Cinéma : « La Saison des femmes », « Divines »

— Par Selim Lander —

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« C’est pourquoi, parmi les hommes, aussi longtemps qu’on les considère
comme vivant sous l’empire de la Nature seule,
aussi bien celui qui n’a pas encore connaissance de la Raison,
ou qui n’a pas encore l’état de vertu,
vit en vertu d’un droit souverain, soumis aux seules lois de l’Appétit,
que celui qui dirige sa vie suivant les lois de la Raison »
(Spinoza, Traité théologico-politique, 1670, chap. 16)

Une jeune femme qui se fait tabasser par son mari, faute d’avoir donné naissance à un enfant ; une adolescente qui se rase les cheveux dans l’espoir que son mariage avec un jeune homme qu’elle ne connaît pas sera annulé ; ce même jeune homme, une fois marié, qui n’éprouve que du mépris pour son épouse et dilapide l’argent du ménage avec des filles de mauvaise vie ; le même encore, rempli d’une haine destructrice pour le créateur de ce que nous appellerions une entreprise d’insertion, en passe de réussir son pari, avec les femmes du village ; le-dit village tout entier regardant de haut l’épouse du néo-entrepreneur qui a fait des études et travaille comme institutrice. Bref, un véritable cauchemar qui se terminera en un happy end auquel on n’ose guère croire.

Le film, pourtant, se présentait sous les meilleurs auspices. Deux femmes, deux amies, dans un autocar, qui se régalent de sortir la tête par la fenêtre et de sentir l’air sur leur visage : plaisir simple que le spectateur peut partager. Elles arrivent dans un autre village où elles sont venues « jauger » la fiancée possible du fils de l’une des deux. Les costumes sont chatoyants, l’atmosphère amicale, tout devrait bien se passer, et pourtant…

… Et pourtant ce film est un concentré d’horreurs, pas de ces horreurs ridicules des films spécialisés, mais de celles qui nous saisissent lorsque nous nous trouvons confrontés à l’humanité dans ce qu’elle de plus abject, c’est-à-dire, ici, grosso modo, la gent masculine dans une société patriarcale (celle de paysans indiens dans l’État du Gujarat). Les seuls moments de répit sont offerts par un personnage de prostituée dont l’énergie et l’optimisme se communiquent peu à peu aux trois autres « héroïnes » du film, à savoir les deux amies et la jeune épousée. Ah ! ces échappées sur la plate-forme d’un triporteur…

Le cinéma sert aussi à ça, à montrer la réalité telle qu’elle est. Évidemment, il manque assez régulièrement sa cible dans la mesure où les films militants ne sont souvent appréciés et regardés que par un public convaincu d’avance et peu fourni en brutes épaisses. Il n’empêche, la télévision est un autre vecteur très puissant du cinéma. (L’un des enjeux du scénario de La Saison des femmes est d’ailleurs de faire accepter par les hommes l’arrivée de la télévision – évidemment payée par le travail des femmes !) Comme son public ne se confond pas avec celui des salles d’art et d’essai, il s’avère finalement difficile de mesurer l’impact d’un film militant.

La Saison des femmes est tournée pour l’essentiel dans des paysages désertiques, dans un village aux maisons en pisé, à l’intérieur de l’une des maisons et enfin sous un chapiteau qui s’est monté de manière plutôt improbable à proximité du village, chapiteau sous lequel s’exhibe la prostituée sympathique, laquelle fait donc également profession de danseuse (à demi) nue. Qui n’a pas vu le film peut néanmoins facilement imaginer la vulgarité du spectacle, de la musique (aussi tonitruante et misérable que dans les « boites » d’ici et d’ailleurs) et du public uniquement masculin.

Tout cela est habilement filmé par Leena Yadav. On est frappé par l’élégance des costumes des villageoises surchargés de broderie et laissant apparaître, inattendu, un dos nu. Les anciens ne manquent pas non plus de dignité, vêtus de blanc et coiffés d’un turban. Tandis que les jeunes hommes, qui font, semble-t-il, pour la plupart profession de camionneurs, sont des repoussoirs ivrognes et sales que leurs épouses – pour obéir à la tradition – doivent néanmoins respecter… Par contraste avec la brutalité des rapports hommes-femmes, le film ménage de belles scènes de solidarité, voire de tendresse entre les femmes.

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Parmi les films programmés pendant ce mois de novembre, nous pouvons d’ores et déjà recommander Divines, de Houda Benhamya, caméra d’or à Cannes cette année, un « film de ghetto » (c’est-à-dire situé dans une banlieue « difficile ») offrant les portraits revigorants de quelques (jeunes) femmes qui tiennent la dragée haute aux hommes. Le même thème, au fond, que La Saison des femmes, à ceci près que la chose paraît plus facile dans nos banlieues que chez des paysans rétrogrades. En dehors d’une séquence invraisemblable pendant laquelle la plus fluette de ces jeunes femmes met à mort son suborneur, Divines, malgré la violence de plusieurs scènes et les dangers qui menacent constamment l’héroïne principale, installe une certaine euphorie chez les spectateurs. Les ignorants y apprendront en particulier qu’être en surpoids n’est pas nécessairement un signe de mollesse. Pas de triporteur dans ce film mais un scooter et une automobile Mini décapotable du meilleur aloi. Ce film propose par ailleurs une morale très juste à l’intention des racailles et autres sauvageons : si vous attaquez les pompiers, personne n’éteindra vos incendies.

Tropiques-Atrium à Madiana, les 16, 17, 22 et 23 novembre 2016.