« Congre et Homard » de Gaël Octavia

par Alvina Ruprecht

Congre et Homard  de Gael Octavia, mise en scène de Dominik Bernard, au CMAC les 1er et 02 février à 20 heures

 La pièce a vu le jour après un processus intéressant que nous avons pu suivre de la Guadeloupe jusqu’en Avignon. Congre et Homard, a d’abord été présenté dans une mise en lecture en Guadeloupe il y a deux ans, et a pu se réaliser grâce à l’appui de Textes en paroles, association guadeloupéenne qui œuvre à la promotion des écritures dramatiques de la Caraïbe soumises à la sélection d’ un jury international.
L’auteur Gaël Octavia est martiniquaise; et les deux protagonistes sont joués par des Guadeloupéens Joël Jernider, et Dominik Bernard. Sans entrer dans des commentaires historiques, il faut souligner cette collaboration qui signifie un renouveau important du regard théâtral et une ouverture importante du milieu vers toute la région de la Caraïbe et des Amériques.
L’intelligence de ce dialogue pétillant de Gaël Octavia est bien mise en valeur par la mise en scène de Dominik Bernard qui a su apporter de nouveaux profondeurs à cette rencontre trouble entre un pêcheur et l’amant de sa femme. Un prologue mimé grâce au travail du metteur en scène, révèle l’angoisse, et la jalousie d’un mari trompé qui adore sa femme. Ce prologue soumis à des effets d’éclairage glauques et liquides, nous prépare dès le départ, à une confrontation dramatique qui finira mal. Pourtant, cela ne se déroule pas comme prévu : l’auteur , beaucoup trop espiègle, a préféré créer une ambiance chaotique de rebondissements, d’ambigüités, de sentiments à la fois dévoilés et cachés, un peu à la manière du jeu Touloulou du carnaval guyanais!
Il s’agit d’une drôle de rencontre dans un restaurant le jour de sa fermeture. En effet, le mari, tend un piège à l’amant de sa femme. Le public se rend déjà compte de la situation par la mise en contexte du prologue mais l’invité lui, ne sait pas que le mari est au courant de son secret. La mise en scène profite des métaphores des deux bêtes de mer, le congre et le homard, pour évoquer dès le départ , un espace liquide, symbole des tourbillons de l’inconscient de ces deux hommes qui s’affrontent. C’est ainsi que le metteur en scène apporte au spectacle un profondeur qui n’était pas du tout dans le texte et donne à l’œuvre un fond psychologique insoupçonné, une tonalité sombre, mystérieuse voire inquiétante qui nous bascule à droite et à gauche par le jeu des aveux chaotiques qui précipitent le dénouement.

Et voilà les deux adversaires qui s’affrontent à table. Le mari (Bernard) est agité et fou de jalousie. Mouvements saccadés, discours rapide et quasi hystérique. L’autre (Jernidier), en revanche, reste presque immobile, inquiet. Il n’ose pas bouger ni ouvrir la bouche parce qu’il n’a pas encore compris le sens du jeu, ni pourquoi il a été convoqué. Les rapports entre les deux sont splendides, tendus… Peu à peu le mari révèle ses motivations et les jeux de pouvoir se corsent, chacun essayant de prendre le dessus de l’autre par des aveux qui changent rapidement la donne et transforment vite les relations entre les deux hommes . Revanche de la femme? Peut-être mais l’ambiguïté règne, et donne à cette rencontre tout son piquant.
Le texte annonce une auteure qui sait manier des dialogues pétillants, des rebondissements langagiers. Elle pourrait certainement traiter de questions humaines plus complexes, d’une manière aussi efficace, et aussi merveilleusement théâtrale.

Quant à Dominik Bernard, cet acteur d’une grande sensibilité (il pourrait crier moins par moments ), est aussi un metteur en scène qui sait creuser un texte pour en faire ressortir toutes les nuances psychologiques . Grâce au travail de Bernard, la pièce est devenue une comédie divertissante et une exploration de l’inconscient des deux hommes qui affirment leur virilité et qui sont emportés dans une sorte de duo chaotique où chacun défend son territoire affectif. Un regard original sur une situation souvent prise un peu trop à la légère.   Congre et Homard aura été un des grands moments du Off.
Alvina Ruprecht
Avignon, Juillet, 2011