Continuer à rire de tout, plus que jamais

— Par Sandrine Blanchard —
charlie_hebdo_1an_apresSi on peut mourir pour un dessin, alors on peut mourir pour un sketch » : Stéphane Guillon admet sans hésiter qu’il y a un avant et un après-Charlie dans sa manière de faire de l’humour. « Lorsque j’ai écrit cet été un sketch sur Mahomet pour mon nouveau spectacle, je me suis, pour la première fois, demandé jusqu’où je pouvais aller… » Son choix a été d’« éviter le piège tendu de l’attaque frontale » et de parler de toutes les religions. « Daech, ce n’est pas la religion ; ma cible, ce sont ces dingues. »

Depuis les attentats de janvier, nombreux sont les humoristes à s’être interrogés sur la manière d’aborder ces événements tragiques, tout en restant fidèles aux mots de Cabu : « Il n’y a pas de limite à l’humour, qui est au service de la liberté d’expression, car là où l’humour s’arrête, bien souvent la place est laissée à la censure et à l’autocensure. » Comment continuer à se moquer, à caricaturer, comment rire après le drame ?

Ceux qui ont l’habitude de malaxer et tordre l’actualité sur scène reconnaissent avoir, dans un premier temps, vacillé, et échangé leur ressenti entre potes. « On est tous passés par différents stades », résume Stéphane Guillon, qui a appelé Christophe Alévêque. De son côté, Elie Semoun a téléphoné à « Gad Elmaleh pour lui demander : “Est-ce que je fais le djihadiste, est-ce que je continue à parler du FN ?” C’est dément quand même… en 2015. Finalement, je n’ai rien changé ». La colère a petit à petit pris le pas sur la peur. D’autres – Sophia Aram, Mathieu Madénian, Younès et Bambi – ne veulent plus ou pas en parler à la presse.

« Flirter avec la ligne jaune »

« Même parmi les humoristes, tout le monde n’était pas Charlie », constate Frédérick Sigrits. « Il y a le club de ceux qui vont se battre pour la laïcité, l’anticléricalisme un peu gaulois et celui qui va poursuivre ses blagues sur les smartphones, les transports en commun ou la petite taille de Sarko. » Pour cet humoriste d’origine guadeloupéenne, qui « refait l’actu » chaque semaine sur la scène du Point-Virgule et intervient sur les ondes de France Inter, les événements de janvier poussent à ne plus tenter de plaire au plus grand nombre.

« La vertu première de Charlie est de se poser davantage de questions. Nous devons être des agitateurs d’idées, car, en France, on est en train de mourir de ce que l’on ne dit pas. J’ai grandi dans une cité HLM de Nancy, ma mère y vit toujours, j’ai vu le quartier changer, les commerces de proximité disparaître, les femmes voilées de plus en plus nombreuses. Si on évoque cela, on est accusé de faire le jeu du Front national, mais c’est oublier que le premier parti de France, c’est l’abstention liée au dégoût de la politique. » Plus question pour lui « de prendre des gants » face au tabou de la religion, mais aussi du libéralisme.

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