Conte Dogon : Andjogue

CONTE 6

Andjogué est né malade. Il souffre depuis des années. Selon la coutume , une fête a lieu chaque année au village. Cette s’appelle « igina », ce qui veut dire «  veiller étant debout » Mais le pauvre Andjogue ne peut pas veiller debout et, de tristesse et de désespoir, il décide de se suicider. Il alla au marigot pour se jeter dans l’eau. Mais les djinn de l’eau lui ont adressé la parole: – Que fais-tu donc de si bon matin au marigot? Andjogue répond plaintivement: – Ma vie n’a été que maladie. Pas un jour sans souffrance. Je ne peux même pas participer à la « igina » puisqu’il faut rester debout toute la nuit. Je viens me suicider. Esprits de l’eau, aidez-moi à mourir ! Les djinn se consultent entre eux. Cela fait de gros «glouglou» à la surface de l’eau. Finalement l’un d’eux déclare: « Tu n’es pas le plus mauvais des hommes, nous te prenons en pitié. Viens vivre quelque temps parmi nous et sans doute guériras-tu  grâce à nos soins». Et les djinn l’entraînent au fond du marigot. Andjogue a passé à peu près neuf ans dans l’eau avec les djinn . Ceux-ci lui impose une condition avant de partir : il ne doit plus jamais consommer de poissons lui,sa femme et ses enfants et il a accepté. Pendant ce temps, la famille a recherché Andjogue partout, sans succès, et finalement ils ont pris le deuil. Après des années, donc Andjogue est revenu au village sur un cheval tout blanc, et les gens étonnés lui ont demandé où il était pendant tout ce temps, mais il n’a rien répondu. Trois jours après son retour au village, il a dit à sa femme de ne jamais cuisiner de poisson et il a dit aux membres de sa famille que ce sont les poissons qui l’ont fait guerrier et lui ont donné un cheval blanc. Un jour, sa femme part au marigot pour puiser l’eau et voit un poisson à côté qui nage près d’elle. Elle l’attrape, mais le poisson lui dit que c’est interdit car ce sont eux les poissons qui ont fait guerrier son mari. Mais elle ne l’écoute pas. Elle a pris le poisson et l’a apporté à la maison et elle l’a préparé avec la sauce . Quant son mari est venu pour le repas, le poisson chante encore: «Andjogue ne me mange pas car c’est moi qui t’ai fait guerrier ». Quand Andjogue a entendu ces mots, il a refusé de manger et il a appelé sa femme pour lui demander pourquoi elle a préparé du poisson dans la sauce, alors qu’elle lui avait juré de ne plus jamais cuisiner de poisson. Mais la femme nie avoir fait cette promesse et va jusqu’à jurer devant la coutume. Quelle mensonge ! Le conte a dit son jugement : on peut donner tout son amour à une femme, mais pas sa confiance car elle va te trahira un jour !

 

Commentaire : Le marigot ( la mare) est un élément essentiel et vital au Pays Dogon, une région située dans la zone sahélienne où il y a trois mois de pluie au maximum et neuf mois de sécheresse. On y garde des poissons, parfois un crocodile, animal sacré. Mais il a aussi une valeur mythique : c’est le domaine du Nommo, le Dieu de l’eau qui a une dimension des plus importantes dans la cosmogonie dogon. Les poissons et tous les animaux aquatiques participent de cette sacralité. C’est bien pourquoi l’homme malade va se réfugier au marigot pour mourir. Mais c’est bien pourquoi aussi l’homme est régénéré, sinon ressuscité par l’eau du Nommo et ses ambassadeurs,les poissons. Sortant de l’eau après neuf ans ( 9, chiffre de l’absolu et de la perfection) l’homme malade devient un guerrier à cheval, un noble. La conclusion du conte traduit bien sûr le machisme de la société traditionnelle ( comme dans nos fabliaux du Moyen Age) mais un machisme doux  : les femmes, il est bon de les aimer – ou on ne peut que les aimer- et en même temps il faut s’en méfier !

Lire :« Contes Dogon », recueillis par Malick Guindo à Endé (Pays Dogon) Mali