— Par Jean-Marie Nol —
Après le » bloquons tout » de la rue, voilà la nouvelle probabilité du »lâchons tout » de la classe politique.
Tous les députés Antillo- guyanais ont voté la chute du gouvernement de François Bayrou. En participant à la chute de François Bayrou, alors même que plusieurs projets de loi cruciaux pour les outre-mer — sur la vie chère, la continuité territoriale ou les mesures sur l’insécurité et la lutte contre le narco-traffic — étaient en cours d’examen. En suivant la ligne d’opposition de leurs groupes respectifs, ils ont fait primer la logique nationale partisane sur la défense immédiate des intérêts locaux, au risque de fragiliser les dossiers essentiels à leurs territoires. A notre sens, c’est une démarche politicienne et électoraliste qui va se retourner à terme contre nos populations. Et force est de souligner que nos parlementaires sont tombés à pieds joints dans le piège de la crise de la dette, car ils n’ont rien compris à la nouvelle problématique politique qui se dessine avec l’actuelle crise budgétaire. Il va y avoir un effet boomerang pour la France et un sérieux retour de bâton pour l’outre-mer , car la crise politique ouverte par la chute de François Bayrou et l’arrivée précipitée de Sébastien Lecornu à Matignon survient dans un contexte budgétaire d’une extrême fragilité . Cette situation , quelque soit les prochains compromis en présence, ne pourra de façon inéluctable, que déboucher sur une crise économique et financière où l’outre-mer très dépendante de l’État providence, devrait en sortir considérablement affaiblie . Le système de modèle social français n’est plus finançable dans sa forme actuelle. Derrière les apparences d’un compromis recherché avec les forces politiques et syndicales, pour éviter un rejet du budget, se profile un risque majeur pour l’équilibre des finances publiques. Car le mot d’ordre qui semble désormais dominer est celui du « lâchons tout », en réponse au « bloquons tout » de la rue. Or, céder à la tentation d’une relance avec le risque d’un accroissement de la dépense et donc d’un déséquilibre dans la confection du budget ( même au prix d’une taxation des riches) dans une période de dette déjà abyssale pourrait précipiter la France dans une nouvelle crise de solvabilité, aux conséquences incalculables. D’ailleurs les banques tricolores se préparent à faire face à la dégradation de la note de la France par les agences de notation.
Fitch a été la première à dégainer ce 12 septembre. La note AA- avec perspective négative a été dégradée d’un cran, à A +. Cette décision pourrait avoir de multiples conséquences sur les banques françaises., et donc par effet mimétique des dommages collatéraux sur la distribution dû crédit en outre-mer. La dégradation de la note française par l’agence Fitch constitue bien plus qu’un signal technique envoyé aux investisseurs : elle cristallise un climat de défiance qui traverse l’ensemble de la société française et alimente une profonde déprime du monde économique. En reléguant la France dans le club des « simples A », Fitch ne sanctionne pas seulement une trajectoire budgétaire hors de contrôle, mais aussi une incapacité politique chronique à redresser la barre. Ce verdict, tombé après une décennie de déclassements successifs, s’apparente désormais à une sentence : le pays est entré dans une zone grise où sa crédibilité financière se délite peu à peu, et où l’illusion d’une exception française s’effondre.
Le poids de la dette, à plus de 113 % du PIB et flirtant avec 3 350 milliards d’euros, n’a pas empêché la France de continuer à emprunter. Mais le signal envoyé change la donne, car certains investisseurs institutionnels, notamment étrangers, limitent leur exposition aux titres souverains trop déclassés. Dès lors, la mécanique des taux d’intérêt enclenche une spirale inquiétante : hausse du coût de financement, raréfaction des marges budgétaires et montée de la perception de risque. Ce glissement objectif s’accompagne d’un sentiment subjectif tout aussi redoutable. Les entreprises, déjà fragilisées par des prélèvements élevés et un environnement fiscal instable, voient se profiler une aggravation des coûts et des incertitudes. Le moral des chefs d’entreprise s’érode, les décisions d’investissement se reportent, l’emploi en pâtit et la consommation, moteur essentiel de la croissance française, se trouve sous pression.
La note de Fitch sanctionne aussi la paralysie politique. En un an, quatre gouvernements se sont succédé sans parvenir à engager la moindre réforme crédible de maîtrise de la dépense publique. La chute du gouvernement Bayrou sur un vote de confiance a renforcé l’impression de chaos, révélant la fragmentation du paysage parlementaire et la polarisation d’une société incapable de bâtir un consensus minimal sur la trajectoire des finances publiques. Ce blocage institutionnel nourrit directement la défiance sociale : la population constate que les sacrifices promis sont repoussés sans cesse, tandis que la dette, elle, gonfle inexorablement. L’idée que l’effort à fournir demain sera encore plus brutal que celui refusé aujourd’hui entretient un climat d’angoisse, propice à la colère ou au repli.
L’expérience récente des « gilets jaunes » devrait pourtant servir d’avertissement. Face à une contestation sociale d’ampleur, Emmanuel Macron avait choisi de calmer les tensions en injectant massivement des fonds publics : baisse de l’impôt sur le revenu pour 17 millions de ménages, hausse de la prime d’activité, indexation des petites retraites sur l’inflation, abandon de la taxe carbone. Au total, une facture de 17 milliards d’euros, financée à crédit, qui a immédiatement aggravé le déficit budgétaire sans contrepartie de réformes structurelles. Si ces mesures ont redonné du pouvoir d’achat et évité une profonde explosion sociale, elles ont aussi marqué l’abandon de l’objectif de réduction des déficits ets retardé la transformation du modèle économique et social français.
Aujourd’hui, le risque est que l’histoire se répète à l’identique. La pression de la rue, les blocages et l’instabilité parlementaire devraient inciter le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu à privilégier une approche conciliatrice, donc coûteuse . En promettant un effort budgétaire « moindre que prévu par François Bayrou», Sébastien Lecornu s’expose à creuser davantage le gouffre de la dette publique, déjà au-delà des seuils d’alerte européens. Le compromis politique, dans ce cas, n’est pas synonyme de stabilité mais de vulnérabilité accrue face aux marchés financiers. Car chaque annonce de dépenses supplémentaires nourrit la défiance des investisseurs et renchérit le coût de refinancement de l’État.
Les effets économiques d’un tel scénario ne sont pas abstraits. La crise des gilets jaunes a déjà montré comment une contestation sociale pouvait perturber la croissance : commerces pillés ou fermés, chute de la consommation, ralentissement du tourisme et des services. La Banque de France avait alors divisé par deux ses prévisions de croissance pour le dernier trimestre 2018, preuve de l’impact direct d’une mobilisation prolongée sur l’activité. Si de nouveaux mouvements sociaux surgissent après la séquence du bloquons la France , combinés à une relance budgétaire incontrôlée, la France risque un double choc : contraction de la croissance et emballement de la dette.
L’argument du pouvoir d’achat demeure central dans la confrontation actuelle, comme il l’était en 2018. La revendication de « pouvoir vivre après le 15 du mois » résonne encore dans les discours parlementaires, syndicaux et associatifs. Mais vouloir répondre à cette exigence légitime par une ouverture sans limite du robinet budgétaire est une fuite en avant. Elle ne règle pas le problème structurel d’une économie française marquée par un chômage persistant, une productivité en berne et une dépense publique parmi les plus élevées d’Europe.
L’équation budgétaire de 2026 s’annonce donc explosive à terme . Entre les attentes sociales nourries par les mouvements de rue et la fragilité institutionnelle qui empêche toute réforme courageuse, la tentation de racheter la paix sociale par des milliards d’euros d’engagements nouveaux sera forte. Mais à force d’acheter du temps, la France pourrait perdre sa crédibilité financière et voir se déclencher une véritable crise financière . Dans un monde où les taux d’intérêt sont repartis à la hausse, où les marges de manœuvre monétaires et budgétaires sont réduites, le pays ne pourra plus compter sur l’indulgence des marchés comme il l’a fait après 2008 ou 2020.
La séquence ouverte par la chute de François Bayrou et l’arrivée de Sébastien Lecornu montre combien la politique française est prisonnière de ses contradictions : apaiser la rue sans réformer l’État, promettre la discipline budgétaire tout en distribuant des aides, revendiquer l’Europe mais défier ses règles de stabilité. La vraie question n’est plus de savoir si la dette française va continuer à croître, mais quand elle atteindra un seuil de rupture où les créanciers exigeront des ajustements drastiques. Ce jour-là, ce ne sera plus l’État qui choisira ses compromis, mais les marchés qui dicteront leur loi.La chute de François Bayrou n’est peut-être que le premier acte visible de cette vérité dérangeante : l’heure de vérité approche, et avec elle, le risque d’une crise sociale et financière majeure dont le mandat de Sébastien Lecornu pourrait être l’épicentre. En ces temps d’aveuglement volontaire, rappeler que le problème n’est pas un excès de solidarité mais un déficit de production et de travail relève presque d’un acte de lucidité révolutionnaire. Comme le disait George Orwell : _« En ces temps d’imposture universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire. »_
Jean Marie Nol économiste et juriste en droit public