Bob Dylan, Nobel de littérature, le poète a toujours raison

— Par Francis Pornon, écrivain —

Ebob_dylann 2015, une journaliste : Svetlana Alexievitch. En 2016, un chanteur : Bob Dylan. Les puristes s’étranglent ! Le jury du prix Nobel serait-il tombé sur la tête ? Francis Pornon, écrivain, se réjouit, lui, que soit reconnu le titre de poète à celui qui s’inscrit dans la lignée des aèdes et des troubadours. et sait si bien marier l’amour et la révolte.

Bob Dylan, auteur-compositeur-interprète, citoyen des États-Unis, obtient le prix Nobel de littérature 2016 à l’âge de 75 ans. Aux côtés de la belle et militante chanteuse engagée Joan Baez avec qui il vécut une aventure romantique, c’est l’image du héraut de la contestation sociale des années 1960. Or, voici que cette consécration provoque des protestations.

Un certain établissement littéraire maugrée à l’annonce du couronnement de ce chanteur pop. Certes, bien des écrivains nord-américains sont valeureux et pourraient prétendre à un prix…comme bien des auteurs européens, et comme tant d’autres au monde d’ailleurs ! Et, serais-je tenté de dire, comme bien des chanteurs-poètes, héritiers d’Homère, François Villon, Bernard de Ventadour et autres Léo Ferré…

Car un chanteur recevant le prix Nobel, ce n’est guère courant. Voici donc adoubé un créateur qui fit remonter la protestation sur les scènes, descendre la complainte dans la rue et la fit aimer et fredonner par les grandes foules. Reconnaître le titre de poète à qui osa faire se côtoyer dans ses couplets le surréalisme de la beat generation avec la ballade sentimentale populaire, est-ce si choquant ? Ainsi, est à nouveau célébrée la poésie comme littérature au sens propre, alors que, chez nous, Français, elle n’a plus guère de valeur marchande en librairie.

Il fit remonter la protestation sur les scènes, descendre la complainte dans la rue et la fit aimer et fredonner par les grandes foules.

En écoutant une de ses chansons fétiches : « When The Ship Comes In » (Quand le bateau viendra), je me souviens avec exaltation. Je me souviens des jeunes arpentant les rues en scandant des mots d’ordre, certains citant Arthur Rimbaud. Je me souviens de « la Complainte du petit cheval blanc » de Paul Fort et des ballades de Villon chantées par Brassens. Je me souviens encore des temps où l’on célébrait l’amour et la révolte plus que la réussite financière, temps des poètes disparus. Je me souviens en outre du temps des troubadours, où la poésie chantée conquérait pacifiquement l’Europe.

Je me souviens aussi d’Aragon, dans l’ombre de la Résistance, rappelant dans un texte lumineux à propos du troubadour Arnaut Daniel (« la Leçon de Ribérac ») que « cette morale de l’amour est le prélude des idées qui feront plus tard de la France le flambeau du monde ». Je me souviens que « Faisons l’amour, pas la guerre ! » c’était aussi un mot d’ordre soixante-huitard chez les marcheurs pour la paix, dont Bob Dylan, comme ce le fut chez nos contestataires.

J’ose espérer que nous saurons toujours chanter la poésie, son amour et sa révolte, que nous saurons léguer cette félicité aux jeunes, que nous saurons entendre encore et encore l’ami Bob et les autres. Et, quoi que certains en pensent, par la grâce de l’académie Nobel ­ qui sait parfois braver les idées reçues ­ comme il est bon d’écouter le poète en son chant d’amour « Sad-Eyed Lady of the Lowlands » (Dame des terres basses aux yeux tristes) ! « Mes yeux dans le magasin, mes tambours arabes/Devrais-je les laisser près de ta porte/Ou, dame aux yeux tristes, devrais-je attendre ? »

Dernier livre paru de Francis Pornon : « Les Dames et les Aventures du troubadour Raimon de Miraval », TDO Éditions.

L’humanité.fr
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