« Brodeuses » : un film de chair et de fil

—Par Roland Sabra —

Français (1h28). Réalisation : Eléonore Faucher. Scénario : E. Faucher et Gaëlle Macé. Avec : Lola Naymark (Claire), Ariane Ascaride (Mme Mélikian), Marie Félix (Lucile), Thomas Laroppe (Guillaume), Arthur Quehen (Thomas), Jackie Berroyer (M. Lescuyer). Grand Prix de la Semaine de la Critique Cannes 2004, Prix Michel d’Orano 2004

Si un Homme sur deux est une femme, elles sont donc comme l’écrit joliment Mao « la moitié du ciel ». Et quand elles font leur cinéma c’est à nous tous quelles dédient leur travail c’est du moins le cas de ce beau film, tellurique chargé de chair et de fil, de fruit et de sang dont une jeune femme nous fait cadeau : Brodeuses,. Faucher Eléonore l’auteure dont les décompositions signifiantes du nom sont à elles seules une exploration sans fin nous conte une histoire toute simple et infiniment complexe celle de l’enchevêtrement de deux vies . Celle de Claire, dix-sept ans qui se découvre enceinte, un peu par hasard, au-delà des délais d’une hypothétique IVG et celle de Mme Mélikian 50 ans qui vient de perdre son fils « adulescent » dans un accident de moto. L’une ne voulant pas de l’enfant compte accouchée sous X et l’autre ne voulant pas survivre au scandale absolu du non respect de l’ordre des générations qui conduit les parents à enterrer les fils veut mourir. Les premiers plan du film illustrent bien ce détour de l’envers de la terre. Un long travelling sur un champ de choux, là où naissent les garçons, la terre grasse au premier plan avec un bruit de coutelas qui taille et qui taille, qui coupe et qui coupe les choux pour, on le saura plus tard alimenter des lapins. Et puis vient le lait chaud et maternel du pis de la vache utilisé pour se laver les mains!

Le toucher, la chair, le sang, le palper, de l’anguille entre mort et vie dépiautée pour un festin qui s ‘annonce, au poisson pris à l’hameçon, promis à la cuisine et que l’on relâche parce plein d’oeufs,tout ce qui renvoie au corps, à la matière est magnifié. Eléonore Faucher doit être peintre, en tout cas elle connaît son Pialat sur le bout des pinceaux, certaines séquences sont de pures évocations de tableaux célèbres : les nénuphars des nymphéas du maître de Giverny, « La laitière » de Vermeer ( encore la chair) et bien d’autres sont là en corps. Et c’est sans doute la seule faiblesse du film, (de tout premier film?) : une redondance de références, de citations qui souligne certes la dimension polysémique du conte qui nous est donné à voir mais qui peut convoquer à la longue à une certaine lassitude. Et encore nous avons échappé au pire puisqu’au montage une quarantaine séquences ont été supprimées.

La vie est là et ailleurs dans cette croisée de femmes. C’est celle ayant partie liée avec l’étranger, puisque d’origine arménienne qui saura faire accepter à l’autre ce corps étranger qui pousse en elle. Cela passera par un échange autour d’un objet tiers, d’une construction à quatre mains, un espace de médiation dans lequel elles communiqueront presque sans mots autour de cette passion commune. Sans ce tiers objet médiateur les relations entre les deux femmes retombent vite dans le registre passionnel, confusionnel. Claire apprendra à quitter les matériaux bruts, récupérés, peaux de lapins, ronds de cuivres, rondelles de plomb pour des matériaux plus élaborés, plus « civilisés ». Passage de la nature à la culture, passage du statut de génitrice à celui de mère Il lui faudra pour cela réconcilier en elle les deux dimensions de mère et amante, il lui faudra s’accepter comme être de désir détourné de son ventre pour qu’elle puisse advenir à se penser comme mère.

La maternité n’a rien de naturelle et les hommes n’y comprennent rien. qui sont d’ailleurs les grands absents du film. Il y en a quatre, un géniteur, couillon au sens étymologique du terme, il propose, trop tard l’argent pour avorter puisqu’il est marié et ne veut pas d’embrouilles : la lâcheté est est sans âge et sans frontières; un père révulsé à la vue du d’une anguille sanguinolente (!) et réduit au rôle de casse-noix; un rescapé de l’accident de moto au visage marqué de sang séché qui n’aspire qu’à s’en aller; un amant, hypothétique passade qui décline l’invitation de la belle Claire dès qu’elle prend l’initiative. Stendhal appelait çà un « fiasco » .

Belle illustration qu’un enfant se porte d’abord dans la tête et qu’on n’écrit et ne travaille qu’avec son corps est l’annonce faite par le réalisateur Bertrand van Effentterre, producteur des Brodeuses et venu soutenir le film au CMAC le 26 janvier 2005′ : Eléonore Faucher vient de mettre au monde en janvier 2005 un petit Augustin et ‘elle travaille à la réalisation d’un deuxième film sur le thème du sang… que l’on attend avec impatience .

Roland Sabra