Confinement, croissance zéro, déflation : quelles conséquences économiques et sociales pour la Martinique ?

Jean-Marie Nol, économiste —

La Covid 19 resserre son étau sur la Martinique , laissant augurer des lendemains qui déchantent dans l’île aux belles fleurs !
Ce que nous vivons aujourd’hui n’est pas une décroissance mais une récession.
Reconfinement en Martinique : le couperet est tombé avec l’annonce de nouvelles mesures annoncées par le président Emmanuel Macron. Dans la foulée, le premier ministre Jean Castex a annoncé jeudi après-midi que le confinement serait à nouveau en vigueur sur tout le territoire national. Le chef du gouvernement a précisé que la Martinique était le seul territoire d’outre-mer qui subirait aussi cette mesure.
De fait, l’angoisse est palpable chez beaucoup de chefs d’entreprises Martiniquais . Des pans entiers de l’économie risquent l’effondrement. Un difficile équilibre va devoir être trouvé entre restrictions sanitaires et préservation de l’activité économique.
Mais force est de constater un ralentissement de la croissance économique en Martinique depuis plusieurs années. Selon les dernières données publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), et nos propres calculs prévisionnels la Martinique va connaître en 2020 le plus fort recul de son activité depuis au moins la crise sociale de 2009 , avec une chute envisagée du produit intérieur brut (PIB) de – 15, 2% .

C’est grave docteur ? Oui et surtout gare à l’emballement. Ce n’est un secret pour personne : les mois à venir seront durs et éprouvants pour de nombreux métiers. De plus, il faut s’attendre à des chiffres de la croissance en berne. Une croissance négative ou un taux d’inflation proche de zéro neutralisent donc les efforts de rigueur budgétaire. L’exécutif de la collectivité territoriale de Martinique (CTM) va devoir gérer les conséquences sur l’économie réelle.

La grande dichotomie de notre époque est qu’en Martinique, les nouvelles économiques peuvent sembler à la fois encourageantes et décevantes : il est encourageant de voir que l’inflation est très faible ; il est décevant de voir que la croissance est négative , au regard des performances passées. Selon la dernière publication de l’Insee, l’indice des prix à la consommation des ménages de la Martinique diminue de 0,5 %, en septembre 2020. Par rapport à septembre 2019, l’indice des prix à la consommation en Martinique augmente de 0,1 %. Et ça c’est dangereux à terme, car la Martinique sera confrontée selon toute vraisemblance à un risque de déflation.

La déflation procure aux ménages un gain de pouvoir d’achat, puisque les prix des biens et services s’orientent à la baisse. A priori, on pourrait penser que cela est bon pour la consommation et donc pour l’activité économique et la croissance. Or, il n’en est rien, bien au contraire. La déflation provoque en effet des réactions attentistes de la part des agents économiques qui se révèlent particulièrement néfastes pour l’économie . La déflation incite les ménages à reporter leurs décisions d’achats dans l’attente de nouvelles chutes de prix. Ce comportement, ajouté à l’effet induit du confinement, conduit à baisser la consommation globale et à gonfler les stocks des entreprises qui n’arrivent plus à écouler leurs productions. En réaction, celles-ci réduisent leur production et leurs investissements. Les salaires baissent, les embauches se raréfient et le chômage progresse, ce qui finit par affecter le revenu des ménages. Il s’ensuit une nouvelle baisse de la consommation qui génère la formation d’un cercle vicieux car auto-entretenu. La Grèce a connu ainsi une période de déflation de 2013 à 2015.

D’autre part, la déflation provoque une dégradation de la situation financière des particuliers et institutionnels qui ont recours à l’emprunt. En effet, la bulle immobilière due à un endettement excessif des investisseurs en Martinique risque fort d’éclater dans les mois qui viennent avec pour effet immédiat une explosion du nombre de loyers impayés, possible détonateur d’une nouvelle crise du logement.

Au train où vont les choses, de couvre-feu en reconfinement , nous nous engageons, hélas, à nouveau sur le chemin périlleux de la grande dépression de l’économie Martiniquaise pire que lors de la crise sociale de 2009 .

En avons-nous les moyens? Rien n’est moins sûr.

Ayons le courage de dire les choses clairement. La situation est grave. Elle est grave en Europe, elle est grave en Guadeloupe et aussi en Martinique . Lors d’un précédent article, nous avions couché sur le papier les conséquences de la crise à venir : Affaissement de la consommation , surendettement, risque d’explosion des liquidations judiciaires, entreprises zombies surendettées… nous écrivions que les dégâts économiques causés par la crise du coronavirus laissent présager pour la Martinique une nouvelle chute de l’activité dans les prochains mois.
Que n’avions-nous point vu. Les temps ont depuis bien changé . La seconde vague du coronavirus frappe aujourd’hui durement la Martinique et surtout la crise sanitaire est devenue économique et sociale. Les Martiniquais scrutent avec inquiétude la courbe des contaminations au coronavirus, qui ne cesse de grimper. Un autre indicateur pourrait virer au rouge, celui de la santé économique de la Martinique . C’est toute une partie de l’économie des services et du tourisme qui risque de s’effondrer.
La seconde vague du coronavirus semble de très mauvais augure pour le tourisme qui tente par tous les moyens de sortir la tête de l’eau : depuis le début de l’épidémie, le secteur déplore 173 millions d’euros de perte pour la Martinique . Dans la perspective des nouvelles mesures de confinement annoncée par le préfet , l’avenir semble effectivement bien incertain pour les voyagiste et les autres acteurs du secteur touristique . Pour les vacances de la Toussaint, pas de frémissement pour la destination Martinique selon le quotidien du tourisme.Et qu’en sera il pour les prochaines saisons, déjà à notre avis, irrémédiablement compromises ?

Le Covid-19 est un accélérateur de la transformation de l’activité économique. Les modes de consommation changent et le mouvement de désertification de la destination Martinique s’amplifie.

En effet, « la confiance des ménages dans la situation économique reste très inférieure à son niveau d’avant crise ». Or, il y a un lien direct entre l’investissement des entreprises et le niveau de demande des ménages : selon un sondage annuel ciblé sur les PME de BPI France, la faiblesse de la demande est même le principal frein à l’investissement cité par les patrons. C’est pourquoi « les entreprises sont nombreuses à craindre des pertes de débouchés », explique l’Insee. Pour ne rien arranger, le surendettement repart à la hausse. Depuis le début de l’année 2020, l’IEDOM a reçu plus de 500 dossiers de surendettement. L’organisme qui représente la Banque de France dans les DOM a la charge d’aider les particuliers dans ces situations financières périlleuses.En Mars dernier, le montant de l’endettement des ménages surendettés Martiniquais s’élevait à près de 25 millions d’euros. Entre les crédits immobiliers, les crédits à la consommation et d’autres dettes bancaires sans oublier les factures d’eau d’électricité, les loyers et les impôts. La Martinique vit au-dessus de ses moyens. Une situation vieille de plus de trente ans, mais la situation s’aggrave avec la crise du Covid 19 . La persistance d’une telle situation pourrait maintenir des pressions à la baisse sur la part du PIB qui revient à la main-d’œuvre. Cette situation aurait des ramifications sur l’inflation, la stabilité financière des collectivités locales, les finances des ménages et aussi celles des entreprises .

La pandémie de coronavirus est à l’origine directe du ralentissement de l’activité économique en Martinique , et donc, de la baisse des ressources des collectivités locales . En effet, la baisse de la consommation locale, les fermetures d’entreprises et la destruction d’emplois ont un impact quasiment immédiat sur les comptes publics. Les crises sont toujours des moments de remise en question, de transformation à court terme et quelque fois à très long terme. En Martinique , la crise sociale de 2009 a permis d’expérimenter des formes d’efficacité de la gouvernance locale qui n’ont pas remis en question le système de la départementalisation . On a vu que l’Etat providence a pris alors son essor pour protéger nos entreprises de la catastrophe annoncée. C’est le résultat de l’arbitrage que font les autorités publiques entre résilience du système départemental et capacité à faire circuler le crédit au sein de l’économie. Et de ce fait, pour que ce modèle tienne, l’Etat doit en effet être prêt à soutenir les entreprises , surtout dans un choc tel que celui que nous observons actuellement. Mais rien ne dit que cela sera toujours le cas à l’avenir. Cette crise est systémique, et exogène à la Martinique . En effet, sa caractéristique est d’être mondiale, aussi prenons garde à la fin de la croissance économique en Martinique à l’instar de ce qui se passe déjà en Guadeloupe !

Avec la récession économique qui découle du confinement, ce sont les jeunes qui vont payer le plus lourd tribut, que ce soit sous forme de chômage ou d’endettement,ainsi que le commerce traditionnel menacé par les achats sur internet qui vont vraisemblablement être décuplées avec le confinement.

Quand l’horizon s’éclaircira quelque peu, il sera important de signaler comment s’effectuera le retour à la normale d’un point de vue politique . Ce sera crucial pour se préparer au redressement économique pour les prochaines années. Cette reprise devrait normalement s’accompagner d’une réforme de la CTM et du modèle économique et social actuel, car nous vivons depuis déjà plusieurs années avec une faible croissance. Il faut d’urgence préparer la suite avec une croissance négative pour demain , et revoir en urgence le fonctionnement de la gouvernance de la CTM, car comme le dit si bien ce proverbe créole : »Fòk ou mantjé néyé pou aprann najé « ( Il faut que tu échappes à la noyade pour apprendre à nager. Signifie que c’est en faisant des erreurs que l’on apprend.)

Jean-Marie Nol, économiste