Catégorie : Littératures

« L’inconnu de  Mer frappée » : Chapitre V

— Par Robert Lodimus —

Chapitre V

L’ARRESTATION

Mon père paraissait étonné de me voir. Il m’a pris dans ses bras et m’a serré très fort contre lui. Le sergent Oscar, qui habitait presqu’en face de nous, contemplait de loin la scène émouvante de retrouvailles. Il nous a salués timidement de la main. Son visage découvrait de l’embarras. Oscar ne portait jamais d’armes à feu. Lorsqu’il n’était pas à la caserne, il discutait des parties de dames avec les adultes de la place ou jouait aux billes en compagnie des gamins qui l’appelaient respectueusement « oncle Oscar ».

Racontez-moi pour les examens, fiston !

Je crois que tout s’est bien passé. Je n’ai éprouvé aucune difficulté.

Votre mère, votre frère et votre sœur, ils vont bien ?

Oui, tout le monde va bien…

Cela fait plaisir de le savoir. L’important pour moi, c’est que vous n’êtes pas menacés…

Quand est-ce que vous allez revenir à la maison ?

Bientôt ! Enfin,… bientôt !

Pourquoi vous gardent-ils ici ?

Je ne sais pas !

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L’inconnu de Mer Frappée : Chapitre V

— Par Robert Lodimus —

Chapitre V

L’ARRESTATION

« Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la place de l’homme juste est aussi en prison. »

(Henry David Thoreau) 

Mon père savait ce qu’il disait, quand il m’a conseillé de faire attention à ce que j’écrivais dans mes cahiers de poèmes. Il avait lui-même fait l’expérience douloureuse et humiliante de l’emprisonnement politique. N’était-ce la présence d’Hestia, la déesse de la sécurité et du bien-être de la famille, il aurait même pu y laisser sa vie, comme d’autres victimes plus malchanceuses. Certains détentionnaires – parmi lesquels des professeurs de sciences sociales, des avocats membres du Barreau des Gonaïves, des médecins de famille, des élèves de lycée, des ouvriers, des porte-faix, des commerçants… – étaient transférés dans les goulags de la capitale, particulièrement vers les prisons de Fort Dimanche et des casernes Dessalines. La ville ne les avait plus revus. Les parents souffraient et pleuraient en silence, par crainte d’être dénoncés. Ces compatriotes avaient été interrogés par des puissants chefs macoutes – comme Luc Désir, Mme Marx Adolphe, Lisius Jacques, Zacharie Delva – et des militaires barbares – tels que Jean Tassy, Abel Jérôme, Max Valmé, Franck Romain… – qui, au mépris de la loi, les avaient jugés, condamnés, emprisonnés et conduits au poteau d’exécution.

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Man tann di

— Par Daniel M. Berté —

Man tann di
Ki fo kouté pou tann
Ki fo tann pou konprann
Ki fo konprann avan di

Man tann di
Ki sé pa tousa ou tann pou di
Ki sa’w tann ou pa oblijé di’y
Ki vomié bien tann sa ki di avan’w di

Man tann di
Ki ou pé di sa’w pa tann
Ki ou pé tann sa ki pa di
Ki sé pa toudi di, sé bien di ki di

Man tann di
Ki menm si’w ni la tet di
Kon tala ki té di « la-tet-di-jé-ni »
Ki ou pé tann sa ki di

Man tann di
Ki lè milé tann kout tonnè mwa dawou
Ki i ka drésé dé zorey-li pou mié tann
Ki sé pa pou otan i ka di

Man tann di
KI sé pa jou ou lévé gro pwa ou ka trapé grodi
Ki sé pa jou ou manjé tè ki bouden’w ka grosi
Ki bef pa janmen di savann gran mèsi

Man tann di
Ki moun a djol pann pa ka pran konmédi
Ki sa mel ka di anlè, pa sa’y ka di atè
Ki bo tjou bouwo ou pann, pa bo’y ou pann

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Jamais n’accepterai

Jamais n’accepterai
— Par Gary Klang —

Jamais n’accepterai l’ignoble
Ceux qui font fi de l’innommable
De cet enfant une balle au cœur mourant dans les décombres
Au lieu de rire
Insouciant
Comme devrait l’être un enfant

Je n’en peux mais vous dis-je
Je n’en peux plus
Et je conchie
Tous ceux qui vivent
Vautrés dans leur indifférence

Partez leur dis-je
Hors de ma vue
Je ne veux plus
Je ne peux plus vous voir

Gary Klang

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« Magie des mots » & « Miroir »

— Par Patrick Mathelié-Guinlet —

Miroir

Qui me dira ce qu’on peut voir
de l’autre côté du miroir
lorsque sous les coups de butoir
du temps s’en écaille le tain ?

Que plus rien n’y reflète encor
de cette vie ? Est-ce la mort ?
L’aperçu d’un monde incertain
ou juste l’entrée d’un trou noir ?

Un miroir est comme un passage,
la magie issue d’un autre âge,
porte pour d’autres dimensions,
réponse à d’ultimes questions…

Mais c’est là le plus fantastique :
ne dit-on pas “briser la glace”
quand l’ego du reflet s’efface,
qu’on s’ouvre à l’autre et communique ?

Magie des mots

Vraiment l’amour des mots,
ça me maintient en vie,
convoquant de nouveaux
lorsque j’en ai envie…

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« Les Rues parallèles », de Gérald Tenenbaum

— Par Michèle Bigot —

Il en va pour un recueil de nouvelles comme pour un recueil de poèmes : c’est l’architecture de l’ensemble qui constitue le sens. Telle pièce prise séparément revêtira une signification et une portée très différente de la même pièce composée dans un ensemble, où sa place dans le recueil, son voisinage, ses effets d’écho avec des morceaux complémentaires ou opposés jetteront sur elle un éclairage nouveau. C’est peut-être encore plus vrai pour un recueil de nouvelles, compte tenu du fait que la brièveté, l’ellipse et la déceptivité sont constitutifs du genre. Que dire alors d’un recueil de nouvelles qui se place sinon en ultime position dans l’œuvre du moins à la suite de nombreux romans et essais ? Il en reçoit lui-même un éclairage spécifique.

Il en va ainsi du dernier ouvrage de Gérald Tenenbaum, dans lequel les lecteurs avertis reconnaîtront les échos des livres précédents, une série d’harmoniques. Sans toutefois que les nouveaux lecteurs y trouvent gêne ou embarras. Ils seront aussi bien gagnés par la magie mélancolique de l’ouvrage, dans lequel ils reconnaîtront la descendance d’un Meyrink, d’un Kafka, ou d’un Borges.

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« Le déclin n’est pas la fin »; mais la fin commence par le déclin…

— Par Robert Lodimus —

Surtout à l’attention de notre compatriote Ronald Beaudin, ex-ministre de l’Économie et des Finances du président Préval

« La Sagesse, c’est plutôt le courage de faire ce que les autres ne font pas, de dire ce que les autres ne disent pas. »

(Robert Lodimus)

Les appauvris se sentent aujourd’hui orphelins de discours rationnels, de messages combattifs, sur la nécessité d’organiser une lutte sociale et  libératrice en faveur de la classe ouvrière. Des réflexions profondes, bien élaborées, truffées d’ardeurs de militance à la Étienne Lantier, à la Souvarine, les personnages atypiques d’Émile Zola.

Les plus âgés restent nostalgiques des temps forts, où le salariat conscientisé, comme celui de Montsou, se battait fermement contre le patronat radin et endurci pour exiger le respect de ses « droits de vivre », plutôt que de se contenter d’exister, pour paraphraser Jacques Ellul. Faire ainsi reconnaître l’importance et l’indispensabilité de ses contributions physique, intellectuelle et professionnelle, pour que le monde avance et s’installe finalement dans l’hémicycle de la justice, du développement et du progrès sur une base de l’universalité.

Blaise Pascal affirme que « la Justice sans la Force est impuissante.

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« Lekòl la kraze » : l’inepte et aveuglant diagnostic d’Augustin Antoine, ministre de l’Éducation nationale d’Haïti

— Par Robert Berrouët-Oriol (*) —

Inepte – Adj. / « Qui manque de capacité, qui fait preuve d’incompétence (notamment dans l’exercice d’une fonction, d’une responsabilité) ; qui est dénué d’intelligence et de jugement. (…) Qui témoigne de l’incompétence ou de la sottise de son auteur ; sans valeur » (Dictionnaire OrtoLang, Centre national de ressources textuelles et lexicales, Université de Nancy).

De gauche à droite : Sterline Civil, nouvelle directrice du Fonds national de l’Éducation (FNE) ; Augustin Antoine, ministre de l’Éducation nationale ; Didier Fils-Aimé, Premier ministre ; Fritz Alphonse Jean, président du Conseil présidentiel de transition. (Source : profil Facebook du Fonds national de l’Éducation, 16 mai 2025.)

Paru en Haïti dans Le National du 20 août 2025, l’article de Pierre Richard Raymond a pour titre « La confession du ministre : l’évaluation accablante d’Antoine Augustin sur l’effondrement éducatif d’Haïti ». Cet article a le mérite de mettre en lumière les dits, les non-dits, les esquives, les boniments, le cabotinage, les lacunes ainsi que le lourd défaut de capacité analytique du sociologue Augustin Antoine, ministre de l’Éducation d’Haïti, repérable dans son « cri d’alarme » verbalisé sur YouTube il y a un mois.

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L’inconnu de Mer Frappée :Chapitre IV

— Par Robert Lodimus —
Chapitre IV

L’INQUIÉTUDE

Les derniers rayons du soleil commençaient à s’enfoncer dans la mer. Dans peu de temps, l’obscurité opaque allait draper toute la ville. Mer Frappée se serait transformée en un immense trou de sombreur pour accueillir les loups garous de « La Tannerie » qui venaient festoyer toutes les nuits sur le sable grisâtre du littoral endormi. Le vaste quartier côtier, où se bousculait la gueusaille, portait bien son nom. Les cuirs mis au tannage sentaient les rats crevés. Pendant le jour, on pouvait observer çà et là des tapis de cuir de vache ou de chèvre cloués au sol avec des piquets qui séchaient au soleil. Pour traverser la zone, il fallait couper sa respiration en fermant la bouche et en écrasant son nez avec le pouce et l’index. Pourtant, les riverains qui y vivent de manière permanente ne semblent pas se rendre compte de la puanteur persistante qui se mélange à l’air qu’ils respirent tous les jours. On aurait dit que toutes les mouches de la ville s’étaient donné rendez-vous dans cet amas de masures infectes.

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Aimé Césaire accueille Jacques Martial

Hommage posthume du père à son fils spirituel

Par Yves Untel Pastel

Dans l’au-delà, sur un rivage de mots et d’Histoire

Le vent n’est plus un souffle, mais un murmure d’âmes.

Les vagues se brisent en vers.

Jacques MARTIAL, l’acteur,

L’homme de la Villette et du Mémorial, pose son regard

Sur celui qu’il a si souvent fait vibrer ?

Aimé Césaire, le poète.

 

Il n’y a pas de scène, pas de projecteur, juste la lumière d’un savoir partagé.

Jacques : Maître, je vous ai porté, non pas sur mes épaules, mais dans ma voix.

J’ai crié votre colère, votre douleur, l’appel de votre « Cahier » qui retournait au pays.

J’ai voulu que ceux qui m’écoutaient, dans l’ombre d’une salle, entendent le grondement de l’Histoire.

Césaire : Je l’ai entendu, mon ami, et il a résonné jusqu’ici.

Vous n’avez pas récité mes mots, vous les avez incarnés.

Vous avez donné une chair à mes idéaux, une âme à mes combats.

Le poème n’est rien sans celui qui le fait vivre, sans celui qui le sent et le transmet.

Jacques : J’ai cru qu’en vous, nous pouvions trouver notre force, notre dignité.

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F.N.E. : Corruption, détournement de fonds publics, népotisme…

Corruption, détournement de fonds publics, népotisme : le Fonds national de l’éducation défie et échappe encore à la Justice haïtienne

 —Par Robert Berrouët-Oriol (*) —

Le vaste scandale de corruption, de détournement de fonds publics et de népotisme au Fonds national de l’éducation (FNE) connait de nouveaux rebondissements ces jours-ci en Haïti. Le 17 juin 2025, nous en avons exposé les soubresauts dans un article paru en Haïti sur les 17 plateformes régionales du REPUH, le Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti. Cet article, « L’occultation de la corruption au Fonds national de l’éducation : nouvelles acrobaties de Sterline Civil, profuse « missionnaire » du PHTK néo-duvaliériste », est paru le même jour sur Rezonòdwès (États-Unis) et sur Madinin’Art (Martinique) le lendemain. Dans cet article notre propos s’énonçait comme suit : « Depuis son inconstitutionnelle et délictueuse nomination par arrêté présidentiel et son installation le 18 février 2025 à la direction du Fonds national de l’éducation –la plus vaste entreprise modélisée de corruption dans le système éducatif d’Haïti–, l’illusionniste Sterline Civil a revêtu les habits spécieux de « Madame mains propres » et a peaufiné le dispositif palabreur de ses prises de parole ciblées.

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« Les Djons d’Aïti Tonma », de Félix Morisseau-Leroy

Retour sur un roman de Félix Morisseau-Leroy

Par Jean-Robert Léonidas

Les Djons d’Aïti Tonma » (L’Harmattan, 1996) est la dernière parution de Félix Morisseau-Leroy. C’est un roman à trois volets, un triptyque. La vedette c’est Jacmel, ou plutôt les Jacméliens. Pas tous, mais les vrais, les fiers, les braves, ceux qu’on appelle les « djons ».

Ti-Fils est un djon. A mon sens il est aussi un djinn, l’âme de la ville ou encore un horodateur ambulant puisque, quand il faisait les courses pour un grand négociant de la ville, il se plaisait à crier à qui veut l’entendre le nom du jour de la semaine. Tout d’abord, l’auteur présente Jacmel avec ses types, avec ses contradictions puisées à la source apocryphe où le mythe et l’histoire se confondent. Il y avait les riches, les gens de la « société » au sein desquels on comptait les loups-garous qui n’hésitaient pas à aller prendre la communion à l’église pour donner le change. Il existait aussi une manière de peuple qui s’évertuait à devenir gens de la société. Mais il y avait le « troisième clan »,  » alliance légitime du prolétariat et de l’intellectualité d’avant-garde » qui voulait repenser la cité, refaire sa mentalité.

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L’inconnu de  Mer frappée : Chapitre III

Par Robert Lodimus —

Chapitre III

LA RENCONTRE

Les habitants du quartier ont vécu une troisième nuit d’épouvante. Deux fois par année, Madame Dévilien, une prêtresse vodou, dévouée corps et âme au gouvernement de François Duvalier, organisait des rituels incantatoires dans la cour de son « hounfò », ombragée par le houppier du mapou géant, dont les branches basses se reposaient sur le toit d’une vieille bâtisse en bois. Des curieux se postaient à l’entrée de la grande barrière en tôle pour suivre des yeux le déroulement de la cérémonie animiste. Les initiés, comme les clowns de cirque tsigane, portaient des accoutrements multicolores, qui leur donnaient un air complètement loufoque. Ils utilisaient des peintures corporelles et faciales qui référaient aux symboles de la spiritualité et des traditions ancestrales. Les hommes portaient des chapeaux de paille et des foulards bleus, rouges, noirs, verts autour du cou suant. La « canaille » – pas au sens noble du langage révolutionnaire d’Alexis Bouvier et de Joseph Darcier – chantait, buvait, se soûlait, se déhanchait. La plupart de ces énergumènes étaient des serviteurs zélés, des adhérents exaltés, des prosélytes inébranlables de l’idéologie duvaliérienne.

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Noblesse paysanne

A propos du livre Il était une fois la vie au Morne Baldara de Roset Mongin

— Par Georges-Henrie Léotin —

Dans notre Martinique d’aujourd’hui, on n’imagine pas un tout jeune enfant émerveillé par la lumière d’une ampoule électrique (ce que nous appelions bek), et qui s’amuserait à jouer avec l’interrupteur comme s’il était magicien. Les bambins de nos campagnes, dans l’immédiat après-guerre, ouvraient aussi de grands yeux face aux fontaines des bourgs, face à cette autre magie d’une eau venue au coin des rues, à disposition, au bout d’un robinet métallique. L’enfant que fut Rozet Mongin, habitué de la source, avait déjà toutefois remarqué que l’eau des fontaines publiques n’était pas toujours fraiche comme celle venue directement des entrailles de la terre, « l’eau limpide de Trouboulo, notre source au Morne Baldara ». On mesure le chemin parcouru quand on voit que les fontaines publiques dans les bourgs, qui fascinaient l’enfant, ne sont plus guère aujourd’hui (quand elles existent encore) que des objets de curiosité et des vestiges du passé !

L’ouvrage de Rozet Mongin n’est pas un roman mais un récit de vie, l’évocation de son enfance, de ses parents, de sa famille, de la vie de la campagne du Morne Baldara (dit aussi Morne Babet, ou encore La Raisinier – l’auteur imagine comme origine possible du nom : La (femme) Résignée, mais souvent les noms de lieux dans nos campagnes sont précédés de « La » : La Naud, La Mathilde, La Palmène, La Marchand, La Dumaine, etc.

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« Quand le silence de la nuit » & « Que sera ce rat ? »

Patrick Mathelié-Guinlet

Quand le silence de la nuit
revêt de son ombre la vie
et qu’alors règnent les esprits,
dans les airs résonnent encore

les mots de ces poètes morts
chantant la liberté, l’amour
à qui veut bien les écouter
jusqu’à ce que lève le jour…

Ces mots que le vent leur murmure
quand il caresse la ramure
des arbres de son souffle ailé,
par les oiseaux tôt relayés…

Leur message est audible pour
qui sait écouter la Nature
car c’est au fond d’une nuit noire
comme une boîte de Pandore
qu’à la fin demeure un espoir…

Que sera ce rat ?

(à Line Renaud)

La peste brune est là !
Amenée par les rats
menés par Bardella,
rat de laboratoire
(pas de bibliothèque !)
au bel art oratoire
pour l’électeur séduire
dont courte est la mémoire
car des dehors impecs
cachent souvent le pire…
Hélas, on ne sait pas
ce que sera ce rat…
“Que sera, sera”!

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L’inconnu de Mer frappée : Chapitre II

— Par Robert Lodimus —
Chapitre II

LE DÉGOÛT ET LA RÉVOLTE

C’était un après-midi d’automne. Les éclairs zébraient dans un ciel gris, chargé de nuages fuyants. Penché sur ma petite table de travail, je remplissais ligne par ligne, avec des mots étranges arrachés à mon cerveau en friche, les pages blanches dans lesquelles j’additionnais quotidiennement mes douleurs inapparentes. Je passais toutes mes journées et mes nuits à courir derrière le char d’Apollon pour le supplier de ramener le soleil sur les ténèbres de nos déboires et de nos humiliations. Haïti ressemble étonnamment à un champ de ruines. La gueusaille des bidonvilles et des campagnes défeuille comme les arbres à l’arrivée de la saison hivernale. Cette Tour de Babel semble être vouée au destin de Capharnaüm, la ville de l’apôtre Pierre, maudite par Jésus. A la vitesse où se déplace le train de sa décadence, un jour, peut-être, si rien n’est fait, on n’en entendra jamais plus parler. Ce pays disparaîtra avec ses héros, ses habitants, son histoire qui pétille comme le champagne dans un verre de cristal. Il s’effondrera avec son épopée qui goûte du vin bien fermenté et bien conservé dans la cave d’un œnologue de métier.

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Centenaire de Frantz Fanon

Une étape importante dans la connaissance de Frantz Fanon, surtout en Martinique
Parlons d’abord des réalités chiffrées!

—RS n° 407 lundi 11 août 2025 —

L’extension du public touché
Par le nombre de films et documentaires sortis cette année sur Frantz FANON, (le film de Jean-claude Barny est resté plusieurs semaines à l’affiche à Madiana), par la tenue de trois colloques dans la seule Martinique, par l’évocation de ces colloques dans les médias, par le nombre d’actions pédagogiques réalisées dans les établissements scolaires, par les conférences, par les témoignages dans deux colloques d’un condisciple centenaire de Fanon, par la présence active d’un insoumis de la guerre d’Algérie resté fidèle à ses idéaux, Daniel Boukman, par les émissions dans les médias, par la sortie en première mondiale d’une pièce de théâtre de Fanon jouée par une troupe martiniquaise, (« les mains parallèles »), par les nombreux lieux en Martinique où se sont déroulés les évènements liées au centenaire (Sainte-Luce, Marin, Lamentin, Marigot, Saint-Pierre, Morne-Rouge, Fort-de-France, Schoelcher, François…), nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la connaissance de Frantz Fanon.
Le Mémorial de 1982 sous l’égide du Cercle Frantz Fanon, le colloque scientifique international de 2011 de First Caraïbe, ne sont donc pas restés sans suite.

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Janmen bliyé !

— Par Daniel M. Berté —

An jou nwè ka kouté
An misié ka nonmé
An boul moun ki alé
Anlè dé zel brizé
Anmwé ! Janmen bliyé !

An lo manmay kriyé
An foul estipersé
An péyi ka pléré
An aviyon tonbé
Anmwé ! Janmen bliyé !

An lespri angwasé
An sonmey dévasté
An chay lavi krazé
An soufrans ka pézé
Anmwé ! Janmen bliyé !

An istad plen kon zé
An krey chef artisté
An lo fanmi lienné
An mémwa ki matjé
Anmwé ! Janmen bliyé !

An lo sewkey rivé
An doulè rilévé
An Matnik dézolé
An dènié jes adié
Anmwé ! Janmen bliyé !

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L’inconnu de Mer frappée : Avant-propos, Préambule, Chapitre I

Par Robert Lodimus

AVANT PROPOS

Ce livre, mélange de fiction et de réalité, déplaira probablement à certaines gens. Il n’a pas été écrit non plus dans le but de plaire… Ou de flatter… L’époque qu’il décrit est satanique. Jamais on n’aurait pensé qu’il eût été possible pour la terreur de s’élever à une pareille hauteur. Beaucoup d’individus se reconnaîtront – qu’ils soient du bon ou du mauvais côté – au travers de ce récit émouvant où se déploient ligne après ligne, page après page, les tentacules d’un mal hideux qui a rongé, déstabilisé, démoli la république d’Haïti durant 29 ans, au cours de la deuxième moitié du siècle dernier. Le bilan est épouvantable. Il donne froid dans le dos. Glace le sang. Des centaines de milliers d’exilés. Des milliers de morts et de disparus. De quoi transformer une ville entière en cimetière ! Pourtant, l’on ne parle pas d’une région du monde écrasée sous les bombes de la guerre.

Dans un contexte social turpide décrit par « L’inconnu de Mer Frappée », le jeune José Marti Paulémon croise un érudit.

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La lexicographie créole contemporaine : retour-synthèse

La lexicographie créole contemporaine : retour-synthèse sur ses caractéristiques historiques, son socle méthodologique, ses dictionnaires

et ses lexiques

— Par Robert Berrouët-Oriol (*) —

« La lexicographie est la branche de la linguistique appliquée qui a pour objet d’observer, de recueillir, de choisir et de décrire les unités lexicales d’une langue et les interactions qui s’exercent entre elles. L’objet de son étude est donc le lexique, c’est-à-dire l’ensemble des mots, des locutions en ce qui a trait à leurs formes, à leurs significations, et à la façon dont ils se combinent entre eux. » (Marie-Éva De Villers : « Profession lexicographe », Presses de l’Université de Montréal, 2006.)

À la demande de plusieurs enseignants œuvrant en Haïti, nous effectuons avec le présent article un retour-synthèse sur les caractéristiques historiques de la lexicographie créole, sur son socle méthodologique, ses dictionnaires et ses lexiques. Conçu sur le mode d’une synoptique, cet article fournit un éclairage sur plusieurs aspects de la lexicographie créole : histoire, cadre analytique, cadre méthodologique de référence, problèmes et perspectives. Il met particulièrement l’accent sur la méthodologie de la lexicographie professionnelle, l’unique socle sur lequel doit être bâti toute la production lexicographique haïtienne.

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitre XVII

— Par Robert Lodimus —

Chapitre XVII

LA RÉSURRECTION

« Je mourrai face au soleil… »

(José Marti)

Beaucoup de philosophes tentèrent d’imposer leur propre définition du concept de « temps » dans ses dimensions complexes et controversées. Platon et Aristote l’abordèrent en tant qu’« image mobile de l’éternité ». Martin Heidegger dans « Être et temps » le considérait comme un aspect lié au fondement de la condition de l’individu tout le long de son parcours existentiel. Selon Saint Augustin, le temps se définissait par le présent. Car le passé évoquait la mémoire, et l’avenir renvoyait à une situation d’éventualité. En ce qui touchait le futur, nous aurions pu lui trouver un registre sémantique plus ouvert : expectative, prévision, perception, espérance…

En définitive, ce fut entre la « naissance » et la « mort » que le temps exista. Et il pouvait être considéré comme la somme des instants – bons ou mauvais – qui se situaient dans l’intervalle mobile, versatile, mais aussi inamovible des pôles de l’existence : le début et la fin, donc l’Alpha et l’Oméga.

Le temps s’arrêta à la frontière de la « mort » et s’ouvrit sur le néant.

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Actualisation du bilan de l’Akademi kreyòl ayisyen 

Entre « zanno dekoratif », aphonie, strabisme et momification

— Par Robert Berrouët-Oriol —

Le 18 juillet 2025, nous avons prononcé via Zoom une conférence à la Florida International University destinée aux étudiants du programme LACC’s 2025 Haitian Summer Institute de la School of International & Public Affairs / Latin American an Caribbean Center (LACC). Donnée en créole, cette conférence est dédiée à quatre grands noms de la lexicographie créole : Pradel Pompilus, Pierre Vernet, Albert Valdman et André Vilaire Chery. Elle a pour titre « Leksikografi kreyòl 1958-2024 : istwa li, metòd li, leksik ak diksyonè li chapante, wòl yo lan amenajman lenguistik ann Ayiti ». Le même jour, nous avons eu une entrevue avec Exant Remy, animateur de « Point-Virgule », une Web-émission culturelle de renom en Floride. Plusieurs sujets abordés lors de notre conférence à la Florida International University ont été repris à l’émission « Point-Virgule ». Le texte de la conférence a été diffusé en Haïti sur les 17 plateformes régionales du REPUH, le Réseau des professeurs d’universités d’Haïti, et il a également été publié sur divers sites Web, notamment Rezonòdwès aux États-Unis et Madinin’Art en Martinique.

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“Soir d’Ô rage” & « La Vie »

— Par Patrick Mathelié-Guinlet —

“Soir d’Ô rage”

Ô désespoir, ô rage,
on n’est pas toujours sage
au maléfice de l’âge…
C’est un pied dans la tombe,
l’autre au cul d’imbéciles !
La louange est facile,
la critique une bombe !
Si sur la main le cœur,
faut un doigt pour l’honneur !
Quand la bêtise irrite,
le respect se mérite…
Nuits blanches et puis jours sombres !
Pas de lumière sans ombre,
médaille sans revers,
pas d’endroit sans envers
ni vertu sans contraire,
de beauté sans laideur
ni courage sans peur…
Pas de bien sans le mal
et de vie sans la mort !
Tout est paradoxal
au sein de l’univers :
cultivons l’oxymore !

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Hara-kiri

En Hommage à Edmond Laforest, à Pierre Sully et au député Raymond Cabèche

— Par Robert Lodimus —

(Edmond Laforest, 1876-1915)

Je mange des ronces
Et des écailles de colère
Depuis le retour des maquisards
Qui ont noyé Laforest [1] Dans le seau de l’indignation
Un nœud croulant de consonnes
Et de voyelles
Resserré inexorablement
Sur la gorge fragile
Des Cendres et flammes
Woodrow Wilson [2] Le nom de cet animal féroce
Qui a mordu mon peuple
Pendant la nuit
Où l’Europe bouleversée
Frappée par la foudre
De l’hégémonie
Agonisait sur les ruines
De la destruction démentielle
Cette fois encore

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitre XVI

Chapitre XVI

LA MISSION

« L’injustice est pareille à l’eau qu’on chauffe dans une marmite. Quand elle bout trop longtemps, elle déborde : c’est cela, la révolte.»

(Alexandre Najjar)

L’anéantissement de La Roche – quoique l’historiographie universelle, contrairement à l’immersion d’Héracléion sous les eaux d’Aboukir, au déclin de Babylone avant sa disparition définitive, à la prise de Constantinople par Mehmet II en 1453 pour mettre un terme à l’empire Byzantin, à l’anéantissement de la cité antique de Pétra par un tremblement de terre meurtrier, n’en eût fait point mention – cela n’avait pas réussi pour autant à opiler les voies des espoirs de liberté et des rêves de justice d’une tranche de vie captive de la planète. La conscience universelle que la chaumine de la misère et de la peur avait hiberné, allait donc se réveiller un jour. Elle serait parvenue à s’échapper de la balme de Platon, afin de rejoindre ce « monde intelligible » d’où jaillirent les lumières de la connaissance et de la vérité. Les apôtres d’Apophis, ceux-là qui « servilisaient » leurs semblables, les torturaient dans les bagnes de l’indignité, qui érigeaient les goulags pour les Alexandre Soljenitsyne,.

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