Conte Dogon : La fille maligne

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Autrefois, il y avait une fille maligne qui criait partout vouloir voir Dieu pour lui demander de grosses fesses. A ce propos, Dieu lui a demandé d’aller tuer ses parents, afin de trouver ces belles proportions.

Elle a tenu sa parole, elle est allée tuer ses parents et Dieu a exaucé son vœu.

Au retour, elle a voulu se soulager à côté d’une plante qui lui a déchiré une partie de sa fesse, cette plante lui donne en compensation  un criquet, et elle continue son chemin jusqu’à ce qu’elle rencontre un forgeron qui était en train de travailler et la fille lui a demandé de griller son criquet qui finalement fut grillé et vendu.

Elle se met à pleurer, le forgeron lui donne une daba (pioche) en compensation , elle continue son chemin et arrive à un endroit où elle rencontre des petits bergers qui creusaient un trou avec leurs mains.

Elle dit : « Vous, les bergers, ça vous plaît de creuser avec vos mains? Ou bien vous manque-t-il quelque chose ?» et les bergers lui répondent :« oui. il nous manque quelque chose », alors elle leur prête sa daba , mais au cours du travail la daba a disparu.

Elle demande en pleurant aux bergers de payer sa daba. Les bergers lui ont donné de l’eau en compensation, et elle continue son chemin. Elle arrive à un endroit où elle rencontre un groupe de femmes qui sont entrain de boire l’eau de leur urine à défaut d’avoir de l’eau de source. Elle demande aux femmes : »Eh! Femmes, voudriez-vous boire votre urine ou bien manquez-vous d’eau ? » et les femmes lui répondent : » oui, nous manquons d’eau ». Elle donne l’eau aux femmes qui boivent chacune et pour finir elle leur demande le reste…En compensation, les femmes lui offrirent quelques bouts de bois et elle continue son chemin.

Elle arrive jusque chez une vieille femme qui est en train de casser sa propre jambe pour cuisiner et la fille lui dit : « He! la vieille, voulez-vous cuisiner avec vos jambes ou bien êtes-vous en manque de bois?».La vieille lui répond oui!! La fille lui demande de prendre le bois qu’elle porte pour cuisiner un peu. La vieille a tout brûlé. La vieille lui a offert du beurre de karité et la fille continue son chemin. Quand elle arrive à un endroit où il y a un vieux bois mort très sec, elle lui demande:» He  ! Bois,voulez-vous rester sec en ce état ou bien avez-vous besoin de beurre de karité ? »Le bois lui répond oui!! Elle donne le beurre de karité et pour finir le bois a tout utilisé. La fille réclame son beurre de karité et le bois lui donne à la place un collier précieux en compensation. Enfin, elle rencontre une gazelle qui n’avait aucun collier au cou, »He !gazelle, viens essayer ce collier sur ton cou afin que je puisse observer si le collier est joli ou pas. Alors la gazelle a essayé le collier. Dès lors la gazelle fut parmi les animaux les plus beaux du monde.

Commentaire :Ce récit procède de deux types de contes : d’une part le récit d’une pérégrination hasardeuse durant laquelle le personnage échange un certain nombre de choses d’une manière un peu étrange ( voir le conte de Grimm «  Hans im Glück », Jeannot le chanceux), d’autre part un récit qui, par sa conclusion, sert à justifier une réalité ( ici : pourquoi la gazelle est la plus belle parmi les animaux)

Le début du conte paraît assez choquant dans la version de l’informateur dogon qui dit  : «  La fille alla voir Dieu pour lui demander de grosses fesses. Dieu exauça son désir à condition qu’elle tue ses parents ». Il faudrait savoir quel est le terme en dogon : ce ne peut être Amma, le dieu créateur, équivalent de Allah dans l’islam. Je pense plutôt à un esprit subalterne de la nature. Qu’elle doive tuer ses parents comme préalable à ses aventures, doit être entendu dans un sens symbolique : pour partir dans l’aventure de la vie, elle doit rompre les amarres, s’émanciper, tuer symboliquement ses parents. Par là, ce conte est un hymne à la liberté et à la fantaisie dans une société qui maintient les filles toute la vie dans l’obéissance aux parents ou plus tard au mari. Pour autant, je ne pense pas que ce soit un « conte féministe» : il peut exprimer le rêve d’une fille, mais raconté par un homme, il signifie plutôt l’absurdité pour une femme de se vouloir indépendante et d’aller courir l’aventure. Le fait qu’elle demande de « grosses fesses «, laisse percevoir la dimension érotique de l’aventure Ce conte qui n’évite ni la grossièreté, ni un imaginaire débridé, ni l’absurde doit être raconté d’un rythme rapide et joyeux !

Il reste l’ambiguïté du titre : «  Une fille maligne ». Aujourd’hui « maligne » et « malin » signifie « rusé, intelligent », mais son origine étymologique est « le mal ». Il y a donc dans ce conte toute l ‘ambiguïté du bien et du mal. Finalement,durant son parcours la fille fait du bien aux gens qu’elle rencontre et au final elle fait une belle action.

 

Lire :« Contes Dogon », recueillis par Malick Guindo à Endé (Pays Dogon) Mali