnisme. L’artiste est-il maître de son œuvre ? Sujet de dissertation de classe terminale !

Fort-de-France, le 08/08/2019

R.S.