“Ce que Mumia Abu Jamal révèle des démocraties occidentales”

— Philippe Yerro (Ali Babar Kenjah) sur Mumia Abu-Jamal. Entretien avec Rodolf Etienne —

Plus de quarante ans après son arrestation, Mumia Abu-Jamal demeure l’un des noms les plus emblématiques de la lutte contre la répression d’État et le racisme structurel.

Philippe Yerro (Ali Babar Kenjah) nous livre une lecture caribéenne et postcoloniale : de la justice américaine comme prolongement historique de la domination, jusqu’au rôle des figures assignées au statut de martyr de la cause.

Entre références à Fanon, Glissant, Foucault, Deleuze et une méditation sur la spiritualité comme ressort de résistance, Philippe Yerro interroge aussi la Martinique : mémoire, clivages, responsabilité et devoir de ne pas détourner le regard.

Q : En tant qu’anthropologue et intellectuel martiniquais, comment lisez-vous la trajectoire de Mumia Abu-Jamal : affaire judiciaire singulière ou plutôt symptôme profond d’un système politique et racial ?

R : Se mêlent en moi au moins deux registres quand je m’évoque le destin singulier de Mumia : il y a le logos militant, panafricain, frotté aux Frères de Soledad depuis mes années de collège, familier du regard myope de Malcom et de la réalité théorique de ce qu’est le Ku Klux Klan (KKK)… C’est l’approche de l’ancien combattant sans illusions sur la cruauté de Babylone. Certes, cette année, il y a quand même eu la divine surprise de la libération de Georges Ibrahim Abdallah, que j’avais rencontré à Grenoble dans les années 80. Ce militant révolutionnaire libanais antisioniste croupissait dans les geôles françaises depuis 1984 (41 ans). Il est certainement probable que le contexte des négociations autour du génocide de Gaza ait pu favoriser un geste de « bonne volonté » de la part du président français. Le genre d’opportunité dont ne bénéficiera jamais Mumia. A priori. Je pense que ce logos militant est fatigué et, surtout, il craint de radoter à force de survivre aux terribles redondances de notre temps.

Dans l’affaire de la chlordécone, puis avec le Covid, on a marché sur nos sentiments de peuple martiniquais sans vergogne, sans une considération pour la « morale », sans le moindre égard pour les « Droits de l’Homme ». Tout ça pour imposer une expérience et des profits honteux à des populations manipulées ? Alors le vieux blasé en moi considère la machine judiciaire américaine comme le prolongement aveugle de la barre sous laquelle on exposait jadis les nègres récalcitrants : une machine à broyer indispensable au suprématisme wasp…

C’est à ce moment du raisonnement que je convoque (ou que se présentent à moi) d’autres ressources, ataviques, ancestrales. En tant que Martiniquais culturé, j’ai appris à regarder la souffrance injuste, la justice inique, la violence coloniale cynique, à travers le prisme d’une lutte mystique entre la civilisation (depuis Elam, Sumer ou Akkad…) et la barbarie venue d’Europe. Les Anciens nous ont légué une parole forte et résiliente pour les traversées du désert. Cette parole n’est peut-être pas de ce monde, mais elle tisse sa toile dans un au-delà de cette réalité mal dite qui s’effondre aujourd’hui sous nos yeux.

Q : Selon vous, que révèle la longévité exceptionnelle de l’incarcération de Mumia Abu Jamal sur le rapport des démocraties occidentales aux voix dissidentes noires ?

R : La racine grecque du mot « démocratie » signifie « peuple ». Cette question mène à s’interroger sur la réalité du « peuple » aux yeux des démocraties occidentales ? Ce n’est pas un hasard si toutes ces « voix dissidentes Noires » insistent pour dénoncer la condition subalterne des racisés, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe : la discrimination raciale systémique est précisément la cause de leur épreuve. Nous sommes tellement des sous-citoyens, des citoyens de seconde classe, qu’on a, très fugacement, voulu créer en France un ministère de l’« égalité réelle »…

« La démocratie dont parlent les puissances occidentales n’est ni pour les Noirs sans pouvoir ni pour les Musulmans migrants, ou toute autre minorité ethnique… »

La démocratie dont parlent les puissances occidentales n’est ni pour les Noirs sans pouvoir ni pour les Musulmans migrants, ou toute autre minorité ethnique attirée là pour occuper les emplois « sales » dont les Français ne veulent pas. Bien au contraire, fondant leur nostalgie de souveraineté sur les privilèges perdus et la mythologie impériale, ces dites « démocraties » ont besoin de symboles comme Mumia ; c’est-à-dire d’une marge sociale assignée pénalement par la race et la pauvreté, désignée délinquante par nature, pharmakos étranger (bouc émissaire d’Etat) qui délimite par opposition et valide l’espace d’une authenticité autochtone, comme on dit : « de souche »… A savoir, la sacralisation « laïque » du territoire dont il faut restaurer la pureté originelle et l’identité-racine, produit d’une histoire de domination, de prédation et de violence armée. C’est, en gros, la thèse défendue par Edouard Glissant, Michel Foucault ou encore Gilles Deleuze.

Q : La notion de « prisonnier politique » est centrale dans le combat pour Mumia. Comment la définiriez-vous à partir d’une lecture caribéenne et postcoloniale ?

R : Chez nous – dans les colonies – plus qu’ailleurs, la notion de « prisonnier politique » est une notion très relative, car elle dépend de l’interprétation que fait l’appareil judiciaire d’actes, souvent individuels, de rébellion ou de « résistance ».

La justice et l’administration coloniales ont toujours joué de leur pouvoir de catégorisation des délits. Par exemple, à la Martinique au XIXème siècle, pour soustraire des individus, jugés hostiles par les colons, du bénéfice de la justice et du droit, devenus plus favorables aux affranchis vers 1830, ces derniers faisaient l’objet de mesures administratives d’expulsion, à la discrétion du gouverneur, sur instruction des colons, le plus souvent sur le fondement d’une sanction préventive « nécessaire au maintien de l’ordre ». L’exemple contemporain c’est le cas Dieudonné. Autre exemple : Marny était-il un marron ou un vulgaire assassin ? Cette question divise encore le peuple martiniquais suivant une fracture nettement culturelle et politique… Le résistant des uns est, par symétrie de la violence réciproque, le terroriste des autres.

De plus, en situation coloniale, la facticité d’un grand nombre de situations impliquant la règle ou la Loi élargit le champ du ressentiment et des griefs vis-à-vis de l’administration de la justice. L’affaire Hervé Pinto démontre que la simple défense de notre droit à la propriété peut faire de nous une cible et l’objet d’une mise à l’index publique, impliquant explicitement des autorités de l’Etat et des membres de l’élite locale. La justice française en Martinique peut-elle traiter Hervé Pinto en potentiel « prisonnier politique » sans se déjuger sur le fond ?

Accorder le statut de « prisonnier politique » à Mumia, ce serait comme réfuter la torture insidieuse, en lui accordant des conditions de détention réglementées et protégées de l’arbitraire. Au-delà de cette dignité élémentaire, ce serait lui conférer une forme d’aura, contreproductive à la logique de la machine à broyer. Enfin, le statut de prisonnier politique suggère qu’on reconnaît potentiellement la possibilité d’inclure Mumia dans un éventuel deal politique ultérieur. Je crains que cette simple éventualité n’hérisse la fibre MAGA (Make America Great Again) de l’establishment yankee trumpiste. Plutôt, le retour à l’ordre intérieur sera violent, abusif et totalitaire (en n’excluant aucune sphère de la société).
Q : Voyez-vous dans le traitement réservé à Mumia Abu Jamal, des mécanismes comparables à ceux que Frantz Fanon analysait comme la criminalisation des colonisés ou des subalternes ?
R : Bien évidemment. Le travail de Frantz Fanon ne s’appuie pas que sur le terrain algérien. Il propose une véritable analyse globale, une montée en généralité transversale qui respecte pointilleusement les conditions de validité universelle d’un discours scientifique.

J’ai personnellement entendu parler de Fanon pour la première fois en lisant les écrits du Black Power Party américain, dont il était le maître à penser. Son analyse, documentée, expérimentée sur le terrain, déconstruit la colonialité moderne dans sa généalogie épistémique et ses diverses déclinaisons organiques.

Il y a cependant une différence entre, d’une part, la colonialité essentielle envisagée du point de vue atavique des métropoles européennes esclavagistes, et – d’autre part – la colonialité systémique, pragmatique (culturelle, quotidienne, infusée), telle que pratiquée dans le contexte d’anciennes colonies fondées sur la conquête armée, le génocide, l’esclavage et le primat de la race (Australie-Kanaky, Afrique du sud, les Amériques).

« Nul n’est dispensé de témoigner au tribunal de la conscience. Personne n’est autorisé au silence dans son propre royaume intérieur. L’oubli n’est pas une option. »

Ce qui distingue la pénalité négrophobe des uns et des autres, c’est que le racisme européen est honteux, il se nie en tant que tel, et donc noie toute procédure d’enquête dans un brouillard de mensonges fabriqués pour masquer les préjugés discriminants et leur violence associée. Par opposition, le racisme des anciens colons s’affirme et se justifie sans gêne (Trump n’étant que la caricature d’un complexe patent des étasuniens). Des vidéos de violence raciale policière sont présentées par la police comme preuve du caractère rebelle des délinquants Noirs (cf. Elsa Dorlin, Se défendre – Une philosophie de la violence, La Découverte, 2019).

Aux USA, même si les discriminations sont illégales, le racisme est une opinion défendue par la Constitution. La croyance dans l’élection divine de la race yankee est un pilier fondamentaliste de la nation. Cette élection divine des maîtres wasp implique forcément l’ordre social qui va avec… C’est-à-dire l’organisation politique et policière de la soumission des domestiqués subalternes et l’état de droit de l’apartheid (i.e. le développement séparé). Fanon analyse les violences sociales, culturelles et psychologiques générées par la condition coloniale. Il démontre comment l’impact de cette violence coloniale sur les peuples soumis dépotyole totalement leurs sociétés et induit une violence en réaction chez le colonisé, qu’il retourne en priorité contre sa propre communauté. C’est précisément cette « folie » provoquée, le spectacle de ces corps révoltés en fureur, dont vont s’emparer l’accusation pénale coloniale et la défense de l’ordre établi, pour instruire le procès des quartiers populaires « gangrénés par le narcotrafic et la violence des gangs »… La pièce finale de ce scénario bien huilé, tombe avec l’appel solennel de nos élu.e.s afin que l’Etat assume ses responsabilités (sic), et envoie plus de RAID, de GIGN, de keufs, de schmits, de flics, de bleus pâles défoncés, de poulets, de kolbòkò, plus de mamblots et de gadkaka pour dérailler les nègres drogués du ghetto et rétablir l’ordre républicain de la Baccha sans ficelle et des chanté nwèl sans jurons…

Q : La Martinique a aussi connu des figures de résistance, des mesures de répression et de mise au silence. Pensez-vous que la société martiniquaise se sente encore concernée par des combats comme celui de Mumia Abu Jamal ?

R : La Martinique est une société coloniale confrontée à des problématiques postcoloniales. Le trouble en profondeur est masqué par la clim de la Galleria. A ce titre, elle est radicalement clivée par une absence de perspectives communes entre les tenants créoles du statu quo et les sans-culottes et les sans-terres qui espèrent une justice historique. L’opinion martiniquaise se partage entre ceux qui ignorent Mumia Abu Jamal par complicité implicite avec l’ordre dominant et ceux qui, tout en compatissant, ont versé le dossier sur la longue pile des profitations sans manman, contribuant par automatisme aux réflexes indignés de victimisation qui “ne pètent pas plus haut que ça”
Q : Selon vous y a-t-il eu – ou devrait-il y avoir – un engagement plus visible de la Martinique (intellectuel, culturel, symbolique) autour de ce dossier ?

R : Dans l’idéal, il serait souhaitable que la Martinique prenne conscience du symbole puissant qu’elle représente au niveau international, qu’elle se hisse au niveau de l’héritage des Césaire, Fanon, Glissant… Cela me paraît le préalable à un engagement plus visible en faveur de Mumia. Je ne crois pas que la Martinique « française » et consumériste se soucie une seule seconde de Mumia Abu-Jamal.

Q : Vous êtes rasta et penseur de la spiritualité comme force de résistance. La pensée rastafari peut-elle éclairer, selon vous, la dignité et la persévérance de Mumia Abu Jamal face à l’enfermement ?

R : Pour vous répondre, je dois au préalable distinguer entre « rasta » et « Rastafari ». « Rasta » fait référence à une culture urbaine des quartiers populaires de la Caraïbe et de la diaspora afro descendante dans les métropoles occidentales. Ses traits culturels bien connus sont un langage (Iyahrik) à base de broken english, le port des locks, le reggae omniprésent, la consommation et le commerce de l’herbe, les dance hall et les sound systems etc… Pour sa part, « Rastafari » fait référence à divers types de spiritualités de la part d’individus qui entretiennent une relation mystique de disciple avec l’esprit vivant d’Hailé Sélassié I, le Lion Conquérant de la Tribu de Juda.

La plupart des « rastas » ne se réfère à Sélassié que très superficiellement et ignorent ses enseignements, de même que la Guideline Nyabinghi, qui fait référence en matière de moralité communautaire. A l’inverse, Leonard Howell – le premier Rasta(fari) (1935) – ne portait pas de locks, ni les membres du groupe fondateur Mystic Revelation of Rastafari de Count Ossie. Bob Marley disait que le reggae était la musique du peuple et que la vraie musique des Rastafari était le Nyahbinghi… Pour en revenir à la question, Haïlé Sélassié I nous a laissé le témoignage puissant de sa résistance à l’invasion fasciste des armées de Mussolini en 1936 (qui marque le véritable début de la 2de Guerre Mondiale). L’Empereur fut contraint à l’exil, fait sans précédent dans l’histoire éthiopienne. Ses avoirs dans les banques européennes furent gelés (tiens tiens !). En dépit des traités internationaux et des décisions de la Société Des Nations (SDN), ses achats d’armes furent placés sous embargo tandis que l’approvisionnement en carburant de l’armée d’invasion italienne était assuré par la France et le Royaume Uni, officiellement soutiens de l’Ethiopie ! Jamais l’Italie ne fut condamnée pour l’usage de gaz moutarde mortellement toxique et l’empoisonnement volontaire des points d’eau…

Lorsqu’il plaida en personne à Genève, devant la SDN, Sélassié le fit au nom des « petites nations » victimes de la profitation des « gros ». L’Empereur prévint ceux-ci que s’ils s’obstinaient, ils auraient in fine à subir le sort qu’on lui imposait. Les journalistes italiens répondirent du haut des coursives en imitant des cris de singe. Mais, de fait, lorsqu’en 1941, après cinq années d’une résistance victorieuse, HIM (Hailé Sélassié I) remonta sur son trône, en dépit des machinations de ses « alliés » anglais, c’est alors la félonie des nations européennes vers le pire cycle de destruction de toute leur histoire… C’est ce type de résilience dont l’évocation anime la pensée des disciples de Sa Majesté. Disciples qui furent nombreux et de toutes les parties du monde pour accompagner cette épopée. Et si je me réfère à son autobiographie, Un long chemin vers la liberté, je compte Nelson Mandela parmi ceux-là… La dimension spirituelle a toujours été une dimension fondamentale de la libération de l’Afrique. Je pourrais aussi prendre l’exemple de Simon Kimbangu (Congo) ou de Cheikh Amadou Bamba (Sénégal) qui ont été, pour leurs peuples, des prophètes, mais aussi des leaders dans l’épreuve collective, puis des Pères de leurs nations. A cause de leur rayonnement et en dépit de leur caractère pacifique, ils furent privés de liberté mais sans que leur longue incarcération n’empêche que leur parole s’incarne finalement en puissance. Quelle force collective peut aujourd’hui se comparer à la confrérie Mouride, au Sénégal ? Mumia est un Baye Fall : un guerrier de lumière inspiré et ancré. APY !

Q : En quoi la spiritualité – disqualifiée dans les lectures politiques classiques – constitue-t-elle un ressort fondamental de survie et de lutte dans des situations d’enfermement prolongé ?

R : Les militants marxistes ou matérialistes laïques sont toujours très friands de l’aphorisme de Marx qui dit que la religion serait « l’opium du peuple ». Mais, contrairement à la religion – qui est de nature institutionnelle et collective – la spiritualité est personnelle et intérieure. Ceux qui la valorisent la considèrent comme le véritable fondement de l’Être lumineux qui porte notre personnalité publique extérieure. Notre connaissance du monde est faussement objective, car toujours soumise à nos états de conscience intérieurs. Se recentrer sur la maîtrise de ces capacités peut offrir un réel détachement face aux injonctions mondaines négatives, qu’il s’agit parfois de gérer radicalement. Lorsque toutes les ressources du monde matériel viennent à manquer, au moment du trauma sans filet de l’épreuve – et pour peu qu’il en ait développé l’intérêt – il restera toujours à l’individu initié le refuge de cet « au-delà des fleuves de Babylone » dont je parlais plus haut, ces protections qu’invoquait le Little Buddha dans le film de Bertolucci…

Concernant Mumia plus particulièrement, il faut savoir que ce prénom qu’il s’est choisi correspond à un des anges les plus puissants et symboliques de la cabale de l’arbre de vie. Mumia est le dernier du cycle de soixante-douze anges qui rythme le cercle du temps. Il est, à l’image de l’Ouroboros (le serpent qui mange sa queue), celui qui clôt le temps et amorce le prochain cycle. Il est l’ange qui résume et qui révèle (Apocalypse = révélation). Fin et commencement : il est véritablement l’Alpha et l’Oméga de l’histoire…

Q : Le combat pour Mumia Abu Jamal se poursuit désormais sous la présidence de Donald Trump, réélu. Comment analysez-vous ce contexte politique américain du point de vue des luttes antiracistes et de la répression d’Etat ?

R : Donald Trump s’est positionné en adversaire résolu des néoconservateurs mondialistes qui dominaient l’hégémon américain depuis la fin de la guerre froide. Cette posture nouvelle entend recentrer l’imperium yankee sur son berceau panaméricain, à travers ce qui apparaît comme une forme d’isolationnisme. Rendre sa grandeur à l’Amérique c’est, sur fond de chasse aux migrants, retrouver le huis clos souverain où – à l’image de l’allié sioniste – toute morale s’affranchit et tout tabou se franchit (affaire Epstein) dans le mépris du droit international et des conventions ratifiées ; mais aussi, à terme, dans l’écrasement du peuple qu’on prétend restaurer.

Du point de vue de l’oligarchie patriarcale wasp, la grandeur de l’Amérique c’est l’épopée qui s’énonce avec le premier blockbuster de Hollywood : Naissance d’une nation de D.W. Griffith (1915), c’est-à-dire l’histoire et la naissance du Klu Klux Klan (KKK)… On sait que le père de Donald Trump était membre du Klan. En 1973, Fred et Donald Trump, le père et le fils, sont poursuivis par le ministère fédéral de la justice pour discrimination raciale envers leurs locataires Noirs… Dès son premier mandat, Trump n’a jamais dérogé à son arrogance fétide, à cette supériorité impériale qui le prédispose à dominer et à marcher sur les sentiments des plus « petits ». Que ce soit vis-à-vis des Haïtiens, des Mexicains, des Africains, des Palestiniens – voire, désormais, du Canada ou du Danemark – ce président ne rate jamais une occasion d’humilier publiquement les nations supposées subalternes, leurs peuples, leurs représentants. Il a beaucoup de mal à masquer son mépris pour la France et son couple présidentiel, trop woky… Le mondialisme des égoïsmes est mort, vive le multilatéralisme du chacun pour soi nationaliste…

« Ce qui me frappe dans cette affaire interminable, c’est notre capacité à accepter l’inacceptable, à vivre en côtoyant la négation du vivre, à encaisser les défaites de l’âme. »

Le problème c’est que le revival souverainiste actuel de l’Occident puise à la nostalgie des fastes coloniaux, du temps où la prédation écocide et le racisme – biologique ou culturel – n’avaient de compte à rendre à personne. Ces temps sont révolus en Asie et commencent à l’être en Afrique. Les minorités racisées et les classes populaires du lumpen urbain en Occident sont gravement menacées. Des droits sociaux fondamentaux qu’on tenait pour acquis (comme le droit du sol, par ex) vont être effacés. Des protections pour nos corps, nos équilibres psychiques, notre environnement, des protections pour la vie et la santé mentale, pour la santé tout court et l’alimentation, des limites éthiques vont être effacées, au nom du dieu vengeur des télévangélistes chrétiens sionistes…

Cette vague réactionnaire de beaufs obèses infectés par Fox News, n’augure rien de bon pour les négros et les blackesses enkayé.e.s dans la machine à broyer de ces gens-là…

Q : Ce durcissement politique change-t-il, selon vous, la nature ou l’urgence de la solidarité internationale autour de prisonniers politiques comme Mumia ?

R : Il y a urgence, selon moi, à jeter les bases du prochain monde en gésine, un monde enfin débarrassé des folies de l’”Oxydant”. C’est un vaste chantier qui est déjà entamé au Sahel, qui se poursuit avec la dédollarisation de l’économie mondiale, la consolidation des BRICS et la défaite annoncée de l’OTAN en Ukraine… C’est tout autant le rapport de force politique global que la mobilisation militante qui a fait sortir Georges Ibrahim Abdallah de prison ; il en sera de même pour Mumia. La police raciste qui fait d’Abu-Jamal un trophée, ne desserrera son étreinte que sous la pression d’un marchandage politique. Il faudra y mettre bien plus que l’insigne lâcheté de Barack Obama qui a refusé de gracier Mumia quand il quittait le pouvoir, alors que Joe Biden a eu moins de scrupule pour son criminel de fils. De même pour Trump, avec les factieux du Capitole…

Q : Personnellement, qu’est-ce qui vous frappe le plus dans l’affaire Mumia Abu Jamal après plus de quarante années de mobilisation ?

R : Ce qui me frappe dans cette affaire interminable, c’est notre capacité à accepter l’inacceptable, à vivre en côtoyant la négation du vivre, à encaisser les défaites de l’âme. Je crois que, petit à petit, insidieusement, cette acceptation nous conduit à justifier l’injustifiable…
Q : En conclusion, quel message souhaiteriez-vous adresser au public martiniquais – et plus largement caribéen – sur l’importance de ne pas détourner le regard de ce type d’injustice ?

R : Que dire qui ne soit pas un sermon ? Que gagnons-nous à entretenir cette mobilisation ? J’ai en moi la certitude qu’un certain nombre de situations du monde, sur lesquelles nous n’avons aucune prise dans la matérialité des choses, se pose tout aussi concrètement en nous sous forme d’exigence de la conscience. Qu’un tribunal implacable est dressé en chacun de nous qui décidera – sinon du sort des Gazaouis ou de la libération de Mumia – mais bien de notre capacité personnelle à atteindre les rives du prochain monde qui se prépare sous nos yeux.

Nul n’est dispensé de témoigner au tribunal de la conscience. Personne n’est autorisé au silence dans son propre royaume intérieur. L’oubli n’est pas une option. Faire la politique de l’autruche expose et fragilise l’a(…). La pensée du cœur fait une différence d’ordre quantique, ce, même dans le fracas de la guerre… Il n’est pas sans effet sur notre évolution personnelle et sur l’épanouissement de nos rêves de savoir garder les yeux ouverts pour grandir en vérité. Il est un devoir pour chacun d’entre nous d’élever notre propre justice à hauteur d’humanité, afin d’y cultiver notre verticale vocation à la liberté. Ainsi, nous rejoignons le combat de Mumia, le combat de nos frères et sœurs cruellement et injustement privé.e.s de liberté dans les geôles de Babylone.

Mais nous ne cédons rien, nous ne renonçons à aucun de nos rêves. Nous marchons, nombreux dans le silence, nous marchons vivants, sur la terre blessée, aux côtés des martyrs enterrés vivants…

Voilà mon message : marchons, marchons côte à côte ; n’arrêtons pas d’avancer !

Philippe Yerro nous partage ici une vision pleine de sens et de méditation, un regard ouvert sur le monde soutenu par un engagement humain, sincère, dévoué. Au fil de cette parole dense et dynamique, Mumia Abu Jamal apparaît moins comme une “affaire” que comme un miroir des démocraties occidentales lorsqu’elles rencontrent une dissidence noire, durable, irréductible.

Philippe Yerro relie la pénalité contemporaine aux héritages coloniaux, décrit la fonction politique des symboles d’enfermement, et rappelle que la catégorie de “prisonnier politique” n’est jamais neutre : elle engage un rapport de force, donc une peur du pouvoir.

Reste alors, au-delà des analyses, l’injonction la plus intime : ne pas normaliser l’inacceptable. Car, dit-il en substance, il existe en chacun un tribunal intérieur où se joue notre dignité. Témoigner, regarder, marcher “côte à côte” : non comme posture morale, mais comme discipline de conscience, pour que l’oubli ne devienne pas complicité.

Notes

Mumia Abu-Jamal

Journaliste et militant afro-américain, condamné en 1982 pour le meurtre du policier Daniel Faulkner (1981). La peine de mort a été abandonnée et commuée en réclusion à perpétuité sans libération conditionnelle (accord du parquet en 2011). Situation récente (déc. 2025) : il est toujours détenu à SCI Mahanoy (Pennsylvanie). Des médias et organisations militantes signalent des mobilisations liées à des soins ophtalmologiques (cataracte) et à la négligence médicale.

Élam ou Hatamti

Pays de l’Antiquité occupant la partie sud-ouest du plateau Iranien, autour des actuelles provinces d’Ilam, du Khouzistan et du Fars, qui correspondent à ses deux principales régions, celle de Suse et celle d’Anshan/Anzan.

Sumer

Sumer est une région de l’extrême sud de la Mésopotamie (actuel Irak), située entre le Tigre et l’Euphrate, en bordure du golfe Persique. Elle abrite l’une des plus anciennes civilisations connues, développée entre la fin du IVᵉ et le IIIᵉ millénaire av. J.-C.

Akkad

Empire d’Akkad est un État de Mésopotamie fondé par Sargon d’Akkad, qui domina la région de la fin du XXIVᵉ au début du XXIIᵉ siècle av. J.-C.

Pierre-Just Marny

Pierre-Just Marny, dit « la panthère noire », est identifié en France, en 2011, comme le détenu ayant effectué la plus longue détention. Il a été retrouvé mort dans sa cellule après 48 années passées derrière les barreaux.

Hervé Pinto

Hervé Pinto, président du Kolektif Jistis Matinik, a été condamné le 11 juillet 2024 à 20 mois de prison ferme par la cour d’appel de Fort-de-France, dans le cadre d’un conflit lié à sa revendication de restitution de terres aux Trois-Îlets.

Hailé Sellasié Ier

Haïlé Sélassié Ier, né Tafari Makonnen en 1892 et mort en 1975 à Addis-Abeba, est le dernier empereur d’Éthiopie. Il règne de 1930 à 1936, puis de 1941 à 1974, sous le titre de negusse negest (« roi des rois »).

Georges Ibrahim Abdallah (libération 2025)

Georges Ibrahim Abdallah, né en 1951 au Liban, est un militant communiste et dirigeant de la Fraction armée révolutionnaire libanaise en France, impliquée dans des attentats en 1982, dont l’assassinat d’un diplomate américain et d’un diplomate israélien. Arrêté en 1984 et condamné à la perpétuité en 1987, il était libérable depuis 1999. Après des décennies de mobilisation en sa faveur, sa libération conditionnelle avec expulsion vers le Liban est autorisée en juillet 2025 et effective le 25 juillet 2025.

Pharmakos” (bouc émissaire)

Définition : dans le monde grec ancien, le pharmakos est une figure de bouc émissaire (un individu marginalisé expulsé/sacrifié symboliquement) mobilisée pour “purger” la cité d’un malheur.

Ku Klux Klan (KKK) / “Naissance d’une nation” (1915)

Repère historique : The Birth of a Nation (D.W. Griffith, 1915) est un film notoirement associé à une glorification du Klan et à l’imaginaire de suprématie blanche dans la culture de masse américaine.

Fred Trump / affaire de discrimination immobilière (1973)

Procès DOJ 1973 : le ministère américain de la Justice a engagé en 1973 une action pour discrimination raciale dans la location contre Trump Management et des membres de la famille Trump ; l’affaire s’est terminée par un accord sans reconnaissance de culpabilité, régulièrement documenté par des médias et archives publiques.

Leonard Howell

Leonard Howell : souvent présenté comme l’un des fondateurs/pionniers du Rastafari (années 1930).

Simon Kimbangu

Simon Kimbangu : figure religieuse du Congo, associée à un mouvement prophétique et à une longue répression coloniale.

Cheikh Amadou Bamba / Mourides / Baye Fall

Fondateur de la Mouridiyya (confrérie mouride, Sénégal), avec une postérité sociale/religieuse majeure. Les Baye Fall sont un courant/disciple lié à cette tradition.

Philippe Yerro (Ali Babar Kenjah)

Photo 2 : Mumia Abu Jamal.