« Chez nous, l’eau est un accident » : en Guadeloupe, les habitants n’en peuvent plus des carences du réseau d’eau potable

— Par Simon Auffret —

REPORTAGE Des décennies de négligence dans la réparation de fuites sur le système d’alimentation et de profonds conflits financiers entre communes pénalisent aujourd’hui des milliers de Guadeloupéens. Le Covid-19 est venu rappeler à l’Etat la précarité de la situation.

Dumé l’affirme avec fierté : à 84 ans, il est le plus vieux charpentier de Guadeloupe. Depuis la terrasse de sa maison, dans le sud de la Basse-Terre, il n’a qu’à tendre le bras pour désigner, à quelques mètres, l’un des grands chantiers de sa jeunesse : un réservoir d’eau potable, aux murs désormais noircis par le temps, construit en 1965 pour alimenter deux quartiers sur les hauteurs de la commune de Capesterre-Belle-Eau.

Dumé venait à peine de se marier quand il a érigé le coffrage en bois du château d’eau, bientôt relié à l’artère centrale du réseau d’adduction de l’île, la canalisation de Belle-Eau-Cadeau. Après huit mois de travaux, les logements sont raccordés à l’eau courante. Un terrain de football et des vestiaires sont établis en bas de l’ouvrage en face duquel Dumé construit sa maison. « Mes onze enfants ont grandi ici », raconte-t-il en dessinant de mémoire les plans du réservoir, cinquante-cinq ans plus tard.

Douches à la bouteille

En cette soirée d’automne, un de ses fils, David Dumesnil, s’arrête devant la maison. Il habite deux rues plus loin mais vient prendre sa douche dans les anciens locaux du club de sport, aujourd’hui abandonnés : chez lui, l’eau est coupée depuis six jours. Le vieux réservoir de 700 m3, construit autrefois par son père, ne suffit plus à desservir les nouvelles maisons bâties le long de la route menant à l’une des trois chutes du Carbet, une destination touristique très courue. Les nombreuses fuites apparues sur le réseau au fil des années n’ont jamais été réparées.

« Quand une mamie est alitée, elle n’a pas d’eau. Quand un bébé vient de naître, il n’a pas d’eau », déplore une voisine de Dumé, habitante du quartier de Routhiers. Adossée à un pilier soutenant la terrasse de sa maison en bois, elle souligne le paradoxe de sa région : la côte est de la Basse-Terre a beau concentrer une grande partie des points de captage de la Guadeloupe – laquelle dispose naturellement de deux fois plus d’eau douce par habitant que la France métropolitaine –, bien des familles en sont régulièrement privées.

Vivre ici oblige à s’habituer aux douches prises à l’aide de bouteilles d’eau, aux seaux tendus sous chaque robinet pour profiter du moindre retour de pression dans les tuyaux. Quant à la lessive, elle se fait souvent au lavoir du quartier : trop de machines sont tombées en panne après avoir tourné à sec pendant des heures.

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« Karukera » – le nom amérindien de la Basse-Terre, autrement dit « l’île aux belles eaux »…

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