C’est notre propre stratégie qui doit prévaloir.

Intervention du CNCP au rassemblement organisé le 18 décembre à Fort-de-France par le PKLS, Le MODEMAS et le CNCP

Nous devons honorer nos héros et héroïnes; nous devons perpétuer le souvenir de leurs grandes œuvres et de leurs luttes courageuses; nous devons assumer notre devoir de transmission. Car, c’est en cachant ou en déformant notre histoire que les chasseurs colonialistes ont pu si longtemps maintenir leur domination sur notre Peuple. Aujourd’hui, ce sont les lions qui imposent leur parole et c’est une bonne chose! A bas les Desnambuc, A bas l’Impératrice, A bas les faux abolitionnistes!

La sagesse africaine nous l’enseigne : “Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens!”. Eh bien, quand nous regardons d’où nous venons, nous mesurons l’ampleur du chemin parcouru.

– Du marronage et des incessantes révoltes sur les habitations,

– des insurrections de 1848 et de 1870,

– des grèves régulières de la classe ouvrière qui, jusqu’en Févier 74, ont vu nos aînés tomber sous les balles des colonialistes français,

– du sacrifice de nos dissidents et de nos résistants qui sont partis se battre afin d’aider la France à se libérer de la botte nazie, pour subir en retour la persistance de l’exploitation, des discriminations et de la répression coloniale,

– des luttes menées par les vrais communistes jusqu’aux années 60,

– des émeutes de décembre 1959,

– du cri “la Martinique aux Martiniquais” poussé par les militants de l’OJAM qui ont subi les foudres du pouvoir colonial,

– de l’action des différentes organisations qui ont levé l’étendard de la lutte anticolonialiste et patriotique, en particulier les organisateurs du rassemblement de ce soir, le PKLS, le MODEMAS et le CNCP qui a pris la relève du GAP et du PTM, des organisations dont les militants ratissent la campagne depuis une cinquantaine d’années pour contrecarrer la propagande colonialiste, contribuer à l’organisation des travailleurs, faire revivre notre culture et défendre notre environnement,

De toute cette histoire, camarades militants, frères et sœurs Martiniquais et Martiniquaises, nous pouvons tirer une leçon essentielle:

Notre Peuple n’a jamais cessé de se battre et il n’a jamais cessé d’avancer dans la voie de l’émancipation.

Collectivement, nous avons pu faire en sorte que le 22 mai qui était complètement ignoré soit désormais célébré dans l’ensemble du pays ou encore que l’insurrection de Septembre 1870 s’installe dans les consciences.

Ensemble, nous sommes parvenus à ce que notre langue, notre culture bèlè, tellement méprisés par le passé, considérés comme “ bagay vyié nèg”, investissent les médias, les écoles, l’université et les églises. Ensemble, nous avons retrouvé la fierté de ce que nous sommes, la beauté de nos nez épatés et de nos cheveux naturels.

C’est vrai, la lutte contre le destructeur “syndrome de Lynch”, contre l’aliénation, la division et l’autodénigrement, est loin d’être terminée,

– puisque des personnes inconséquentes continuent à répéter à tout bout de champ que “pèsonn pa ka di ayen”, “pèsonn pa ka fè ayen! “ et que même quelques nouveaux militants clament que “ lé ansyen militan, pa fè ayen! Érèzman nou la!”

– puisqu’il y a encore beaucoup de gens qui battent le tambour le 22 mai en chantant “nèg pété chenn” et qui tous les autres jours de l’année avalisent la domination coloniale!

– puisque d’autres commémorent l’insurrection de 1870, glorifient Lumina Sophie, tout en appelant à pactiser avec le gouvernement de l’État colonial français, en semant des illusions quant à la philanthropie des impérialistes européens et en prétendant que la seule façon de parvenir à l’émancipation, c’est qu’on leur confie des mandats d’élus de la République française.

Autant dire que la lutte politique et idéologique doit continuer. Plus encore, elle doit être intensifiée. Car nous sommes à l’heure où l’affrontement décisif entre les peuples et les puissances impérialistes a commencé, tant au niveau national qu’au niveau international.

Les pays impérialistes occidentaux ne respectent absolument plus le droit international, ils interviennent militairement où bon leur semble, ils participent ouvertement au renversement de gouvernements progressistes et démocratiquement élus, ils imposent illégalement des sanctions à tous ceux qui se mettent en travers du chemin de leurs multinationales.

Partout où sévit le système capitaliste, des lois liberticides remettent en cause les droits individuels et collectifs. La répression policière et judiciaire frappe massivement les organisations et les militants du mouvement populaire. Sous le prétexte de lutter contre la pandémie de Covid 19, leurs gouvernements ont développé des protocoles de contrôle et de domestication des populations.

Au bout du compte, les classes dominantes avancent à grands pas vers l’instauration d’un fascisme planétaire, parce qu’elles sont conscientes de la montée en puissance de la résistance des peuples. Alors, même si nous pouvons nous féliciter des avancées dans nos luttes, nous devons avoir pleinement conscience que l’affrontement sera féroce et que cela exige de nous lucidité et professionnalisme.

Récemment, le représentant de l’État colonial, le Préfet Stanislas CAZELLES, a tenu une conférence de presse pour décréter l’alerte jaune face à un éventuel réveil de la montagne Pelée. Il y a une autre éruption qui se prépare, dont il ne parle pas, mais contre laquelle la France s’organise. Savez-vous quel était le thème des dernières manœuvres militaires qu’elle a organisées en Martinique? L’évacuation d’une population! De quelle population s’agit-il? Certainement pas du peuple Martiniquais. Il s’agit de ceux qu’ils appellent “leurs ressortissants”. Peut-être que certains se le rappellent: lors de la mobilisation pour libérer la plage de Désert à Sainte-Luce, un gendarme ne s’est pas gêné pour dire à un militant, qu’il était là uniquement pour “protéger les ressortissants français”.

Au-delà de leurs manœuvres militaires Les colonialistes développent une stratégie visant à combattre toute velléité de libération nationale. L’intensification des violences policières et les procès à répétition en sont un volet. L’acharnement du Procureur Gaudol en devient pathétique!

– Procès en chaine contre les militants anti-chlordécone!

– Procès contre les journalistes militants qui filment leur barbarie!

– Procédures contre les avocats qui défendent les militants poursuivis!

– Convocation à la gendarmerie de la Présidente de l’Assaupamar à la suite d’une mobilisation dénonçant une illégalité flagrante!

– Convocation de Jay et d’Alexiane qui ont pris part à l’action de salut public visant à renverser les symboles de la domination coloniale!

Ici, nous devons nous arrêter pour saluer l’engagement et le courage de tous ceux et de toutes celles qui ont mené ces actions spectaculaires pour restaurer notre dignité, actions qui ont été suivies d’une puissante vague internationale visant à renverser les symboles de l’oppression et du racisme occidental! Nous saluons particulièrement le peuple Barbadien qui a officiellement déchouké le bandit Nelson, faisant la leçon aux assimilés d’ici qui dénonçaient un soi-disant vandalisme. Et nous attendons avec impatience l’éventuel procès qui nous permettra, à coup sur de faire, “kod yanm maré yanm”.

Un autre aspect de la stratégie des autorités coloniales consiste à enserrer les militants dans un ghetto et à marginaliser notre drapeau national. Ils ont bien compris que notre Peuple s’unissait fortement autour de ses couleurs : Rouge- vert-noir. Ils essaient donc d’ancrer dans l’opinion que le Rouge-vert-noir est l’apanage exclusif d’un petit groupe de ce qu’ils appellent “activistes”, que, nous, nous appelons “militants” et dans le même temps, ils présentent ceux-ci comme des fauteurs de trouble à l’ordre public!

Il faut avouer que leur mauvais coup a réussi à ébranler quelques éléments aux convictions fragiles, puisqu’on a pu entendre certains dire : “Man té dakô épi drapo-a, mé man pa pou-y ankô, pas man pa dakô épi métod sé manmay tala!”. Quelques politiciens opportunistes ont profité pour fuir leurs responsabilités en se cachant derrière le même prétexte. “Je suis d’accord sur le fond mais je désapprouve la méthode, ki donk je fais krab!” Pourtant, sans se poser de questions, ils défilaient sous le “quatre serpents” qui a flotté sur les navires négriers. Pourtant, ils vénèrent encore le bleu-blanc-rouge que brandissaient les armées coloniales qui ont massacré des peuples partout dans le monde pendant leurs guerres de conquête, ce bleu-blanc-rouge ornant l’uniforme des forces de répression qui fusillaient les travailleurs martiniquais à chaque grève, ce bleu-blanc-rouge derrière lequel les fascistes se regroupent pour agresser nos frères et sœurs immigrés en France.

Pawol la ka di-y : Lè bèf pa lé rantré an bwa I ka di konn-li tro gran!

Ceci dit, nous restons convaincus que notre drapeau Martiniquais, notre rouge-vert-noir, est déjà bien ancré dans le coeur de notre peuple et que personne n’arrivera à l’en arracher!

Au début de notre intervention, nous avons dit rappeler d’où nous venons pour savoir où nous devons aller. C’est la raison pour laquelle nos organisations ont tenu à associer commémoration et réflexions sur nos perspectives politiques.

Nous avons bien compris qu’il ne s’agit pas de se contenter de pêcher derrière le flambeau des anciens et que nous devons remplir notre mission d’aujourd’hui en poursuivant le combat pour l’émancipation. Et en la matière, il y a urgence!

– il y a urgence parce que l’État colonial accélère le génocide par substitution en même temps qu’il saccage notre tissu économique endogène et renforce notre dépendance. On a vu comment le Préfet a pris l’alibi de la pandémie pour asphyxier les petites entreprises de tous les secteurs, en même temps qu’il donnait libre cours à l’activité des grandes surfaces, des agences de téléphonie, des espaces de vente d’automobiles où à la Française des jeux!

– il y a urgence parce que nous sommes victimes, ici aussi, de la politique ultralibérale de saccage des services publics, en particulier dans les secteurs de la santé et de l’éducation et parce que le régime macronien étrangle les Collectivités locales afin de livrer le marché à l’appétit du privé et des multinationales.

– il y a urgence parce que, malgré les récentes catastrophes qui ont frappé notre pays, leurs autorités s’entêtent à avaliser des chantiers criminels qui mettent à mal notre environnement. Au passage, nous dénonçons fermement la collusion du gouvernement français avec les multinationales de l’assurance. Il a fallu que des élus montent au créneau pour qu’il rajoute les glissements de terrain à son arrêté de “catastrophe naturelle” et pour que les assurés puissent espérer une indemnisation.

Oui, il y a urgence! Et il est indispensable que nous élaborions une stratégie cohérente de résistance et de construction alternative.

Nous devons nous mobiliser pour jeter les bases d’une économie endogène et autocentrée, visant en particulier à développer l’autosuffisance alimentaire.

Nous devons nous battre pour conquérir le Pouvoir de réaménager notre territoire afin que soit protégés la vie de notre population et notre environnement.

Nous devons agir pour que notre jeunesse ait le droit de s’épanouir et de mettre ses compétences au service de la Martinique.

En clair, nous devons lutter pour conquérir notre Indépendance et notre Souveraineté!

Mais, pour parvenir à la victoire, nous devons éviter à tout prix de rester prisonniers du tempo, du calendrier et des méthodes inspirés par l’ennemi. C’est notre propre stratégie qui doit prévaloir. Nous devons absolument donner la primauté au travail de labourage quotidien sur le terrain afin de contribuer à la conscientisation et à l’organisation du plus grand nombre, pour faire en sorte que notre Peuple, Uni, soit vraiment l’acteur principal de la mobilisation. L’engrenage des manifestations de réactions défensives, les appels quasi quotidiens à des manifestations venant de tout bord à travers les réseaux sociaux, émanant parfois de groupes inconnus dont nul ne sait les intentions, cela, seul, ne peut tenir lieu de stratégie.

Nous terminerons notre intervention en affirmant qu’aujourd’hui, nous avons l’opportunité de nous rassembler autour d’une cause d’intérêt national et qui nous ouvrira la porte de l’émancipation : Il s’agit de la lutte pour que soient condamnés les responsables de l’empoisonnement massif de notre peuple et de notre environnement et pour exiger réparation du préjudice. Car il y a des coupables qui ont commis ce crime en toute connaissance de cause. L’État français, pour servir la caste, à fait tirer sur les ouvriers qui, en 1974, exigeaient l’interdiction des produits toxiques. La répression a fait 2 morts et des dizaines de blessés le 14 février à Chalvet. Non, Monsieur le Préfet, Il n’y a pas eu “d’aveuglement collectif” et ce ne sont pas les miettes dont on annonce la distribution qui nous le feront oublier. Comme s’il appartenait aux empoisonneurs de l’État Français et de la caste des grands propriétaires békés – rappelons que ces derniers n’ont toujours pas reconnu leur responsabilité – de décider unilatéralement de la sanction de leur propre crime!

Alors camarades militants, frères et sœurs, Martiniquais et Martiniquaises, Unissons-nous autour de notre drapeau Rouge-vert-Noir et au combat! Doubout pou la viktwa!